Quand il rejoint son bureau installé au cœur de la grande tour du château après avoir ouvert l’imposante et grinçante porte en bois vieille de plusieurs siècles, Gautier Rosso ressent inlassablement la même émotion : « Il me surprend encore tous les jours ! » ajoute même le jeune directeur du château de Bonaguil. Arrivé au poste de directeur le 1er mars dernier, Gautier Rousso est en terrain conquis. C’est en effet sur ce lieu prestigieux qu’il officiait comme guide touristique à l’été 2006 alors qu’il n’était encore qu’étudiant en master pro « valorisation du patrimoine et ingénierie culturelle » du pôle patrimoine de Cahors, rattaché au département d’Histoire de l’art et Archéologie de l’université de Toulouse-Le Mirail. Passé ensuite par l’office de tourisme du Grand Villeneuvois, où pendant 15 ans il occupa plusieurs fonctions allant de la valorisation du patrimoine à la communication, Gautier Rosso avait le profil idéal pour succéder à Patrick Arassus, qu’il a connu lors de son stage et de sa 1ère expérience de guide en 2006.
Synthèse du Moyen-Âge
Site unique de par son ampleur et son état de conservation, Bonaguil est le dernier grand château-fort conçu en France à une époque, le XVe siècle, où cessaient les constructions défensives. Avec ses structures défensives médiévales classiques, le château situé au Nord du Lot-et-Garonne (aux portes du Périgord et du Quercy) se démarque grâce à la présence d’éléments plus modernes adaptés aux armes à feu et son confort symbolisé par la présence de latrines (ancêtres des toilettes) à chaque étage : « C’est une synthèse parfaite des constructions médiévales qui illustre l’évolution des techniques de défense du Moyen-Âge à la Renaissance, jusqu’aux prémices des fortifications à la Vauban dans la perspective de l’artillerie à feu ! Son état de conservation est tel qu’il a été cité en exemple par Viollet-Le-Duc, Lawrence d’Arabie ou bien encore André Breton » souligne le directeur du château.
Bonaguil est le dernier grand château-fort conçu en France
L’influence de Bérenger de Roquefeuil
Si le premier document connu témoignant de l’existence de Bonaguil date de 1271, en faisant référence à la prise de possession de l’Agenais par Philippe III le Hardi (Roi de France), il faut surtout attendre le XVI et XVII siècle pour en savoir plus sur la place-forte. Alors que le site n’est pourvu que d’une simple tour de pierre, base du donjon actuel, Bérenger de Roquefeuil (1448-1530) va profondément métamorphoser le château, pour lequel il consacrera plus de 30 ans de sa vie. Issu de l’aristocratie du Quercy et du Rouergue, il dote le château-fort d’une énorme barbacane, de 6 tours dont une est parmi les plus belles du pays, de 7 ponts-levis, d’une chicane, d’une casemate, de canonnières et d’une tour moineau percée de meurtrières pour une défense plus incisive encore des fossés.
Bérenger de Roquefeuil (1448-1530) va profondément métamorphoser le château, pour lequel il consacrera plus de 30 ans de sa vie
« Bérenger de Roquefeuil possédait 30 châteaux, mais son préféré restait Bonaguil qu’il a façonné tel qu’on le connaît aujourd’hui » ajoute Gautier Rosso. La forteresse connaîtra ensuite un nouvel aménagement, plus moderne, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par l’intermédiaire de Marguerite de Fumel qui aménage une esplanade, supprime les ponts-levis et réaménage les appartements seigneuriaux. C’est à partir de l’inventaire réalisé après son décès que les équipes actuelles menées par Gautier Rousso connaissent aujourd’hui encore l’emplacement et les fonctions de chaque meuble et chaque pièce de Bonaguil au XVIIIe siècle. Peu épargné par la Révolution, quand une loi de 1793 donne l’ordre d’abattre les constructions jusqu’au corps de logis et de décapiter les tours, le château-fort lot-et-garonnais perd ses bois et huisseries avant de tomber dans l’oubli puis d’être racheté en 1860 par la ville de Fumel qui le classe au titre des Monuments Historiques 2 ans plus tard. « Nous avons pu restituer, dans les années 80, les planchers afin de protéger la salle seigneuriale, où se trouvent aujourd’hui les fauteuils et une armure, accessible aux visiteurs. Nous avons également retrouvé tout le matériel d’un atelier de fabrication de fausse monnaie datant du XVIIe siècle » raconte le directeur du château.
