La Vie Economique : De qui parle-t-on lorsqu’on évoque la supply chain d’Airbus ?
Damien Talbot : Cela renvoie à toutes les entreprises qui fabriquent des éléments des avions. Aucune entreprise ne peut aujourd’hui le fabriquer seule. Airbus conçoit et assemble l’appareil. Il conserve aussi quelques éléments de production essentiels comme le caisson central. Mais le reste est externalisé avec un objectif : que le tarif soit plus bas que si Airbus devait le conserver en interne. Il y a donc d’office une relation asymétrique entre le donneur d’ordre et sa chaîne d’approvisionnement.
LVE : Et ce quel que soit leur rang ?
D. T. : Les sous-traitants de rang 1 sont des systémiers qui fabriquent des systèmes complets de l’avion. Ce sont de grandes entreprises comme Safran, Thales ou des motoristes comme Rolls-Royce. Ceux-ci sont dans une relation quasi équilibrée avec Airbus. Aux rangs suivants, on retrouve des équipementiers qui vont eux-mêmes sous-traiter des éléments à des entreprises plus petites, très spécialisées. Plus on descend dans la hiérarchie, plus la pression s’accentue.
LVE : Comment s’expliquent les difficultés de ces sous-traitants ?
D. T. : Il y a des raisons conjoncturelles comme la crise du Covid. Les entreprises doivent rembourser des PGE. Il y a eu une flambée du prix de certaines matières premières et de l’énergie avec la guerre en Ukraine. Au-delà de cela, Airbus cherche aujourd’hui à profiter de son avantage sur Boeing en augmentant sa production. Mais les sous-traitants n’ont pas la trésorerie. Ils doivent investir fortement sur leur outil de production, réduire les cycles, automatiser, changer des machines… Airbus doit se poser la question du partage de la valeur. Cette question de la répartition des bénéfices est structurelle.
LVE : L’avionneur met-il trop la pression sur les prix auprès de ses sous-traitants ?
D. T. : La base d’une supply chain est que les donneurs d’ordre demandent des réductions de prix. Dans l’aéronautique, Airbus paye à la livraison, et non à la commande. C’est ce qu’on appelle le « risk sharing ». On demande aux sous-traitants de prendre leur part de risque et d’être payé à l’avion vendu. Cela peut fonctionner pour un grand groupe qui a de la trésorerie, mais, pour des PME, c’est plus compliqué. La question, c’est jusqu’où peut-on faire pression sur cette supply chain ? S’il faut voler au secours des sous-traitants pour les soutenir, autant le faire dès le départ dans la relation commerciale. Mais ça se fera au détriment des bénéfices pour Airbus. Dans tous les cas, étouffer sa chaîne d’approvisionnement n’est jamais une bonne idée.
LVE : Le programme Aero Excellence mis en place par le Gifas peut-il être une réponse à ces problèmes de la supply chain ?
D. T. : Je l’ignore, mais Airbus n’a pas un problème de qualité de ses avions. À l’inverse de Boeing qui a externalisé des éléments critiques de ses appareils en tirant les prix vers le bas, Airbus a conservé un niveau d’exigence et de certification de qualité élevé. Mais attention à ne pas tomber aujourd’hui dans une stratégie de financiarisation comme l’a fait Boeing par le passé.
LVE : C’est-à-dire ?
D. T. : Airbus opère en ce moment des rachats d’actions. On réduit le nombre d’actionnaires pour augmenter la valeur des dividendes. Cela n’a qu’un intérêt financier de court terme. On ne peut pas en même temps réaliser ces opérations financières et augmenter la production d’avions car, pour cela, il faut des investissements. C’est une stratégie difficile à lire. Boeing paye cher aujourd’hui d’avoir consacré ses bénéfices aux actionnaires plutôt qu’à ses investissements.
Un fonds de 450 millions d’euros à la rescousse
Alors qu’une quarantaine de fournisseurs d’Airbus seraient en grande difficulté financière selon une étude de la Banque de France, les donneurs d’ordre ont décidé de s’unir pour venir en aide à leur chaîne d’approvisionnement. Après un premier fonds de 780 millions d’euros en 2020, Airbus, Dassault, Safran et Thales ont décidé de s’associer avec le Crédit Agricole et Tikehau Partners pour une seconde édition du fonds à hauteur de 450 millions d’euros. Il devrait permettre d’aider les entreprises à monter en cadence et prendre le tournant de la décarbonation. Deux axes compliqués alors que les PGE de la période Covid doivent être remboursés. Ce fonds devrait être officialisé lors de cette 15e édition d’Aeromart.