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Un Périgord homogène mais sans locomotive

Le Département a fait appel au géographe Laurent Chalard pour une approche en trois volets qui aidera à orienter la politique de l’exécutif. En cette fin d’année, il a détaillé son étude socio-démographique en observant la Dordogne à l’échelle intercommunale.

périgord

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Après des chiffres généraux au niveau du département, le consultant en aménagement du territoire, docteur en géographie de l’Université Paris IV-Sorbonne, a partagé la deuxième phase de son étude en entrant dans le détail des 18 communautés de communes et 2 agglomérations, pour affiner les dynamiques territoriales. « La plupart des politiques publiques se font à cette échelle », sur un découpage souvent pertinent par bassins de vie, même s’il faut parfois aller à l’échelle communale. Il faut cependant nuancer certaines analyses, la crise covid étant passée sur les derniers chiffres établis en 2018.

Laurent Chalard © D.NidosCD24

BAISSE DE POPULATION À NONTRON

En préambule, entre 1982 et 2018, une vision sur le temps long permet de mesurer les contrastes d’évolution démographique, avec sur les extrêmes une croissance maximum de population (+ 26 %) sur le Pays de Fénelon, en Périgord noir aux confins du Lot, et au plus bas (– 14 %) celle de la Communauté de communes du Nontronnais.

Trois grandes logiques valent sur cette période. Les intercommunautés en décroissance se situent plutôt dans le Nord Dordogne, de tradition industrielle (1 600 emplois en 1967 dans la fabrication chaussante, quasi plus aujourd’hui) : les fermetures ont entraîné une baisse de population de 20 % dans la ville centre de Nontron, un taux comparable à d’autres villes du Sud-Ouest qui ont subi ces chocs comme Fumel, Carmaux, Tulle… « c’est typique de territoires industriels en déclin, même si cela n’atteint pas les proportions du Nord-Est de la France. » Dans d’autres spécialités, les communautés d’Isle-Loue-Auvézère (- 8 %) et du Périgord-Limousin (- 12 %) ont connu des destins parallèles avec notamment un effectif divisé par cinq chez Guyenne-Papier, près de Thiviers. Le Ribéracois a subi un déclin agricole, sans activités de remplacement.

Les tendances structurelles sont si vives qu’elles l’emportent sur les différences entre les territoires

DÉMOGRAPHIE ET PÉRIURBANISATION

La plus forte croissance démographique revient aux intercos périurbaines, avec l’arrivée d’actifs occupés dans les proches villes plus importantes. C’est le cas pour Isle-Vern-Salembre (+ 25 % depuis 1982) : l’effondrement du tissu économique traditionnel (Marbot- Bata a employé jusqu’à 2 000 personnes) n’a pas entraîné de baisse démographique car des populations originaires de Périgueux sont venues s’installer dans cette vallée.

600 HABITANTS DE PLUS À CARSAC-AILLAC

La population de Léguillac-de-l’Auche a ainsi doublé sur cette période. Et Saint-Astier a gagné 1 000 habitants. Le Pays de Fénelon a bénéficié de la périurbanisation sarladaise, avec 600 habitants de plus à Carsac-Aillac. De même pour Montaigne-Montravel et Gurson (+ 24 %) avec des arrivées depuis Sainte-Foy-la-Grande. L’arrivée de population du Libournais sur 2009-2018 est moins importante que dans la décennie précédente. La périurbanisation se ralentit partout, à l’exception des Portes Sud Périgord qui affichent un mieux sur cette période, avec une amorce d’installation liée à la proximité de l’aéroport de Bergerac, notamment pour les Britanniques. Le sort du Grand Périgueux et de la Communauté d’Agglomération Bergeracoise est lié au développement du secteur tertiaire. La croissance y est de l’ordre de 3 %, c’est-à-dire moins que dans d’autres départements de profil comparable, où les villes principales sont plus attractives. Elles ne sont plus moteur de la croissance du territoire du fait de leurs faiblesses économiques, le secteur tertiaire est peu dynamique et les activités industrielles ne sont plus porteuses.

