Il garde un œil sur sa montre. Olivier Sadran est un patron du genre pressé. « Allez, ça suffit, vous en avez 50 des photos là ! » L’emblématique dirigeant toulousain sourit en se prêtant à l’exercice du portrait. « Je déteste ça ! », confie-t-il. À l’un de ses collaborateurs qui passe le voyant face à l’objectif, il rétorque : « c’est bien parce que c’est Newrest que je le fais ! » Olivier Sadran n’est pourtant pas un homme de l’ombre. Il connaît même très bien l’exercice médiatique, lui qui a présidé le Toulouse Football Club entre 2001 et 2020 (voir par ailleurs). Mais il est comme ça, discret presque pudique, et concentré sur la réussite de son bébé créé il y a maintenant 28 ans.
Huit jours à la fac
Pour comprendre comment Newrest est devenue la deuxième plus importante entreprise de Toulouse (40 000 salariés, 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024), il faut entrer dans la tête de son président. Olivier Sadran est Bac +7. Enfin, +7 jours pour être plus précis. « Je me suis inscrit en économie et j’ai tenu une semaine. Je n’ai pas senti que c’était là que j’allais trouver des solutions. » Alors, le jeune Toulousain, émancipé depuis l’âge de 16 ans, se rend à l’école de la débrouille. Il constate que sur les chantiers, les ouvriers sont obligés de s’apporter à manger pour le midi. Il décide alors d’acheter des repas à un traiteur, et de les revendre sur les chantiers.
Cette première société, Corest, l’occupe jour et nuit. « Je me souviens de croiser mes colocataires le vendredi matin à 5 heures. Eux rentraient de soirée et moi je partais livrer. Ils se foutaient un peu de moi à l’époque, mais de toute façon je n’étais pas très fêtard. » Mais ne lui parlez pas d’esprit start-up pour autant. « Lever des fonds pour faire semblant de vivre, ça marche quand les taux d’intérêt sont négatifs. Moi, quand je faisais 100 francs de chiffre d’affaires, mon objectif c’était qu’il reste 1 franc ! C’était l’esprit survie ! »

© Newrest
Catering aérien
En 1996, Olivier Sadran fait une rencontre décisive. « Le patron d’Air Liberté voulait développer la restauration à bord de ses avions. On n’avait pas les fonds propres pour se lancer dans le catering aérien et garder notre activité de restauration collective. Il a fallu faire un choix. » Le jeune PDG négocie la vente de Corest à Sodexho et crée Catair. La société grossit jusqu’en 2000 où le groupe Compass acquiert 20 % des parts et la rapproche de sa filiale Eurest Inflight. La société toulousaine s’internationalise de plus en plus. Mais cinq ans plus tard, Compass annonce vouloir se retirer. « On a décidé de racheter la totalité avec 25 cadres de l’entreprise », explique Olivier Sadran qui s’entoure du fonds Naxicap de la Banque Populaire, mais pas uniquement. « J’étais confiant car mes mentors m’accompagnaient. » Parmi eux, l’homme d’affaires Alain Dupuy, le banquier d’affaires Henri Fischer et Jonathan Torriani, patron de Compass pour l’Europe du Sud. Newrest est née.

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Diversification
De la restauration dans les avions, la société va se diversifier. « On ne veut pas dépendre d’une seule activité », souligne le dirigeant. Newrest revient aux premières amours de son président avec la restauration collective, se met au ferroviaire avec le marché des bars TGV, se lance aussi dans les bases de vie notamment dans les mines sud-américaines. « C’est un marché très porteur. Le cuivre est un minerai avec de grandes perspectives. Son terroir, c’est l’Amérique du Sud. »
Une zone géographique sur laquelle Newrest vient de s’implanter encore plus fortement avec le rachat il y a quelques semaines des activités du groupe Compass au Chili, en Colombie et au Mexique. Un rachat dont le montant est tenu secret mais un investissement colossal quand on sait que le chiffre d’affaires de la branche est estimé à 600 millions d’euros pour 10 000 salariés. Avec cette reprise, Newrest ambitionne un chiffre d’affaires à 3,3 milliards d’euros l’an prochain et plus de 50 000 salariés au total.

