Couverture du journal du 06/04/2024 Le nouveau magazine

Armagnac, le coup de jeune

L’armagnac, doyen des eaux-de-vie françaises, est longtemps resté dans l’ombre de son grand frère cognaçais, réduit à jouer les breuvages des dimanches en famille. Mais ce spiritueux, produit sur une zone à cheval entre les Landes, le Gers et le Lot-et-Garonne, s’offre aujourd’hui une nouvelle jeunesse.

Chais Darroze, armagnac

Chais Darroze © Maison Darroze

Un manhattan sans whisky, une margarita sans téquila ou un mojito sans rhum ? Inenvisageable il y a une décennie, ces grands classiques de la mixologie se teintent désormais à l’envi d’une touche gasconne. En effet, après avoir longtemps souffert d’une image vieillotte, l ’armagnac s’affiche aujourd’hui sans complexe à la carte des bars et des restaurants. En digestif, bien évidemment, mais aussi, plus inattendu, en long drink et en cocktail. Cette eau-de-vie, qui bénéficie d’une Appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis 1936, se fait une nouvelle place dans le monde très concurrentiel des spiritueux grâce à une jeune génération qui travaille d’arrache-pied.

L’AUDACE DE LA JEUNESSE

Ce coup de jeune, les trois fondateurs de l’armagnac Armin y contribuent depuis le lancement de leur marque en septembre 2020. « Nous étions deux à travailler dans l’industrie des spiritueux et nous avions très envie d’entreprendre ensemble, raconte Édouard Boyer. On trouvait que l’armagnac était une pépite française, un produit très qualitatif, mais victime d’une image un peu poussiéreuse. On a donc eu envie de faire quelque chose pour le moderniser. Ce fut le départ de l’aventure Armin ». Le trio d’entrepreneurs collabore avec un domaine situé à Arthez-d’Armagnac pour produire un 6 ans et un 10 ans d’âge. Et prochainement, la famille Armin s’agrandira avec l’arrivée d’un 20 ans d’âge et d’une blanche d’armagnac.

L’idée était de s’affranchir des codes et des conventions

 

Edgar Anagnostou, Édouard Boyer et Augustin Chatenet ont lancé l’armagnac Armin, en septembre 2020

Edgar Anagnostou, Édouard Boyer et Augustin Chatenet ont lancé l’armagnac Armin, en septembre 2020 © D. R.

Consciente de la nécessité de s’adresser à un public plus large, la jeune marque a choisi de se différencier par une communication disruptive. « On propose une présentation radicalement différente de ce que l’on trouve traditionnellement sur le marché de l’armagnac, souligne Édouard Boyer. L’idée était de s’affranchir des codes et des conventions. Pour ce faire, on a choisi de développer une communication mêlant humour et impertinence ». Armin, du nom d’un soldat franc qui combattit avec Clovis, a ainsi pris les traits d’un drôle de coq arborant à l’avant ses armes et son blason et à l’arrière… une absence assumée de costume. Ce logo, développé avec l’agence parisienne Bonjour, tranche de manière audacieuse avec la tradition en Armagnac. En parallèle, la team Armin se montre très active sur les réseaux sociaux où, au quotidien, la pédagogie et l’humour se mêlent à des recettes de cocktails innovantes à base d’armagnac.

l’armagnac Armin

l’armagnac Armin © D. R.

UN SAVOIR-FAIRE PRÉSERVÉ

Pour autant, la quête de modernité n’efface pas les notions de terroir et de savoir-faire traditionnel auxquels sont attachés les trois comparses qui font distiller leur eau-de-vie dans un alambic de 1804, classé aux monuments historiques. « Nous avons à cœur de mettre en avant tout le travail que nécessite la production d’armagnac, insiste Édouard Boyer. C’est un produit très noble de notre terroir, qui a une histoire très riche. Une multitude d’artisans œuvrent pour créer ce spiritueux d’exception. Chez Armin, nous travaillons notamment avec Gilles Bartholomo qui conçoit dans les Landes les pièces de bois dans lesquelles vieillissent nos armagnacs. Il a une démarche durable car il se fournit dans les forêts environnantes. Ce n’est pas un détail, c’est important pour nous. »

En matière de communication novatrice, Cyril et Julie Laudet, la huitième génération à la tête du domaine de Laballe, ont fait figure de précurseurs. Dans la propriété familiale de Parleboscq, ils ont créé la surprise avec leur collection 3-12-21, composée de trois bouteilles transparentes aux bouchons colorés et aux étiquettes résolument modernes. « Cette collection a été le premier coup de jeune, se souvient Julie Laudet. On a commencé par nous regarder bizarrement puis, au fur et à mesure, des producteurs ont suivi le mouvement. On avait donné une bonne première impulsion. »

La quête de modernité n’efface pas les notions de terroir et de savoir-faire traditionnel

Par la suite, le domaine de Laballe s’est illustré avec la cuvée Résistance, créée en hommage à tous les exploitants qui se battent en Armagnac pour continuer d’exister. Écrin d’un distillat 100 % baco -un cépage vigoureux-, cette bouteille, qui arbore un phylloxéra sur son étiquette, mais aucune durée de vieillissement, est parfaitement reconnaissable et a rapidement trouvé son public. Pourtant, le véritable coup de com du duo n’avait pas pour objet une cuvée particulière, mais un sweat-shirt lancé en 2018. Le message imprimé dessus annonçait clairement la couleur : « Armagnac is back ». Une manière originale de « donner un coup de boost à l’ensemble de la filière armagnac » dont les ventes ont, depuis, été très impactées par l’épidémie de Covid en 2020. Avant de repartir à la hausse en 2021.