Bonaguil est le dernier grand château-fort conçu en France © Cédric Zacchia
En quête d’identité
Accaparé par la saison estivale qui bat son plein, le nouveau directeur de Bonaguil attend l’automne pour se pencher sur l’avenir de ce site qui attire en moyenne plus de 70 000 visiteurs chaque année. Selon la feuille de route fixée par la mairie de Fumel, propriétaire du château, l’objectif sera de repositionner Bonaguil en lui trouvant une nouvelle identité dans le but de développer la fréquentation : « On connaît le château des Milandes de Joséphine Baker, celui de Castelnaud pour ses armes de guerre, Chambord et ses 1 000 cheminées, Marqueyssac pour ses jardins suspendus…alors que Bonaguil n’a pas d’image associée à son histoire. Il faut trouver un personnage emblématique, mais son bâtisseur Bérenger de Roquefeuil n’est pas assez connu, créer une identité forte peut-être sur son aspect défensif ou bien lui donner du contenu plus moderne avec des visites interactives, des hologrammes…nous sommes devant une feuille blanche, mais on ne s’interdit pas de rêver » précise Gautier Rosso qui va s’entourer d’un comité de spécialistes pour plancher sur l’avenir de la forteresse.
L’objectif sera de repositionner Bonaguil en lui trouvant une nouvelle identité
Parmi les pistes retenues, celle menant aux entreprises pourrait également être vite développée. Le directeur de Bonaguil reçoit en effet des demandes de location du château pour des séances de team building qui pourraient compléter une offre d’animations déjà existantes comme l’escape game (ouvert toute l’année), la descente en rappel ou les murder party organisées en pleine saison : « Le lieu a du potentiel ! Il y a aussi l’image forte du festival de théâtre sur laquelle nous pourrions nous appuyer pour développer une thématique autour de la culture » souligne Gautier Rosso. ■
C’est sous l’impulsion de la célèbre troupe voisine des Baladins en Agenais que Bonaguil se transforme en scène de théâtre nocturne à chaque mois d’août depuis 1985.
Théâtre au clair de lune
Depuis 60 ans, le château de Bonaguil accueille un festival qui, après avoir été dédié à la musique classique, est devenu aujourd’hui une référence nationale pour les amateurs de théâtre. C’est en effet sous l’impulsion de la célèbre troupe voisine des Baladins en Agenais que Bonaguil se transforme en scène de théâtre nocturne à chaque mois d’août depuis 1985. Installée au pied des tours, dans les fossés du château, la scène de Bonaguil a vu se produire les plus grands comédiens français allant de Jean Marais à Roger Louret, Nicolas Briançon, Muriel Robin, Annie Girardot, Michel Galabru, André Dussollier, Francis Huster, Francis Perrin… Événement culturel majeur dans tout le sud-ouest, le festival de Bonaguil (organisé par l’Association du festival de Bonaguil) est apprécié autant par ses nombreux spectateurs, avec une large programmation touchant tous les publics, que par les acteurs impressionnés par la majestuosité du site, son décor naturel et ses représentations nocturnes. Pour son 60e anniversaire, le festival de Bonaguil se déroulera cette année les nuits du 02 au 07 août et proposera 6 pièces de théâtre avec de la comédie (Au Scalpel avec Bruno Salomone et Davy Sardou), de la comédie shakespearienne (Belles de scène), du grand spectacle (Les 3 Mousquetaires), un road-movie (Braconniers), une comédie familiale (Colorature) et un concert burlesque (Globetrotters).
