Couverture du journal du 06/04/2024 Le nouveau magazine

Upé Family, à la vie, à la mode

Première marque de vêtements 100 % recyclés et made in France, Upé Family révolutionne le monde de la mode. Marine Attané et Olivier Bobichon ont lancé un vestiaire résolument responsable, portés par l’envie de proposer des habits pour enfants aussi confortables que pratiques tout en ayant un impact réduit sur l’environnement. Un défi né de leur propre questionnement et qui séduit les clients : ce sont eux qui ont demandé une ligne pour adultes ! Des bureaux de LVMH aux Hautes-Pyrénées, un parcours étonnant, marqué par l’engagement.

Upé Family

Upé Family, première marque de vêtements en fibres recyclées et made in France © Louis Piquemil - La Vie Economique

Lourd de consonnes et de sons gutturaux, le mot congruence n’est pas le plus doux de la langue française. Il tranche avec le moelleux des petits pulls en laine mérinos qui attirent instinctivement la main tant eux le sont. Pourtant, en écoutant Marine Attané raconter leur histoire, c’est le premier qui vient à l’esprit. Pour Carl Rogers, psychologue humaniste américain, la congruence serait un des éléments majeurs pour le développement optimal d’une personne. L’harmonie parfaite entre les idées et les actes, caractérisé par un mode de vie plus existentiel, la liberté d’être créatif et un quotidien passionnant… Alors s’il n’est pas le plus mélodieux, congruence est certainement celui qui caractérise le mieux le duo à l’origine d’une incroyable ligne de vêtements en fibres recyclées, engagée et unique en son genre, genre qu’elle balaye justement, bousculant les stéréotypes et leurs carcans.

DE LVMH AUX FIBRES RECYCLÉES

Dans les bureaux chaleureux de l’Upé Family, il règne une atmosphère évidemment familiale mais l ’authenticité la talonne. Si la marque est aujourd’hui un des symboles forts de la consommation responsable, ce ne sont étonnamment pas les convictions qui ont tricoté ses premières mailles mais l’amour. Un des plus immenses, celui d’un bébé qui voit le jour et, avec lui, des milliers de questions… dont une : comment habiller ce petit bout et lui garantir des matières saines ? Marine Attané apportera elle-même la réponse. La mode, ce n’est pas son métier mais elle baigne dedans, la jeune Tarbaise est alors salariée chez LVMH à Paris, affectée au secrétariat général du groupe et travaillant pour un des conseillers de Bernard Arnault. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre Olivier Bobichon qui dirige, lui, le Jardin d’acclimatation et deviendra très vite son conjoint : « C’était en 2017 et on ne s’est plus quittés ».

CRÉER UN VÊTEMENT LE PLUS RESPONSABLE POSSIBLE

Pour ce couple plongé dans l’industrie du luxe, l’habillement du bébé qui arrive aurait pu n’être qu’un tourbillon de shopping dans les rayons des grandes marques. Mais l’instinct de protection est déjà en route, bien avant la naissance, la future maman cherche en priorité des habits responsables : « Dans les vêtements bio, il y a beaucoup de choses, mais à chaque fois je trouvais que ce n’était pas très transparent, on ne savait pas comment c’était teint, bio mais fait en Chine… Je n’arrivais pas à trouver quelque chose qui me plaisait ». Devant cette offre si dense et obscure, elle qui s’apprête à donner la vie donne également vie à un projet un peu fou : essayer de créer un vêtement le plus responsable possible puisqu’elle ne le trouve pas.

Un atelier de Castres nous a tendu la main et nous a permis de lancer notre premier produit

Le terme est tellement employé qu’il veut tout et rien dire, alors il a d’abord fallu définir : « Olivier m’a beaucoup aidé à l’époque à savoir ce que voulait dire responsable et à comprendre que les fibres qui allaient le moins impacter l’environnement, c’était les fibres recyclées. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de processus agricole. On est donc parti sur cette logique de vêtements qui impactent le moins possible, en fibres recyclées et d’une production locale ». Locale, pour ces deux Parisiens d’adoption, c’est d’abord française. Mais le destin est facétieux et les professionnels de la confection avec qui le contact se noue sont tous dans le Sud-Ouest, là où la jeune maman a ses racines. « Notre histoire commence aussi avec celle d’un atelier de confection de Castres qui nous a tendu la main et nous a permis de lancer notre premier produit. » En septembre 2020, c’est ainsi qu’un sweat pour enfant 100 % recyclé et fabriqué en France voit le jour.