L’ARMAGNAC EN CHIFFRES

– En 2020, l’armagnac représentait

733 viticulteurs pour 5 328 hectares de vignes dédiés à la production de cette eau-de-vie.

La distillation 2019/2020 a permis de produire 14 333 hectolitres d’alcool pur.

Cette même année, les stocks d’armagnac étaient de 162 592 hectolitres.

– En 2020, sur les 2,8 millions de bouteilles vendues, 1,25 million l’ont été en France et 70 % de ces bouteilles ont été produites par les cinq plus grandes maisons d’armagnac.

– En 2020, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Chine et la Russie étaient les quatre principaux marchés importateurs d’Armagnac.

Source : Bureau national interprofessionnel de l’armagnac (BNIA)

DES CONSOMMATEURS PLUS EXIGEANTS

Selon Marc Darroze, à la tête de la maison Darroze qui distille et élève en Armagnac depuis les années 1950, ce qui a changé ce n’est pas l’armagnac. « Pour moi, il n’y a pas de renouveau à proprement parler de l’armagnac. C’est le regard des consommateurs sur nos produits qui a évolué. Ma façon de travailler, la qualité de mes produits, mes valeurs, ma vision à long terme sont les mêmes que quand j’ai commencé. Je pense simplement qu’il y a un cheminement du consommateur vers l’artisanat, l’authenticité et la traçabilité. Ce sont les codes de l’armagnac et les consommateurs y sont plus sensibles aujourd’hui. »

Ce qui a changé ce n’est pas l’armagnac, c’est le regard des consommateurs sur nos produits

Une sensibilité qui tend également vers l’agriculture biologique et qui s’affiche sur un nombre grandissant de bouteilles d’armagnac. C’est le cas de la maison Darroze qui, depuis trois ans, met en avant sa gamme Biologic. « Le bio, c’est revenir aux méthodes culturales pratiquées par nos grands-parents après-guerre. On travaillait alors avec du cuivre et du souffre, avec des outils mécaniques et on ne désherbait pas », détaille Marc Darroze qui ne cache pas pour autant la difficulté de produire en bio et les variations considérables de rendement que cela induit. Au domaine de Laballe, le bio est également à l’ordre du jour. « On rentre dans notre troisième année de conversion en bio pour l’ensemble de nos parcelles, se réjouit Julie Laudet. Les prochaines distillations seront donc bio. »

Marc Darroze , armagnac

Marc Darroze © Maison Darroze

PLACE À LA CRÉATIVITÉ

Si la demande des consommateurs a effectivement changé, pour Marc Darroze, la véritable nouveauté est de « proposer de nouveaux moments de consommation. On essaye de montrer que les caractéristiques de l’armagnac sont intéressantes à explorer autrement qu’en digestif, avec des eaux-de-vie un peu plus jeunes, avec un peu plus de fraîcheur ». C’est ainsi que l’armagnac se décline désormais en long drink à l’apéritif ou en cocktail. À paris, le bar Le Syndicat a été un des pionniers en se donnant pour mission de réhabiliter les « spiritueux de papi » dans des cocktails inédits. À ses débuts, l’établissement n’avait que de l’armagnac à sa carte. Et si au fil des années cette dernière s’est diversifiée, elle conserve néanmoins sa ligne directrice : la valorisation des spiritueux français. Aujourd’hui, l’armagnac y côtoie gins, rhums et autres distillats, tous made in France. En cocktail, c’est dans la version non vieillie de la blanche d’armagnac, qu’il se déguste la plupart du temps. Mais les armagnacs vieillis sont également plébiscités. « Avec le 6 ans d’âge, nous proposons par exemple de réaliser l’Armin tonic, équivalent du gin tonic », note Édouard Boyer.

La véritable nouveauté est de « proposer de nouveaux moments de consommation »

armagnac Darroze

© Maison Darroze

Inventé vers la fin du Moyen Âge et réputé, à l’époque, plus pour ces vertus médicinales que conviviales, l’armagnac a connu pendant des siècles un succès considérable. Avant d’être repoussé au fond de la cave par des spiritueux venus d’ailleurs comme le rhum et le whisky. Aujourd’hui, il est de retour et surfe sur la vague des barmans et créateurs de cockails qui n’hésitent pas à découvrir et faire découvrir cet alcool autrefois confidentiel. « Grâce à de nouveaux acteurs sur le marché, des acteurs souvent plus jeunes, il y a une indéniable montée en compétences en matière de marketing ainsi qu’une plus grande curiosité vis-à-vis de notre produit », estime Marc Darroze. Résultat, que ce soit chez les producteurs, les négociants ou les prescripteurs, on crée, on ose, voire on s’amuse. Et l’armagnac, dont les savoir-faire de l’élaboration sont inscrits depuis 2020 à l’inventaire du patrimoine immatériel français, en profite. « Ce n’est pas parce qu’on consomme un produit noble qu’il faut se prendre au sérieux, pointe Édouard Boyer. On peut au contraire le boire avec une certaine légèreté ». Un vent nouveau souffle sur les terres d’Armagnac.

 

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