Couverture du journal du 02/10/2024 Le nouveau magazine

La success story Rougeline

En moins de 30 ans, Les Paysans de Rougeline sont devenus les premiers producteurs français de tomates, passant d’une filière en crise à un fleuron de l’agriculture française. Le directeur de l’union de coopératives basée à Marmande, Gilles Bertrandias, nous a reçus pour revenir sur le développement de cette marque, ainsi que ses perspectives.

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Gilles Bertrandias, directeur général de Rougeline © Louis Piquemil - La Vie Economique

Les images des tracteurs montant à Paris l’hiver dernier ne doivent pas faire oublier celles des agriculteurs en colère au début des années 90 découvrant l’arrivée des fruits et légumes espagnols à bas coût sur le marché français. À cette époque-là, il y a des questionnements qui parcourent le Sud-Ouest, et notamment à Marmande autour de la tomate. En 1995, la production restait encore assez traditionnelle, avec des cultures majoritairement en plein champ ou abris légers et très exposées aux aléas climatiques. En effet, ce n’est qu’en 1989 que les premières serres vitrées en Marmandais sont construites, alors qu’en Provence elles datent des années 70. Gilles Bertrandias se souvient du marasme de ces années : « Les modes de production traditionnels étaient en souffrance avec des productions aléatoires, et subissant la concurrence violente des tomates d’importation ». La mise en marché des tomates se concentrait alors autour du Cadran de Marmande et ce système de ventes aux enchères connaissait ses premières limites. Avec une offre peu adaptée au marché, les grossistes et négociants étaient en difficulté devant l’évolution des circuits de distribution et le poids grandissant de la grande distribution. La valorisation des tomates du Marmandais n’était plus au rendez-vous ce qui fragilisait les producteurs qui venaient d’investir lourdement ».

C’est alors que les producteurs marmandais s’unissent et décident de prendre leur destin en main en cherchant à comprendre comment en Bretagne ou dans le Sud-est, les producteurs font mieux, tant sur le plan technique que commercial. Le fruit de ces initiatives aboutit à ce que le groupe Marmandais (fédéré sous la SARL Solprim) rentre dans le réseau Rougeline (créé en 1990 en Provence). Il devient un opérateur indépendant mais acteur d’une marque collective. Ainsi, les producteurs s’impliquent, se remettent en question, et participent à une dynamique basée sur l’échange et la culture du progrès. L’histoire de Rougeline à Marmande vient de démarrer.

L’ouverture vers la grande distribution

À cette même période, en 1996, un jeune étudiant agenais effectue son stage de 4e année d’école d’ingénieur (école supérieure d’agriculture de Purpan) à Marmande, Gilles Bertrandias. Dans un premier temps, il effectue un travail d’analyse de performance auprès des serristes marmandais, et sans le savoir, il vient de mettre un pied au sein de Rougeline pour ne plus la quitter : « Ma famille était dans le milieu agricole. J’étais programmé pour devenir producteur, ma destinée était plutôt celle-là. La serre et la tomate, je ne connaissais pas cet univers. Je rentrais de quelques mois aux États-Unis, et ce projet avec les serristes, ici en Lot-et-Garonne, m’a intéressé. Très vite pendant mon stage on m’a dit, tu restes avec nous ! On m’a fait confiance et donné envie de m’engager dans l’aventure. Tout est allé très vite, et je ne me suis pas trop posé de questions. Après mon stage de fin d’études, j’avais encore six mois pour finir ma scolarité et valider mon diplôme d’ingénieur. J’étais donc toujours étudiant quand j’ai officiellement intégré l’entreprise au printemps 97 alors que la campagne de fraise débutait. La saison était là, et mes premières missions commerciales se précisaient ». Très vite, le néophyte comprend que le marché est en train de muter et qu’il s’oriente vers la grande distribution : « C’était une période de structuration pour les enseignes de la grande distribution, avec l’arrivée des jeunes dans les services achats, dont des profils comme le mien, ce qui a facilité les liens et permis d’ouvrir certaines portes vers de nouveaux clients. Je me suis pris au jeu, avec cette volonté d’enrichir le portefeuille clients de l’entreprise pour permettre de sécuriser les producteurs sur les débouchés ». Et le succès est au rendez-vous.

