Un animal a-t-il des droits ? À cette simple question, pas de réponse simple. En effet, en droit français, la conception utilitariste domine le vivant non humain et, selon qu’il soit domestique, sauvage, protégé ou non, l’animal sera traité distinctement. Dans ce cadre pluriel, l’évolution de la législation se heurte régulièrement aux intérêts économiques liés à l’exploitation des animaux ou celle des espaces naturels dans lesquels ils vivent. Mais alors, comment sortir de cette impasse qui nous éloigne du vivant ?
Loin des clichés
Le droit animalier fait parfois figure de curiosité dans le paysage juridique. Loin du cliché d’un « droit des chiens et des chats », ce domaine concerne l’ensemble des dispositions légales et réglementaires et des décisions de justice relatives aux animaux, de la fourmi rouge à la baleine bleue. Dans cette matière – contrairement là aussi aux idées reçues – les règles protectrices n’interviennent qu’à la marge et il s’agit, avant tout, de réglementer les moyens d’encadrer, d’utiliser, d’exploiter, voire de détruire les animaux.
Distinction domestique/sauvage
La matière est particulièrement difficile à appréhender tant les dispositions sont dispersées entre les différentes branches du droit : du droit rural au droit pénal, en passant par le droit civil ou encore le droit de l’environnement, sans compter les dispositions européennes et les solutions prétoriennes. De plus, les règles concernent une diversité d’animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages, de travail, d’expérimentation, de rente, destinés à être aimés, mangés, dépecés, chassés, exposés, à divertir, ou d’autres choses encore selon l’utilité que peut en retirer l’humain. À ces différentes situations correspondent des catégories auxquelles s’appliquent des régimes juridiques distincts. L’une des distinctions fondamentales demeure néanmoins la distinction domestique/sauvage, même si, là encore, il peut y avoir des nuances. Le règne animal ne se laisse donc pas si aisément saisir par le droit. Et les difficultés, parfois même les contradictions, abondent lorsqu’il s’agit de réfléchir au statut de l’animal et de réformer la matière. Pour autant, la difficulté n’effraie pas certains juristes qui s’emploient à interroger les frontières conceptuelles ou à proposer des modifications législatives tendant à une meilleure prise en compte du caractère vivant et sensible des animaux.
L’université Toulouse Capitole a ouvert un DU en 2025, en partenariat avec l’école nationale vétérinaire de Toulouse
Un champ en pleine construction
Aujourd’hui, le droit animalier est un champ disciplinaire en pleine construction. En témoignent, d’abord, au niveau de la recherche, la multiplication de colloques, de publications et le succès de la Revue semestrielle de droit animalier qui prête la plume, dans un esprit d’ouverture et d’interdisciplinarité, aux juristes de toutes les spécialités académiques, mais aussi aux philosophes, aux historiens, aux économistes, ou encore aux vétérinaires.
Au niveau de l’enseignement, ensuite, l’offre s’étoffe également : après l’initiative pionnière de Limoges, certaines universités proposent des formations dans le domaine du droit applicable à l’animal. Dans le Sud-Ouest, l’université Toulouse Capitole a ouvert en 2025, en partenariat institutionnel avec l’école nationale vétérinaire de Toulouse, un diplôme universitaire (DU) à destination des étudiants et des professionnels désireux de compléter leur cursus et d’acquérir des compétences supplémentaires.
Un contentieux en plein essor
La matière intéresse autant les avocats que les vétérinaires, les forces de l’ordre, ou encore les agents qui officient au sein d’administrations comme l’OFB (Office français de la biodiversité) ou les DDPP (direction départementale de la protection des populations). En ce qui concerne, enfin, la pratique, la matière connaît, depuis plusieurs années, un contentieux en plein essor, notamment parce que les associations de protection animale mobilisent utilement le droit en déposant des recours administratifs ou en investissant l’arène judiciaire. L’explosion du contentieux a d’ailleurs conduit certains parquets, à l’instar de celui – pionnier – de Toulouse, à créer des pôles dédiés à la lutte contre la maltraitance animale et les atteintes à l’environnement.
Reconnaître les limites de la législation actuelle
En matière pénale, l’importante loi du 30 novembre 2021 a durci les sanctions en portant à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende les peines encourues par les auteurs de sévices graves, d’actes de cruauté ou d’abandons volontaires, infligés à des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Sur le papier, le droit offre donc à ces animaux une sérieuse protection. Mais entre la théorie et la réalité, il y a, en la matière, un gouffre abyssal. D’une part, les courbes statistiques de la maltraitance ne cessent malheureusement d’augmenter chaque année et, d’autre part, les peines prévues par les textes sont trop rarement appliquées par les tribunaux. Il en va de même pour les atteintes aux espèces sauvages protégées dont les sanctions pourtant sévères apparaissent, dans les faits, bien peu dissuasives aux délinquants déterminés.