500 SWEATS VENDUS EN 3 SEMAINES

Forte de sa propre expérience et de ses questionnements, Marine se demande si d’autres mamans les partagent : « On avait identifié notre besoin et on voulait savoir si on était les seuls à avoir ce besoin ». Via les réseaux, le couple lance alors une vraie étude de marché « très personnelle » souligne en riant Olivier. Sans surprise, dans un monde étouffé de produits chimiques et de vêtements pro- duits à l’autre bout du monde, de nombreux parents s’avèrent aussi soucieux de la santé de leur enfant et de leur impact. Le petit sweat est alors proposé en pré-commande et il s’arrache : « Vu les résultats, on pensait en faire 50, au final on en a vendu plus de 500 en 3 semaines… Et là on s’est dit qu’il y avait un vrai marché ».

INCUBÉS PAR L’INSTITUT DE LA MODE

Le cadre est posé, les dés sont jetés, la jeune femme, qui avait déjà quitté LVMH pour s’occuper de sa fille, née entre temps, trouve sa voie, cousue de fil engagé : « Ça nous a donné confiance et on a eu la chance d’être acceptées dans le programme d’incubation de l’Institut Français de la mode en janvier 2021. Et là c’était super parce que du coup Olivier a rejoint l’aventure ». Et lui voit dans cette école, la 3e au monde, un vrai cursus de professionnalisation : « jusque-là on ne connaissait pas le milieu de la mode, certes on travaillait à LVMH mais on est deux Sciences-Po donc on ne dessinait pas des vêtements », s’amuse Olivier. « Même si ça nous a donné une petite culture sur l’exigence ou l’esthétique, par exemple. » Auprès de l’illustre institut, tous deux acquièrent une réelle expertise, étoffent leur réseau et leurs contacts : « c’était aussi l’occasion de pouvoir échanger sur notre idée avec des gens dont conseiller des marques dans leur stratégie de développement c’était le métier ». Pour la créative Marine, le fait qu’Olivier soit un ancien chef d’entreprise s’avère un atout : « il a une vraie connaissance financière et managériale que je n’avais pas, ça a été un moment où il a pu prendre sa place. On a pu se dire qu’on se lançait vraiment ».

Le bébé qui a inspiré cette incroyable épopée est leur petite fille de 3 ans dont la blondeur et la frimousse illuminent les photos des collections

DES COUPES PENSÉES POUR LES ENFANTS

La suite est limpide. La petite famille quitte Paris pour rejoindre Tarbes ; boostés par l’Institut de la mode, Marine et Olivier élaborent un vestiaire, la marque Upé Family est une réalité et le bébé qui a inspiré cette incroyable épopée est une magnifique petite fille de trois ans dont la blondeur et la frimousse illuminent les photos des collections. Calliopé est bien plus qu’une égérie, elle a des goûts tranchés sur les couleurs et la regarder vivre est une source fabuleuse d’inspiration pour Marine qui noircit ses car- nets de croquis. Parce ce qu’avec les vêtements Upé, ce qui fait la différence, encore une, c’est que le confort de l’enfant est au centre des créations : « on part toujours de leurs besoins et de leur autonomie. On voulait faire un sweat qu’ils puissent, dès 2 ans, mettre et enlever tout seul ».

Une encolure large pour éviter la tête coincée et les oreilles pliées lors de l’habillement, une emmanchure basse pour que les petits bras s’y glissent et une coupe oversize qui convient aux allures fluettes comme aux plus rondes… S’il n’est pas l’acheteur, le client est bien celui qui va vivre dans les habits : « que ce soit pour le premier produit comme tous les autres développés par la suite, on ne cherche pas à faire des vêtements qui font plaisir aux parents mais que les enfants aiment porter », souligne Olivier.

DES VÊTEMENTS NON GENRÉS

Les collections sont une ode à la douceur et déclinées dans des camaïeux qui puisent dans ceux du bord de mer, elles sont un rappel à la nature auquel était très attachée Marine. L’écru de l’écume, le moutarde du sable, un gris bleuté comme un ciel lourd… Un choix de teintes qui n’est pas un simple écho aux paysages, là encore Upé Family se positionne clairement : on a choisi de faire des pièces non genrées. On ne pense pas qu’il faille du rose bonbon pour être une fille et du bleu pétard pour être un garçon ». À part le polyester, aucune matière n’est teinte grâce au tri des vêtements à recycler fait au tout début de la chaîne de production et classés par couleur. Et sur les pulls en laine mérinos, par exemple, tout est volontairement chiné : « En plus des mélanges de laine, il y a un exercice de style. Cette laine n’a jamais croisé le consommateur, ce sont juste des chutes d’usine qui ont été jetées et réutilisées. Le tricoteur propose des palettes de couleurs et on pioche dedans », explique la créatrice.

