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Tribunal de commerce / Périgueux – La prévention pour bouclier

Entreprises traditionnelles malmenées par la conjoncture ou créateurs d’activités rapidement échaudés, le président Hubert Baraer et le tribunal de commerce (TC) de Périgueux jouent la carte de l’anticipation de solutions.

© Loïc Mazalrey - La Vie Économique

« Nous essayons d’anticiper et de développer la prévention », résume le président du tribunal de commerce de Périgueux, Hubert Baraer, qui aborde sa deuxième année de mandat aux côtés de 16 juges bénévoles, assistés de deux greffiers. « La plupart des chefs d’entreprise nous connaissent parce que leur affaire est enregistrée ici et qu’ils ont l’obligation légale d’y déposer les comptes annuels. » C’est ainsi que le tribunal détecte les entreprises en souffrance parmi celles, souvent en rupture avec leur expert-comptable, qui négligent cette formalité. « C’est le premier signal faible. Nous avons créé une cellule de conciliation : deux juges reçoivent avec un minimum de formalisme, dans une écoute positive. Cet échange permet de mesurer le degré de gravité. Nos priorités sont le paiement des fournisseurs, la protection des salariés. »

196 convocations

Ce dispositif a été fortement relancé post-Covid, au-delà des sondages aléatoires effectués jusque-là : 196 convocations dont 189 après des clignotants de défaillance potentielle, pour seulement 7 présentations spontanées. « Cette crise a faussé la donne. Dans la vie habituelle des affaires, on peut redresser des situations à ce stade, d’où l’intérêt pour toutes les parties de travailler en amont. » Si le dirigeant ne répond pas à l’invitation, une convocation plus contraignante est adressée « non pour pointer du doigt mais pour soutenir », fixer des échéances avec une mise en sauvegarde, appuyée par un administrateur judiciaire, ou arrêter assez tôt car « la survie artificielle ne sert à rien ».

Écoute positive active

« Nous travaillons avec trois mandataires constructifs et à l’écoute. On les challenge positivement pour que l’entreprise recrée des richesses ou vende des biens, notre mission étant de minimiser le passif dans un juste équilibre, en préservant l’emploi, d’échelonner les dettes en cherchant des solutions avec les créanciers. On minimise la première année s’il y a une chance de rebond, en se revoyant à six mois et avant en cas d’alerte, pour un accompagnement de l’ordre du coaching. » Avec lucidité, pour qu’une entreprise défaillante ne mette pas en danger ses fournisseurs. Pas de profil type, PME reconnue ou petit artisan peuvent se laisser dépasser. Des générations ont repris l’affaire familiale avec un bon cœur de métier mais des lacunes de gestion, ont parfois raté un virage ou cru se redresser quand l’activité a ralenti, les PGE ont retardé des effets qu’amplifie la conjoncture économique alors que « les organismes qui avaient patienté, Urssaf et impôts, recouvrent ».

Génération start-upper

Les nouveaux profils de créateurs d’entreprise forment un groupe atypique. Des cadres télétravailleurs ont pensé pouvoir tenter cette aventure. Arrivés de métropoles pour une mise au vert, dans de nouveaux métiers et en famille, ils n’ont pu adapter leur rêve à la réalité et « n’insistent pas, demandent la liquidation au bout d’un an ». Effet retour de la création de micro-entreprises en quelques clics.

Bâtiment : une situation préoccupante

Les métiers de bouche (boulangerie, restauration), les secteurs du bâtiment, de l’immobilier et des transports sont les plus touchés avec des contraintes d’horaire, de saisonnalité, de personnel, de concurrence et, bien sûr, le coût des matières premières et de l’énergie. L’immobilier, avec des reconversions « eldorado post-Covid », a été secoué mais se stabilise. « La situation est plus préoccupante dans le Bâtiment : le neuf est à l’arrêt, avec -50 % chez les pavillonneurs, les artisans sans autre marché sont en danger. Ce secteur sera sinistré car les trésoreries sont souvent fragiles », des entreprises traditionnelles tentent de résister en engageant le patrimoine familial.

Le Tribunal de commerce s’efforce de rattraper un certain manque de culture entrepreneuriale.

Si, autour de Condat, le président Baraer craint de voir disparaître des sous-traitants, il cite le suivi constructif d’après liquidation des menuiseries Grégoire (Saint-Martial-d’Artenset), au printemps 2022, « les terrains ont été revendus, un pôle d’emplois a été recréé ; cela a eu un coût mais 90 % du personnel ont retrouvé un emploi, ce bassin économique a développé des activités diversifiées ». En allant vers les syndicats professionnels, les institutions, les experts-comptables, les clubs d’entreprise, le président du TC continue de déployer une pédagogie sur les missions du tribunal et l’aide précoce qu’il apporte. « Neuf fois sur dix, les salariés n’imaginent pas que leur entreprise va mal. Peu de dirigeants font une réunion de bilan annuelle. »

© Loïc Mazalrey - La Vie Économique

© Loïc Mazalrey – La Vie Économique

Chiffres 2023

232 procédures collectives (+44 %)

217 jugements de liquidation (123 en 2022, 169 en 2019) dont 163 immédiates

63 affaires contentieuses en cours

420 injonctions de payer (331 en 2022)

154 jugements de clôture (144 en 2022) dont 150 pour insuffisance d’actifs

769 ordonnances rendues par le juge commissaire (499 en 2022)

795 immatriculations au RC, dont 694 autoentreprises (913 dont 692 en 22) pour 255 radiations

Parcours

Après une carrière de cadre supérieur dans des groupes internationaux, Hubert Baraer est arrivé en Dordogne il y a dix ans pour rejoindre le groupe Hammel (Ayor), organiser la croissance interne et externe dans une perspective de transmission familiale. Après quoi il a fondé une société de conseil en stratégie marketing, qu’il dirige toujours. Sollicité il y quatre ans pour devenir juge, celui qui a œuvré dans des entreprises qui vont bien a eu la curiosité de savoir pourquoi certaines vont mal, et d’agir. « J’aime sortir de ma zone de confort, j’ai toujours eu des juristes autour de moi, là je rédige des jugements. La fonction oblige à la neutralité, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas d’émotions. »