Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

[ Lot-et-Garonne ] Il faut sauver le soldat Libraire

La troisième génération de Delbert est à nouveau confrontée, confinement oblige, à la fermeture de la librairie agenaise historique Martin-Delbert. Entretien avec Frédéric Delbert, un « héritier » qui se passerait bien de ce cauchemar.

librairie commerce confinement

Photo de Element5 Digital provenant de Pexels

La Vie Économique : Refaisons l’Histoire. Deux générations qui auront traversé sans soucis un siècle et vous qui, aujourd’hui, vivez ce que les deux précédentes n’ont jamais vécu. Pouvez-vous nous raconter en quelques mots l’histoire de votre librairie et le rôle incontestable qu’elle joue à Agen et bien au-delà en Lot-et-Garonne ?

Frédéric Delbert © D. R.

Frédéric Delbert : « Depuis 1850, notre famille a exercé la profession de commerçant. Livres religieux et papeterie dans un premier temps puis elle est, au fil des années, devenue une librairie généraliste tout en maintenant une activité papetière, et parfois de grossiste. Je ne dirais pas que les deux générations précédentes ont traversé le siècle sans soucis. Il y a eu 2 guerres même si elles furent moins impactantes à Agen que dans d’autres régions de France, mon grand-père ayant été réquisitionné deux fois. Avant la deuxième qu’il n’avait pas prévu, l’entrepreneur qu’il était avait investi et dans l’immobilier et dans le négoce. Ma grand-mère, son épouse, a mis au monde mon père en 1945 vers la fin de la guerre. Son mari est décédé 2 ans après à l’âge de 54 ans, laissant derrière lui une mère et son fils de deux ans criblés de dettes. Ma grand-mère, Blanche Delbert, avait alors le choix de vendre pour payer les dettes ou de sauver ce qu’elle pouvait sauver. C’est la deuxième option qu’elle a retenue, du haut de ses 47 ans. »

Toutes les générations d’Agenais connaissent la librairie. Ils y sont venus enfants, puis adolescents, puis adultes lorsqu’ils sont restés ou revenus à Agen et enfin, en tant que parents, car la magie d’un enfant ouvrant un livre (et les bienfaits qu’il en retire) est immuable. Dans un monde de plus en plus déconnecté, dématérialisé et dépolarisé, la librairie reste un lieu rassurant, où l’on trouve autant de livres pour comprendre notre monde que pour s’en échapper et nourrir son imaginaire, et dans lequel on peut échanger avec de vrais passionnés. Je pense que s’il y a eu un tel tollé suite à la fermeture des librairies pour ce deuxième confinement, ce n’est pas un hasard ou un coup de com’, les librairies ayant vraiment manqué aux Français pendant le premier confinement car les écrans, au bout d’un moment, vous mettent en overdose ! »

Dans un monde de plus en plus déconnecté, dématérialisé et dépolarisé, la librairie reste un lieu rassurant

LVE : Quel regard portez-vous sur le premier confinement et quelles leçons en avez-vous tirées ?

F. D. : « Lors du premier confinement, comme beaucoup de monde, nous étions abasourdis par la nouvelle. Nous ne savions rien sur la maladie, nous n’étions pas équipés pour protéger nos salariés ou nos clients et il était à ce moment-là impératif de fermer par civisme. Nous avons ensuite très rapidement communiqué sur notre site de vente en ligne www.martin-delbert.fr et nous proposions soit l’expédition à un coût réduit (à perte pour nous) soit le retrait au Bureau de Tabac de La Poste qui nous a beaucoup aidés pendant cette période. Au 11 mai, nous étions l’un des seuls commerces du centre-ville à imposer le port du masque à tout le monde et la désinfection des mains car sans imaginer une seconde vague de cette ampleur, nous savions que c’était loin d’être fini. »

Fermer nos librairies qui ont été exemplaires partout en France est incompréhensible

LVE : Comment appréhendez-vous celui déclenché le 30 octobre dernier dont on ne sait s’il faut le nommer second ou deuxième, hélas ?

F. D. : « La première chose est évidente : il faut tout faire pour sauver des vies et nous comprenons qu’avec la circulation des gens, le virus circule lui aussi plus activement. Mais c’est essentiellement dû aux endroits dans lesquels la population ne peut pas porter de masques, donc c’est ceux-là qu’il fallait fermer en priorité, avec naturellement des aides financières à la hauteur.

Mais fermer nos librairies qui ont été exemplaires partout en France, est parfaitement incompréhensible. La fin d’année (novembre-décembre) pèse 40 % de notre activité et de nombreux libraires ne doivent leur survie qu’à cette période. Nous en priver sera lourd de conséquences et ne fera qu’enrichir une entreprise, Amazon, qui ne paie pas d’impôt et alourdit à chacune de ses ventes l’état des finances de la France, la privant de recette fiscale.»

 

LIBRAIRE MARTIN DELBERT © D. R.

 

LVE : Concrètement, quels sont vos moyens de « résistance » et de « survie » pour vous comme pour vos salariés ?

F. D. : « Mettre 70 % de vos équipes au chômage partiel et faire travailler les 30 % restants à perte, avec tout l’enthousiasme qui nous anime habituellement, c’est vraiment un crève-cœur, d’autant qu’on commençait tout juste à sortir le nez de l’eau suite au premier confinement. Pour résister, nous avons notre site Internet, nos réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Tweeter), le téléphone, le mail, et nos rayons papeterie qui nous permettent d’ouvrir ces derniers en accès libre (notamment précieux pour les cartouches d’encres d’imprimantes mais pas seulement). Concrètement, nous avons 50 000 références de livres en stock, nous recevons toujours les nouveautés et les livres que nos clients commandent quand ils ne sont pas forcément en rayon. Seuls les rayons papeterie sont en libre-service mais un peu comme dans une pharmacie, si le public vient et nous dit « j’ai besoin de deux doses de Serge Joncour et d’une dose de Riad Sattouf (dont l’album vient de sortir) » il pourra repartir avec ! Nous allons intensifier notre communication afin de maintenir du lien, en espérant que le public attende la réouverture pour leurs achats de Noël, plus faciles en flânant qu’en regardant des catalogues. »

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