Couverture du journal du 02/04/2025 Le nouveau magazine

Agnès Jaoui : une certaine idée du cinéma

La comédienne et réalisatrice entame son deuxième mandat en tant que présidente de la Cinémathèque de Toulouse. Avec pour ambition de poursuivre son travail entamé depuis 2021 : démocratiser l’institution toulousaine qui fait actuellement peau neuve.

Agnès Jaoui

Agnès Jaoui © Silex Films - CPCF 5 - 2023

La Vie Economique : Quels vont être les axes de votre deuxième mandat à la tête de la cinémathèque ?

Agnès Jaoui : Nous allons continuer sur notre envie d’ouvrir cette institution aux jeunes publics tout d’abord mais aussi, et plus largement, aux Toulousains et aux personnes de toute la région. L’an passé, on avait organisé un week-end « Désirs d’Orient » avec trois cinéastes, Mehdi Ben Attia, Leyla Bouzid et Narjiss Nejjar, ainsi qu’une actrice, Hiam Abbass. C’était un rêve, la salle était pleine et j’ai vu beaucoup de jeunes, de gens issus de milieux différents. Les débats ont duré longtemps après les films. J’ai eu l’impression de faire œuvre utile car on vit dans un monde de castes qui ne se regardent plus, qui sont pleines d’a priori les unes envers les autres. Je me dis que rien ne vaut l’échange physique, intellectuel. Quand on voit ça, on se dit que tout n’est pas perdu.

LVE : Vous parlez de décloisonnement, c’est à la cinémathèque de faire l’effort d’aller vers des publics qui ne la connaissent pas ?

A. J. : Pas uniquement, cela fonctionne dans les deux sens. Les sorties scolaires qui amènent des jeunes à la cinémathèque, c’est important. On doit aussi se rendre vers eux, je le fais via des échanges dans des collèges, des lycées de la région. Avec des publics éloignés de la cinémathèque et même du cinéma de façon générale. J’explique aussi que notre programmation mêle des films « mainstream » et d’autres moins connus. Ce mélange est important.

LVE : Vous ne pensez pas que les jeunes s’initient aux films par les plateformes comme Netflix aujourd’hui ?

A. J. : Oui, et c’est une avancée positive. Mais il y a un côté sombre, celui des algorithmes qui vous enferment dans une bulle, sans vous ouvrir à d’autres types de films. Au-delà de cela, ces plateformes savent tout de vous, c’est vertigineux.

Agnès Jaoui

La Cinémathèque de Toulouse © D. R.

LVE : Un autre axe de votre mandat est de mettre en avant la place des femmes dans le cinéma ?

A. J. : Oui, car on se rend compte que de nombreuses cinéastes ont été invisibilisées. J’ai envie de faire connaître le travail de ces femmes qui ont disparu des radars. L’absence de femmes aux César dans les catégories meilleur film et meilleure réalisation m’a chagriné. Coralie Fargeat (César du meilleur film étranger cette année, ndlr) aurait pu y figurer, tout comme Louise Courvoisier (César du meilleur premier film, ndlr). On peut se poser la question des quotas. Même si ça paraît artificiel, c’est aussi comme ça qu’on fait bouger les choses.

LVE : Quel œil portez-vous sur la réduction des financements publics pour la culture ?

A. J. : Il y a de quoi s’inquiéter. La culture est toujours la première variable d’ajustement et c’est une erreur totale. La culture est aussi un outil de soft power, ce que les Américains ont compris depuis de nombreuses années. J’entends souvent l’idée que la culture doit être rentable. On s’est mis à raisonner comme cela à propos de tout… De l’enseignement, de la santé. Et si ce n’est pas rentable, c’est coupable. Je n’adhère pas à cette idée. La culture n’est pas biberonnée aux subventions publiques, les intermittents ne roulent pas sur l’or. Certains pays ont tué leur cinéma en réduisant toujours plus l’aide à la culture.

LVE : Est-ce que le secteur privé peut compenser cela ?

A. J. : Il existe des fondations qui font un travail remarquable. Mais mon expérience à la cinémathèque m’incite à penser que le mécénat reste assez peu développé en France.

LVE : Après un roman et un album l’an passé, quels sont vos projets pour cette année 2025 ?

A. J. : Je mets en scène Don Giovanni à l’opéra du Capitole cet automne. Je dois aussi débuter la réalisation d’un long-métrage qui sera tourné à Paris et dans le sud-est de la France à partir de mai. J’ai aussi des projets comme actrice. Et puis je suis en concert un peu partout. Pas encore à Toulouse, mais on le fera un jour. L’un de mes rêves serait de pouvoir chanter avec l’orchestre du Capitole comme j’avais pu le faire à Paris avec l’orchestre Lamoureux.

Encore un an de travaux pour la Cinémathèque

Le second mandat d’Agnès Jaoui sera aussi marqué par la réouverture des locaux de la cinémathèque rue du Taur, en plein centre-ville toulousain. Elle est prévue au premier trimestre 2026 selon Pierre Esplugas-Labatut, adjoint au maire en charge des arts de l’image. Prévus depuis 15 ans et chiffrés à 4 millions d’euros, ces travaux ont commencé en septembre dernier. Ils consistent en l’ajout d’une troisième salle d’une centaine de places, la création d’un bar, d’une salle d’exposition. Le centre de conservation et de recherche à Balma va aussi connaître des travaux. « Il fallait dire non à la conservation de films qui venaient du monde entier. C’était violent car c’est notre mission », rappelle Agnès Jaoui. Plus de 50 000 films sont conservés dans ce centre de Balma.