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« Pour Périgueux, les ateliers SNCF sont sur une logique de réduction des effectifs sur le long terme et il en est de même à Bergerac pour les activités de la poudrerie. » Image dynamique à revoir cependant : Bergerac affiche des performances similaires à Périgueux sur la période 2009-2018.

« Le déficit naturel est général, y compris dans le Grand Périgueux : il n’y a plus de pôle de jeunesse, ce qui explique le ralentissement de la périurbanisation. » L’excédent migratoire est positif partout dans le département, surtout dans les zones périurbaines. « Pour éviter le déclin, il en faudrait davantage : accentuer l’attractivité migratoire du territoire est un enjeu important. » Périgueux et Bergerac attirent moins que la moyenne du département, seule la Communauté de communes de Sarlat s’en sort.

SUR-ATTRACTIVITÉ POUR LES RETRAITÉS

Aucun territoire n’échappe au vieillissement de la population : la part des 15-29 ans diminue partout, y compris dans le Grand Périgueux, malgré la présence d’un campus.

« Le dynamisme économique n’est pas suffisant pour retenir les jeunes actifs à la recherche d’un premier emploi. » Et les 60-74 ans progressent fortement dans les territoires d’économie résidentielle, avec l’arrivée des boomers à l’heure de la retraite.

L’apport de population immigrée est contrasté, avec une hausse dans des territoires ruraux du Nord Dordogne du fait de la présence britannique attirée par un faible prix du foncier ; et dans les deux agglomérations, avec les demandeurs d’asile et mineurs isolés. Il y a cependant moins d’immigrés à Périgueux qu’en moyenne dans le département, alors que c’est généralement l’inverse qui se produit ailleurs.

LE NOMBRE DE LOGEMENTS AUGMENTE PARTOUT

On observe une homogénéisation de la taille des familles, avec une progression des formats monoparentaux dans les zones rurales et périurbaines, où on les attend le moins car les structures sociales ne sont pas forcément adaptées. La part des couples avec enfants se réduit moins dans les territoires périurbains, et les couples sans enfant sont en hausse… dans les régions attractives pour les retraités.

Le nombre de logements progresse largement depuis 1982 du fait de l’économie résidentielle, ce qui se traduit par de fortes hausses dans le Périgord noir, avec un ralentissement depuis 2009 du fait du plafonnement de cette économie. Pour l’ensemble du département, l’évolution des résidences entre 1982 et 2018 est de 49 %, avec un pic à 94 % pour le Pays de Fénelon, 75 % pour Sarlat-Périgord noir, 64 % pour Domme-Villefranche, 60 % pour la Vallée de l’Homme et autant pour la Vallée de la Dordogne. Toutes régions repérées sur le plan touristique. La progression des résidences secondaires, puis d ’une vacance depuis 2009, fait baisser le pourcentage de résidences principales dans les territoires d’économie résidentielle.

RURALITÉ ET PARC AUTOMOBILE

La hausse de la vacance généralisée s’explique, au-delà des prix de l’immobilier, par le parc de logements vétustes dans les centres- bourgs des petites villes. Depuis 2009, on observe une augmentation de propriétaires occupants, sauf dans le Grand Périgueux : le coût du logement y est plus élevé qu’ailleurs et le parc social progresse pour répondre aux impératifs de la loi SRU. Dans les comcom périurbaines, ce parc ne représente que 5 % des logements.

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La hausse de l’équipement en automobiles est plus importante dans les territoires ruraux isolés, du fait de la disparition des services publics et de la déconnexion entre lieux de travail et de résidence. La voiture individuelle est aussi une caractéristique de la périurbanisation. « Le coût du carburant est problématique pour ces ménages qui peuvent difficilement se passer de voiture. »

Accentuer l’attractivité migratoire du territoire est un enjeu important

Concernant les déplacements domicile-travail, plusieurs intercommunalités voient grandir le nombre de personnes occupées dans un autre département, en particulier la Gironde. La même chose pour Terrasson vers la Corrèze.

