Ces dernières semaines, plusieurs entreprises ont défrayé la chronique pour avoir brutalement remercié leurs dirigeants impliqués dans des liaisons au sein de leur organisation. Nestlé a ainsi annoncé le départ immédiat de son directeur général, Laurent Freixe, en raison d’une relation non déclarée avec une subordonnée. Outre-Atlantique, le CEO de la société d’intelligence artificielle Astronomer a, lui aussi, été écarté après avoir été filmé en pleine étreinte avec sa DRH lors d’un concert de Coldplay ! Si ces pratiques illustrent une culture anglo-saxonne du « risque réputationnel », le droit social français encadre beaucoup plus strictement le licenciement. Vie privée, obligation de loyauté, trouble objectif : que peut réellement faire un employeur en France ?
La vie privée, un principe protecteur
Le droit français protège strictement la vie privée des salariés. Le salarié bénéficie, même sur le lieu et le temps de travail, du droit au respect de sa vie privée, ce qui inclut sa vie sentimentale.
– Article 9 du Code civil et article 8 de la CEDH : chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale.
En France, environ 14 % des couples se forment sur leur lieu de travail, selon une étude de l’Ifop en 2018. Rencontrer sa moitié au boulot est une réalité pour de nombreux Français, logique, car ce lieu reste un espace important de sociabilisation pour tout individu. L’employeur ne peut ni imposer le célibat, ni interdire les relations sentimentales entre collègues (Cass. soc., 7 févr. 1968).
Un licenciement fondé sur l’existence d’une relation amoureuse est nul car il viole une liberté fondamentale. En conséquence, une relation amoureuse entre adultes consentants ne peut, en principe, justifier un licenciement, sauf exceptions.
Une relation amoureuse peut se dégrader… et affecter directement le climat social
Deux exceptions encadrées par la jurisprudence
L’employeur peut néanmoins agir dans deux hypothèses :
1. Manquement à une obligation contractuelle (loyauté, conflit d’intérêts).
Certaines fonctions (cadres dirigeants, DRH) imposent une transparence particulière.
Exemple : le licenciement pour faute grave d’un DRH ayant caché sa relation avec une salariée détentrice de mandats syndicaux, situation jugée contraire à son obligation de loyauté (Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218).
2. Trouble objectif dans l’entreprise.
Un comportement lié à la vie privée peut justifier un licenciement s’il cause un retentissement négatif dans l’entreprise.
Exemple : un supérieur hiérarchique entretenant une liaison avec une subordonnée a pu être licencié pour faute simple, sa crédibilité étant atteinte (Cass. soc., 25 sept. 2019).
Le trouble ou le manquement doit être caractérisé. Ainsi le fait pour un salarié d’avoir posé une balise sur le véhicule personnel d’une collègue avec qui il a entretenu une relation amoureuse afin de la surveiller et celui de lui avoir envoyé deux courriels intimes au moyen de l’outil professionnel relèvent de la vie personnelle du salarié et ne constituent pas un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail ; les faits n’ayant eu aucun retentissement au sein de l’entreprise ou sur la carrière de la salariée (Cass. soc. 16-12-2020 n° 19-14.665 F-D, Sté Banque populaire c/ X.)
Si le licenciement est motivé par la seule existence d’une telle relation, il est nul et ouvre droit à la réintégration ou à une indemnité spécifique. La frontière entre vie privée et vie professionnelle se détermine principalement à l’aune du retentissement des faits sur l’entreprise et du respect des obligations découlant du contrat de travail. En clair, c’est une question de circonstances et de potentielles conséquences néfastes de la relation.
Dirigeants et DRH : un cas particulier
La question du conflit d’intérêts entre un PDG et une DRH est plus nuancée. Les deux incarnent l’employeur, ce qui rend difficile de démontrer une atteinte à la loyauté. La Cour de cassation a ainsi annulé, en juin 2025, le licenciement d’une salariée en raison d’une liaison avec le Président, jugeant la mesure nulle (Cass. soc., 4 juin 2025, n° 24-14.509).
Attention toutefois : lorsqu’il s’agit d’un mandataire social (PDG, DG), les règles sont différentes. Leur mandat peut être révoqué ad nutum par le conseil d’administration, sans avoir à motiver la décision.
Le véritable enjeu : l’image et la communication
En pratique, les conséquences d’une liaison dévoilée tiennent moins au droit du travail qu’aux répercussions médiatiques et internes :
– réactions des salariés,
– perte de crédibilité du management,
– atteinte potentielle à l’image de marque.
Le risque majeur pour l’entreprise n’est donc pas tant juridique que réputationnel. La crise est souvent médiatique avant d’être juridique. Et n’oublions pas : une relation amoureuse peut se dégrader… et affecter directement le climat social.
Certaines fonctions (cadres dirigeants, DRH) imposent une transparence particulière
Sensibiliser les équipes dirigeantes
Les liaisons amoureuses au travail sont une réalité sociale, parfois même au plus haut niveau. Le droit français offre une protection forte de la vie privée : une relation consentie entre adultes ne constitue pas, en soi, un motif de licenciement. Seuls un manquement à la loyauté ou un trouble objectif pour l’entreprise peuvent justifier une rupture du contrat. En définitive, le véritable enjeu pour les employeurs n’est pas tant juridique que managérial et réputationnel. Anticiper ces situations, mettre à jour les chartes éthiques, sensibiliser les équipes dirigeantes et préparer une communication adaptée permettent de limiter les risques. Car au sommet comme ailleurs, l’amour peut surgir… mais ses conséquences se jouent souvent plus dans l’opinion publique que dans les tribunaux.
Le véritable enjeu pour les employeurs n’est pas tant juridique que managérial et réputationnel
À retenir pour les chefs d’entreprise
– Une liaison consentie entre salariés ne constitue pas, en soi, une faute professionnelle.
– Un licenciement n’est possible qu’en cas de manquement à la loyauté ou de trouble objectif.
– Pour un mandataire social, la révocation reste libre, sans justification obligatoire.
– Anticiper : actualiser les chartes éthiques et codes de conduite pour gérer ces situations sensibles.