Perspective de déréification
Afin de rendre plus effective la protection, certains juristes plaident ainsi, dans une perspective de déréification, pour diverses évolutions telles que l’attribution de la personnalité juridique aux animaux ou encore un réaménagement du régime des biens. Ces propositions sont intéressantes, mais passent parfois pour utopiques. Si du point de vue de la pure technique juridique, ces changements sont possibles, la logique et la tradition semblent, pour l’instant, y faire obstacle. De même, qu’on le veuille ou non, notre rapport aux animaux s’articule encore autour des logiques de propriété et d’utilisation. Comment continuer de les posséder, de les élever, de les utiliser, de les manger, tout en leur accordant des droits ?
Un droit ambivalent
Cela renvoie finalement à la particularité du droit animalier qui demeure un droit ambivalent, où le législateur, dans un impossible « en même temps », essaie de protéger une créature née pour servir, pour mourir, pour satisfaire les « besoins » de l’humain. L’animal est un être sensible mais… les besoins de l’alimentation, de l’expérimentation, du divertissement, du commerce, aboutissent, in fine, à occulter cette sensibilité. Pire, nos catégories juridiques – qui, chaque juriste le sait, ne sont que de la pure fiction – sont, certes, pratiques pour ranger l’animal selon nos besoins mais ne reflètent en rien la réalité. La cruauté envers les animaux sauvages, par exemple, est un angle mort sur lequel le législateur serait bien avisé de se pencher.
Le critère de l’utilité domine largement
Il n’y a donc, on le voit, aucune réelle logique naturelle, biologique, scientifique dans ces classifications. En ce domaine, comme dans bien d’autres, le critère de l’utilité domine largement. Il arrive aussi que, pour des raisons économiques ou politiques, la législation protectrice régresse. En matière environnementale, par exemple, la loi d’orientation agricole du 24 mars 2025, en exigeant la démonstration d’un élément intentionnel est venue rendre plus complexe la répression des atteintes aux espèces protégées. Sur un autre plan, l’adoption, début juillet, de la controversée loi « Duplomb » marque un recul historique en matière de protection du bien-être animal et de l’environnement.
La loi « Duplomb » marque un recul historique en matière de protection du bien-être animal
Par le droit et au-delà du droit
Pour que les règles protectrices des animaux s’appliquent, encore faut-il qu’elles soient connues. Si les étudiants – ou plus tard, les avocats ou les magistrats – veulent se familiariser avec la matière, il faut donc qu’ils optent pour une formation complémentaire. De même, les acteurs de terrain, à l’instar des policiers et gendarmes, qui sont généralement les premiers confrontés aux actes de maltraitance, d’abandon, ou de détention illégale, manquent de formation sur ces sujets. Si certaines associations œuvrent à combler ces carences, le travail de sensibilisation et de transmission du savoir et des outils, reste immense. Des responsables associatifs, en passant par les forces de l’ordre, les vétérinaires, les avocats, et jusqu’aux magistrats, tous les acteurs concernés, à différentes étapes du processus, doivent maîtriser les règles applicables, sans quoi la chaîne de suivi de l’infraction ne peut fonctionner. Il importe donc de poursuivre et d’amplifier l’effort pédagogique.
Des cours sur le respect du vivant en primaire
Dire cela, c’est encore traiter le mal. En réalité, il faudrait remonter plus haut pour endiguer le phénomène puisque, pour reprendre les sages paroles de l’historien Jules Michelet, « un système de législation est toujours impuissant, si l’on ne place pas à côté un système d’éducation ». L’intégration, dès l’école primaire, de cours sur le respect du vivant (il existe depuis 2021 une « sensibilisation au respect des animaux de compagnie », formule dont on regrette la portée restrictive) paraît constituer une mesure de bon sens.
Respecter les autres êtres vivants
En matière alimentaire, les produits ultratransformés associés à l’euphémisation croissante du vocabulaire éloignent des réalités – qu’il est, d’ailleurs, plus confortable d’ignorer. En matière environnementale, l’anthropisation galopante repousse toujours plus les animaux sauvages vers des zones réduites ; assignés à résidence, ils font figure d’indésirables et suscitent l’affolement lorsqu’ils franchissent ce qui s’apparente à des frontières. Chacun son espace, chacun sa place. Est-il besoin de rappeler que la destruction et l’artificialisation des milieux naturels constituent la première cause d’effondrement de la biodiversité ? Dans une société qui semble de plus en plus perdre la raison, apprendre à se reconnecter à la Nature, à respecter les autres êtres vivants, quels qu’ils soient, devrait être l’une des priorités.
Le règne animal ne se laisse pas si aisément saisir par le droit