DANS DES TERRITOIRES EN CROISSANCE, L’EMPLOI DIMINUE POURTANT

L’évolution de l’emploi est très contrastée entre 2009 et 2018 avec une croissance en Isle-Vern-Salembre (présence de Novi, chaux de Saint-Astier…), Dronne et Belle (Mademoiselle Dessert), Bastide et Dordogne en Périgord (Polyrey), l’emploi tertiaire se développant autour d’une présence industrielle. Pour les agglomérations de Périgueux et Bergerac, l’emploi est en diminution : « il n’y a pas de moteur économique en Dordogne, et c’est lié à la métropolisation ». Les taux de chômage les plus élevés en 2018 demeurent à proximité de la Gironde.

PROFIL SOCIAL STABLE

Le taux de chômage progresse partout, y compris dans les territoires où l’emploi est en croissance : « c’est contre-intuitif, mais ce n’est pas parce qu’on crée de l’emploi qu’on fait diminuer le chômage pour autant ». Car ces emplois doivent correspondre au niveau de qualification de la population active. Aucun territoire n’est en voie d’embourgeoisement, aucun en voie de paupérisation : le profil social est stable. Le nombre d’ouvriers diminue partout, même dans les bassins d’emplois industriels qui recourent à des profils plus qualifiés. La part des artisans et commerçants augmente dans les zones d’économie résidentielle.

Le nombre d’ouvriers diminue partout, même dans les bassins d’emploi industriels, qui recourent à des profils plus qualifiés.

L’analyse de la pauvreté — à l’échelle de l’arrondissement, du fait des données fiscales — montre une évolution du revenu fiscal des ménages les plus pauvres moins favorable en Sarladais et meilleure en Nontronnais « même si les pauvres y sont plus pauvres, car je parle bien d’évolution ». Périgueux est plus protégée avec son statut de préfecture et les emplois de fonctionnaire qui vont avec.

L’évolution du niveau de diplôme est générale, surtout dans les zones urbaines, liée à celle du niveau de qualification des emplois locaux. La scolarisation des 18-24 ans diminue dans les territoires les plus proches des pôles universitaires : les jeunes grandis aux confins de la Gironde partent en effet vers Bordeaux.

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DES PME DYNAMIQUES

Le tableau peut inquiéter, avec un ralentissement démographique corrélé à une détérioration de l’emploi, y compris dans la ville préfecture ; un tertiaire marchand qui se porte mal dans le Grand Périgueux et une absence de rôle moteur. Les disparités d’évolution sont pourtant moins importantes qu’ailleurs en France, et c’est plutôt une bonne nouvelle en termes de cohésion des territoires. « Dans les années 2000, tout le monde a profité de la croissance. De même, maintenant, le ralentissement est généralisé. » Le consultant note que « le maintien de PME dynamiques dans des territoires ruraux ne se retrouve pas forcément ail- leurs, c’est une caractéristique locale ». Et la géographie de ce vaste département joue aussi pour maintenir des pôles de service.

L’idée répandue en Dordogne veut que l’agglomération de Périgueux — qui pèse 100 000 habitants, soit un quart du département — entraîne l’économie locale. Or, la faible disparité entre les territoires qui ressort de l’étude semble préférable à Germinal Peiro qui veut « garder un département vivant partout ». La carte des industries en Dordogne montre bien que tout n’est pas concentré autour de Périgueux. « Peut-être est-ce un modèle original qui partirait de la périphérie plus que du centre, avec des intercommunalités porteuses », suggère Laurent Chalard qui, après cet état des lieux, présentera en janvier un horizon prospectif très attendu.