Les images des tracteurs montant à Paris l’hiver dernier ne doivent pas faire oublier celles des agriculteurs en colère au début des années 90 découvrant l’arrivée des fruits et légumes espagnols à bas coût sur le marché français. À cette époque-là, il y a des questionnements qui parcourent le Sud-Ouest, et notamment à Marmande autour de la tomate. En 1995, la production restait encore assez traditionnelle, avec des cultures majoritairement en plein champ ou abris légers et très exposées aux aléas climatiques. En effet, ce n’est qu’en 1989 que les premières serres vitrées en Marmandais sont construites, alors qu’en Provence elles datent des années 70. Gilles Bertrandias se souvient du marasme de ces années : « Les modes de production traditionnels étaient en souffrance avec des productions aléatoires, et subissant la concurrence violente des tomates d’importation ». La mise en marché des tomates se concentrait alors autour du Cadran de Marmande et ce système de ventes aux enchères connaissait ses premières limites. Avec une offre peu adaptée au marché, les grossistes et négociants étaient en difficulté devant l’évolution des circuits de distribution et le poids grandissant de la grande distribution. La valorisation des tomates du Marmandais n’était plus au rendez-vous ce qui fragilisait les producteurs qui venaient d’investir lourdement ».
C’est alors que les producteurs marmandais s’unissent et décident de prendre leur destin en main en cherchant à comprendre comment en Bretagne ou dans le Sud-est, les producteurs font mieux, tant sur le plan technique que commercial. Le fruit de ces initiatives aboutit à ce que le groupe Marmandais (fédéré sous la SARL Solprim) rentre dans le réseau Rougeline (créé en 1990 en Provence). Il devient un opérateur indépendant mais acteur d’une marque collective. Ainsi, les producteurs s’impliquent, se remettent en question, et participent à une dynamique basée sur l’échange et la culture du progrès. L’histoire de Rougeline à Marmande vient de démarrer.
L’ouverture vers la grande distribution
À cette même période, en 1996, un jeune étudiant agenais effectue son stage de 4e année d’école d’ingénieur (école supérieure d’agriculture de Purpan) à Marmande, Gilles Bertrandias. Dans un premier temps, il effectue un travail d’analyse de performance auprès des serristes marmandais, et sans le savoir, il vient de mettre un pied au sein de Rougeline pour ne plus la quitter : « Ma famille était dans le milieu agricole. J’étais programmé pour devenir producteur, ma destinée était plutôt celle-là. La serre et la tomate, je ne connaissais pas cet univers. Je rentrais de quelques mois aux États-Unis, et ce projet avec les serristes, ici en Lot-et-Garonne, m’a intéressé. Très vite pendant mon stage on m’a dit, tu restes avec nous ! On m’a fait confiance et donné envie de m’engager dans l’aventure. Tout est allé très vite, et je ne me suis pas trop posé de questions. Après mon stage de fin d’études, j’avais encore six mois pour finir ma scolarité et valider mon diplôme d’ingénieur. J’étais donc toujours étudiant quand j’ai officiellement intégré l’entreprise au printemps 97 alors que la campagne de fraise débutait. La saison était là, et mes premières missions commerciales se précisaient ». Très vite, le néophyte comprend que le marché est en train de mut…