On a su enclencher une véritable dynamique de croissance et rendre plus noble le produit tomate

L’essor de Rougeline à Marmande

Alors que les Lot-et-Garonnais étaient initialement en retard sur leurs collègues provençaux et catalans, la situation finit par s’inverser et le groupe marmandais prend sa place dans le paysage. Mais la grande distribution s’adapte aussi, elle se concentre autour de centrales d’achat et fait jouer la concurrence, y compris entre les structures du réseau Rougeline. Là encore, Gilles Bertrandias ne tarde pas à proposer une nouvelle orientation : « Rapidement, j’ai senti que commercialement ça n’irait pas, et que le réseau habilement constitué ne suffirait pas pour résister à la mutation des marchés. Pour exister il fallait prendre une autre dimension, et tenter d’équilibrer la relation commerciale avec les distributeurs. Avec Bruno Vila, (étudiant à Purpan avec moi, producteur à Perpignan et fils d’un des fondateurs de Rougeline), on a fini par se convaincre qu’il fallait transformer notre réseau d’entreprises régionales, en une entreprise de stature nationale. Nous concrétisons une première étape en 2001, nous créons une SAS qui rassemble les producteurs du Marmandais et de Perpignan et nous centralisons toute l’action commerciale. « En 2005, le groupe fait le pas vers une seule entreprise dont le siège est à Marmande et Gilles Bertrandias en prend la direction commerciale, puis la direction générale. Dans le même temps, Bruno Vila devient président du conseil de surveillance. En quelques années la gouvernance est renouvelée et le groupe passe dans une nouvelle dimension. La SAS devient SAS Rougeline et la marque devient Les Paysans de Rougeline®. La SAS a pour actionnaires les coopératives du réseau historique, la boucle est bouclée, et l’entreprise s’impose progressivement en leader du sud de la France. En l’espace de 10 ans, la production de tomates à Marmande qui était à la traîne retrouve une dynamique portée par sa marque qui devient une référence nationale. Et Rougeline n’allait pas s’arrêter là…

De l’Écoserre au Label Rouge

À partir de 2005, Rougeline n’a cessé de se développer, via une politique d’ouverture et d’accueil de nouveaux groupes de producteurs. La dynamique de développement interne est aussi une réalité avec notamment des investissements et des constructions de serres. « Rougeline a été un outil formidable pour fédérer et rassembler. On a su enclencher une véritable dynamique de croissance, de développement, qui s’appuie à la fois sur la capacité à lire les marchés, à construire une offre segmentée et à rendre plus noble le produit tomate. On a construit une gamme et une stratégie pour parler au consommateur sans trop de moyens », martèle le dirigeant. Avec des producteurs leaders, la dynamique se confirme et cette vision permet à la structure d’anticiper les tendances, parfois en prenant les risques inhérents au statut de précurseur. C’est le cas avec l’Écoserre®, la serre écologique, lancée en 2010, une structure où l’eau, les fertilisants, les déchets et l’énergie consommée sont économisés au maximum pour avoir un impact environnemental minimum. Suscitant d’abord l’indifférence, il faudra la montée en puissance des problématiques écologiques et l’évolution de la mentalité des consommateurs pour que le concept soit finalement largement adopté. La situation est similaire pour le label Zéro Résidu de Pesticides, porté par Gilles Bertrandias et les producteurs du groupe depuis 2017. Rapidement et toujours dans cette dynamique collective, Gilles Bertrandias crée l’association Collectif Nouveaux Champs qu’il préside pour développer le label en France et le partager avec d’autres acteurs agricoles. Ils sont plus de 50 aujourd’hui.

Les modèles coopératifs ont de l’avenir et sont particulièrement modernes

La marque « Les Paysans de Rougeline » présente partout en France

Par ailleurs, avec le soutien des collectivités locales, Rougeline impulse au sein de l’Association interprofessionnelle des fruits et légumes (AIFLG) une démarche de labellisation de la tomate, d’abord avec la marque Tomate de Marmande en 2020, puis avec l’obtention du Label Rouge en 2023, un label qui souligne la qualité gustative supérieure des productions de Rougeline. En quelques décennies le groupe rassemble 200 familles de paysans dans tout le sud de la France autour de six coopératives, son impact social est significatif avec plus de 3 000 salariés qui œuvrent tous les jours dans la filière interne pour produire et commercialiser près de  90 000 tonnes de fruits et légumes et générer 200 millions de chiffre d’affaires sur le territoire. La marque Les Paysans de Rougeline® est présente partout en France, sur tous les circuits et groupes de distribution.

