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Expo / Toulouse – Oli casse les codes

Invité par le musée des Abattoirs, Olivio Ordonez – alias Oli du duo Bigflo & Oli – a construit son Musée imaginaire. Une exposition qui mêle art contemporain et pop culture, bâtie avec une volonté forte de l’artiste : ouvrir grandes les portes du musée à celles et ceux qui n’osent pas les pousser. À découvrir jusqu’au 4 mai.

Oli

Oli, commissaire de l’expo Le Musée imaginaire d’Oli ©axanledre / Alexandre Leclercq

« Le plus grand musée du monde, c’est celui qu’on a dans la tête. » Olivio Ordonez (alias l’Oli de Bigflo & Oli) nous invite à entrer dans la sienne, troquant sa casquette de rappeur pour celle de commissaire de l’exposition Le Musée imaginaire d’Oli, qui se tient jusqu’au 4 mai au musée des Abattoirs. C’est la première fois que le musée d’art moderne toulousain, qui prévoit de renouveler l’expérience dans un an avec le styliste Jean-Charles de Castelbajac, donne carte blanche à un artiste à son invitation « Une fierté » pour Oli, qui a découvert l’art avec sa mère aux Abattoirs lorsqu’il était enfant. « Au début, je ne voulais pas y aller ; à la fin, je ne voulais plus partir », se souvient-il dans une chanson et un clip réalisés et diffusés pour l’exposition.

L’art pour tous

Dès l’escalier qui mène à l’exposition, le ton est donné. Jean-Publik – un petit personnage créé par l’illustrateur français Pierre Mortel à la demande d’Oli – dédramatise l’accès à l’art. « Petit rappel : on a le droit de prendre son temps, de ne pas tout lire, de critiquer, d’inventer des explications, de ne pas tout lire, d’aimer », affirme-t-il. « Le but de cette expo est de faire venir des fans de rap qui se disent “ ah, les musées, c’est pas pour nous. C’est pour une élite qui ne nous est pas ouverte ! ” », nous explique Oli qui s’est donné la mission de « rester abordable et populaire dans le bon sens du terme ». Un peu comme il le fait déjà avec son frère pour le rap finalement.

Un storytelling, un vrai fil conducteur

En parallèle, l’artiste a également voulu « casser les clichés ». « Certains acteurs de l’art se demandaient bien ce qu’un rappeur allait pouvoir faire dans un musée ; et ils s’aperçoivent finalement que dans cette exposition, il y a une sensibilité, un storytelling, un vrai fil conducteur », se félicite Oli. Car celui-ci n’est pas un novice en matière d’art. « Petit à petit, je me suis forgé de vraies connaissances. J’ai eu la chance de côtoyer des artistes de ces milieux-là », explique Oli qui a voulu « régaler deux univers en même temps : respecter l’essence et la complexité de l’art contemporain, sans tomber dans le snobisme ».

Oli

© Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

Hommage à la famille

À travers son Musée imaginaire, Oli propose de découvrir plus de 80 œuvres d’art contemporain, moderne ou de culture pop, issues des collections des Abattoirs mais aussi des œuvres inédites, au fil d’un parcours évoquant son histoire personnelle, sa relation avec l’art et toujours, sa volonté de démocratiser l’accès à ce dernier.

Dans la salle consacrée à la famille (Album de famille), une valeur chère à Oli, le commissaire de l’exposition a installé en son centre l’imposant cube en verre qui avait servi de studio à Bigflo et Oli pour tourner le clip de leur chanson Joyeux bordel. Sur le mur de gauche, quatre œuvres : une compression murale de César, la vitrine intitulée Bloom (Rien ne se perd) de Bianca Bondi, un Outrenoir de Pierre Soulages et Still here, un verre d’eau posé sur un socle de l’Argentin Eduardo Basualdo. Chacune des œuvres est surmontée d’un commentaire, naïf mais légitime, de Fabian Ordonez, le père d’Oli, peu habitué des musées. « Je l’accrocherai pas chez moi », dit-il au sujet de la compression de César, ou encore « Ça me fait penser à la chanson de Johnny, Noir c’est noir », à propos du Soulages. Une façon encore de décomplexer ceux qui n’ont pas tous les codes de l’art.

Je voulais respecter l’essence et la complexité de l’art contemporain, sans tomber dans le snobisme.

Quatre Marylin de Warhol

À droite, une série de quatre Marylin – sérigraphies sur papier non originales mais issues du studio Andy Warhol – fait face à quatre portraits de Patricia, la mère d’Oli, photographiée à la manière de Warhol par Odieux Boby. Sur trois d’entre eux, elle est coiffée des mêmes cheveux blonds que Marylin ; sur le quatrième, on la voit, toujours aussi féminine, crâne nu. « C’était un moyen pour moi de rendre hommage à ma mère qui était en chimio pendant que je préparais l’exposition », nous confie Oli.

Oli

© Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

Influence de l’art urbain

Une deuxième salle, « À ciel ouvert », est consacrée à l’art urbain qui a créé les premiers émois chez le chanteur toulousain. La graffeuse Fafi a réalisé pour l’exposition une œuvre sur une armoire électrique. L’enseigne lumineuse Les Reflets (Sandwich grec/turc) de Franck Scurti est placée au-dessus d’une vitrine de kebab grandeur nature sortie tout droit de l’imagination d’Oli. Passant devant, on se laisse surprendre par le brouhaha d’une rue qui n’est autre que celui de la rue Pargaminières à Toulouse, où Oli allait se fournir en sandwichs lorsqu’il était plus jeune.

Oli

© Adagp, Paris, 2024 © courtesy des artistes © photo Cyril Boixel

Favoriser la rencontre

La troisième et plus grande salle est celle de la rencontre. Rencontre des artistes d’abord avec sur le mur de gauche, accrochées pêle-mêle, des dizaines d’œuvres qui forment un grand ensemble. Une lithographie de Joan Miró côtoie une encre sur papier de Keith Haring, issue de la collection personnelle d’Oli tandis qu’une huile sur toile d’Atsuko Tanaka jouxte un maillot dédicacé de Maradona. Un peu plus loin, un piano sans pianiste – ou seulement son ombre – joue les notes des chansons de Claude Nougaro, Toulouse ou encore Cécile ma fille. Juste à côté, sont accrochés un autoportrait du chanteur toulousain et le manuscrit original des paroles d’Ô Toulouse. C’est également la salle où se rencontrent les visiteurs invités à dessiner et accrocher leurs œuvres sur un immense pan de mur ou à se photographier dans un Photomaton. Ils récupéreront à la sortie le portrait de celui qui aura utilisé la machine avant eux…

Une lithographie de Joan Miró côtoie une encre sur papier de Keith Haring, tandis qu’une huile sur toile de Tanaka jouxte un maillot dédicacé de Maradona

Semer des graines

Oli a voulu « revoir un peu les habitudes du monde muséal ; apporter quelque chose de frais et de nouveau ». Et d’ajouter : « Là où le défi est réussi, c’est que je vois chez mes amis comme sur les réseaux sociaux que cette expo sème des petites graines en eux. En fait, mon objectif, c’est qu’en sortant, les visiteurs se disent, “ moi, mon musée imaginaire, il aurait été encore mieux ” ». La petite graine dans la tête de l’artiste a quant à elle commencé à germer. « J’aimerais beaucoup renouveler cette expérience, peut-être dans un musée parisien, avec uniquement des œuvres sorties de ma tête », conclut l’artiste. Moins de deux mois après l’ouverture du Musée imaginaire d’Oli, plus de 27 000 visiteurs ont déjà franchi ses portes.