800 000 TONNES DE TEXTILE JETÉES EN FRANCE

Coton, polyester et laine sont les trois matières travaillées, toutes en fibres recyclées. En France, 800 000 tonnes de textiles sont jetées aujourd’hui, un chiffre faramineux qui n’inclut pas les professionnels. Autant dire que les quantités de matières ne manquent pas : « on rêverait que tous nos fils viennent de France mais il n’y a pas l’outil industriel pour faire certains fils dans certaines dimensions », souligne Olivier. Donc on est obligé de travailler avec l’Espagne ». Toute la production asiatique est évidemment évacuée d’emblée afin de minimiser l’impact sur l’environnement. Toujours logique dans sa démarche, Upé Family va plus loin et s’est associée avec une association de femmes en réinsertion professionnelles à qui elle donne ses propres chutes de vêtements pour qu’elles puissent apprendre la couture avec.

COLLECTION POUR ADULTES

En 2022, les deux premières collections sont lancées, entre 40 et 60 pièces qu’en toute en humilité Marine qualifie de « modestes ». Pulls, manteaux en polaire et du jeans pour l’hiver, t-shirts, shorts, vestes légères et bodys pour l’été… Les coupes originales et pratiques connaissent un tel succès que ce sont les clients eux-mêmes qui ont demandé des déclinaisons pour adultes ! Un marché inattendu qui dépasse désormais celui des ventes enfants. Le premier exercice marque 2021 d’un chiffre d’affaires de 135 000 € avec 3 300 pièces vendues et l’année 2022 s’est finalisée avec une progression à 2 000 000 € et 5 000 produits écoulés, notamment grâce à une part plus importante de B2B. Distribuée via son site Internet mais aussi sur le plus grand marketplace pour enfants Smallable, Upé Family l’est également dans une soixantaine de boutiques aux profils très divers, allant du petit concept store aux Galeries Lafayette de Paris dont le développement du label Go for Good avec une approche plus engagée correspond entièrement à sa philosophie.

UN PACKAGING COMPOSTABLE

Inutile de se demander si les envois des commandes sont enveloppés dans du vulgaire plastique, la réponse est évidemment non : c’est de la matière organique, totalement compostable. Jusque dans le packaging, Upé Family a l’art… et la matière. En ayant su s’entourer de professionnels qui sont dans la même démarche qu’elle, leur imprimeur utilise un procédé quasiment sans eau et est meilleur ouvrier de France, la marque qui mise sur la transparence totale est une sublime mise en œuvre de convictions et de talents qui habillent le futur dans un cocon un peu plus respectueux. L’Upé Family, c’est vraiment celle qu’on a envie d’adopter !

 

LA FIBRE RECYCLÉE, UN PROCÉDÉ SUR-MESURE

Le recyclage des fibres est un peu plus complexe que l’art de faire du neuf avec du vieux. Les tissus utilisés dans la fabrication des vêtements Upé Family ont deux provenances, bien distinctes. Certains sont récupérés dans les ateliers de confections, des chutes du pré-consumer, c’est-à-dire jamais utilisées ni portées, tandis que d’autres sont issus du post-consumer. Ce sont les vêtements qui ont un vécu et sont récupérés, par exemple, dans les points relais voués à cet usage. « Ils sont triés, par matière, par couleurs, puis soit détricotés quand c’est de la laine soit déchiquetés en machine. Ils redeviennent des lamelles qui seront assemblées pour recréer un fil », explique Olivier. Les tisseurs interviennent après cette étape, ils les « tricotent » pour faire des rouleaux de tissus qui seront découpés puis assemblés dans les ateliers de confection. La recherche est constante, les caractéristiques d’une fibre recyclée ne sont pas les mêmes qu’une fibre vierge : « quand on travaille avec du recyclé, on ne peut pas tout faire donc on travaille aussi avec eux et on essaye de trouver ensemble des nouvelles méthodes pour la résistance, la souplesse… Il faut faire plus attention, même sur la façon dont on fait les coutures ».

DES BODYS SUR ABONNEMENT !

L’Upé Family a parfaitement rationalisé le processus de production mais les modes de commercialisation et de consommation n’ont pas radicalement changé… et ça, quand on connaît un peu l’esprit de la marque, ça chiffonne Marine : « Les gens continuent d’acheter des vêtements de manière plus ou moins raisonnée. Sur l’enfant, il y a en plus un segment de marché qui est très dynamique c’est le zéro-deux ans. On s’est demandé quel était le vêtement que tous les enfants de France mettaient dans cette tranche d’âge ». La réponse est facile : le body. Partant encore une fois d’une simple question, la machine à coudre s’est mise en marche pour en découdre : il sera proposé sur système d’abonnement, suivant ainsi les besoins et l’évolution du bébé. « Ce qui est difficile quand on est parents, c’est d’acheter le body à la bonne taille et au bon moment. La formule d’abonnement va leur faciliter la vie, c’est le body qui vient à la maison. » Dans l’esprit des box beauté, il suffira de choisir le nombre de pièces et la fréquence d’envoi. Cette nouvelle approche de l’habillement, sans engagement, sera mise en dès février et les bodies seront bien sûr en fibres recyclées et coton bio. Une levée de fonds démarre et Upé Family recherche des partenaires financiers pour soutenir ce projet novateur.