Rougeline

© Shutterstock

Une autre façon d’entreprendre

L’histoire de Rougeline, son ADN, c’est le travail en commun notamment autour des producteurs et des coopératives du groupe. Une force pour son directeur : « Je crois foncièrement que les modèles coopératifs ont de l’avenir et sont particulièrement modernes. Notre société a besoin (encore plus aujourd’hui) de solidarité, et le monde agricole n’y échappe pas. Assurément nous sommes plus forts en étant unis, dans les bons et mauvais moments. L’agriculture est exposée à de nombreux aléas, et parfois travailler beaucoup ne suffit pas. Accompagner les producteurs dans cette complexité reste passionnant pour nos équipes, et donne du sens à nos actions. Avec les producteurs du groupe, la remise en question est permanente, il faut s’adapter sans cesse afin de trouver pour chacun un modèle juste pour prospérer et se développer ».

La marque Les Paysans de Rougeline® est présente partout en France, sur tous les circuits et groupes de distribution

Choix d’alimentation

Plus largement, la question de la place de l’agriculture, des choix d’alimentation mais aussi de l’identité sociale des agriculteurs et la place qu’ils occupent dans la société interpelle Gilles Bertrandias : « Notre pays a besoin d’une politique agricole et alimentaire cohérente : quelle mission claire donnons-nous au monde agricole ? Quelle valeur accordons-nous à l’agriculture ? Même si la population agricole ne cesse de baisser, le besoin de connexion des agriculteurs avec les citoyens, les consommateurs est essentiel. Nous devons rapprocher les mondes et faire preuve de pédagogie sur les enjeux agricoles ». Quand on l’interroge sur la récente crise agricole, le directeur de Rougeline exprime une vision volontariste : « On consomme 850 000 tonnes de tomates en France, on en produit péniblement 450 000 et on en importe 400 000, avec des importations en pleine période de production française, c’est incroyable. La concurrence est rude avec certains pays, d’autant que nous ne battons pas à armes égales, à nous de renforcer nos promesses et l’attractivité de notre marque. Nous nous y attachons mais sur certains sujets, nous ne pouvons pas tout, tout seul, et il faudra du courage politique pour préserver nos productions durablement. On parle de souveraineté, mais sur la consommation de fruits et légumes frais, 50 % sont importés, inverser cette courbe est un sacré challenge ! » En attendant, début 2024, Gilles Bertrandias et les producteurs créent la SAS Rougeline Innovation pour structurer la prospective et les choix de demain afin que Rougeline garde toujours un temps d’avance et que l’histoire continue.

Rougeline en chiffres

1990 : création de Rougeline en Provence et dans les Pyrénées-Orientales

2024 : Rougeline est une union de 6 coopératives (UDC)

2024 : Création de la SAS Rougeline Innovation

190 producteurs répartis sur le grand Sud de la France

350 ha de serres

90 000 tonnes de fruits et légumes par an

1er producteur français de tomates : 80 000 tonnes par an (2 000 tonnes en bio)

4 400 tonnes de fraises par an

6 500 tonnes de concombres par an

200 millions d’euros de CA

Gilles Bertrandias, itinéraire d’un pionnier

52 ans, Agenais d’origine

Ingénieur en agriculture, vice-président du pôle de compétitivité Agri Sud-Ouest Innovation, administrateur Invenio (R&D) et AIFLG et coprésident US Marmande Rugby (Nationale 2)

1996 : Entrée à Rougeline en 1996 pour un stage de fin d’études

2007 : Prend la direction de la SAS Rougeline qui fédère tous les producteurs du réseau Rougeline (Sud-Ouest et Sud Est)

2017 : Crée le label Zéro Résidu de Pesticide (ZRP)

2020 : Impulse le lancement de la marque collective « Tomate de Marmande® » puis s’engage au sein de l’AIFLG pour l’obtention du Label Rouge en 2023

2024 : Le Collectif Nouveaux Champs devient « Association à mission »