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Mastodonte agile
Un mastodonte qui doit toujours garder son agilité selon Olivier Sadran. « Chez nous, il y a peu de strates hiérarchiques. Les décisions se prennent vite. Les trois patrons opérationnels des 55 pays dans lesquels on intervient sont dans un même bureau, à côté de moi. » Chez Newrest, pas question d’oublier la méthode qui a fait le succès. « On travaille avec rigueur. Et quand on se trompe, on est capable de changer vite de cap. Quand vous êtes un entrepreneur parti de rien, le premier objectif, c’est de faire rentrer l’argent ! » Ici, pas de crédit à 60 jours, même pour les plus gros clients. « Si vous ne payez pas, on s’arrête. C’est un marqueur fort chez nous. Cet esprit d’une aventure de copains sans argent, on l’a encore. C’est notre ADN. »

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Actif malgré le Covid
Cette capacité de trancher vite se révéla particulièrement cruciale au moment du Covid. « Une partie de nos activités s’est arrêtée du jour au lendemain. Il a fallu tout couper. Contrairement à plein d’entreprises, on a continué à venir au bureau. C’était ça ou mourir ! » Newrest devient un vrai QG de guerre. En trois semaines, tout le groupe est réorganisé. « On a pris un PGE de 120 millions d’euros mais on l’a remboursé le mois suivant ! » Mais loin de se satisfaire de cela, Newrest en profite pour s’ouvrir à d’autres marchés, notamment aux États-Unis. « On avait des contacts avec Delta Airlines et on a trouvé une solution de partage des risques. On ne savait pas quand l’aérien allait reprendre, mais s’il devait reprendre en premier, c’était forcément là-bas. » Newrest investit 100 millions de dollars sur fonds propres pour signer ce contrat supérieur à 10 ans. Une signature qui en entraînera une seconde avec United Airlines.
La crise du Covid est passée mais « ce genre de crise reviendra », prophétise le PDG de Newrest. À 55 ans, le Toulousain regarde devant mais avec une certitude. « Il faut faire attention à ne pas céder la main trop tard. Une entreprise, c’est comme au football, d’abord on joue, après on coache… Et il faut savoir sortir du jeu. » Si l’heure du départ n’a pas sonné, le président réfléchit à sa suite. « Je ne suis pas ici chez moi. On pensera à une suite dans l’intérêt dans l’entreprise. » Si son fils travaille déjà dans l’entreprise, l’avenir de ses filles n’est pas encore tracé (voir par ailleurs). « Mais il n’y a pas de droit de suite familial », conclut Olivier Sadran. L’après Newrest, il le voit principalement par le prisme du sport, omniprésent dans sa vie. « Je pratique tous les sports de vieux maintenant, la course, le vélo ou la natation !… Quand on vieillit, hormis l’expérience, il n’y a pas grand-chose qu’on fait mieux qu’avant ! »

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Newrest en dates
1996 : Olivier Sadran fonde Catair.
2000 : Compass Group entre au capital à hauteur de 20 %. Devient Eurest Inflight.
2005 : Rachat des activités de Compass par Olivier Sadran et 25 cadres de la société. Création de Newrest.
2013 : Décroche le marché de la restauration SNCF.
2021 : Newrest signe un contrat avec Delta Airlines.
2024 : Rachat des activités de Compass Group en Colombie, au Chili et au Mexique.
Newrest en chiffres
40 248 salariés (+10 000 à venir avec le rachat de Compass Amérique du Sud).
2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023-2024 (3,3 milliards d’euros prévus pour le prochain exercice).
55 pays de présence.
96,5 % du capital détenus par 540 managers.