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Château de Commarque : Ode à la vie !

Aude et son frère Jean ont pris la relève de leurs parents pour permettre au site de Commarque, racine de leur famille, de poursuivre sa traversée du temps. Belle endormie sous des édredons de ronces, la forteresse a refait surface grâce à un travail obstiné depuis les années 1970. Bienvenue dans ce site magique qui fusionne les époques depuis la préhistoire.

Aude de Commarque, copropriétaire du château

Aude de Commarque, copropriétaire du château © Louis Piquemil - La Vie Economique

Visiter Commarque, c’est d’abord entrer dans un paysage, pénétrer un monde hors du temps et longtemps loin des hommes. La petite route qui y conduit en décrochant de l’axe très fréquenté Sarlat-Les Eyzies serpente dans la campagne du Périgord noir et plonge dans la fraîcheur des sous-bois avant l’apparition de ce vaisseau minéral amarré dans la vallée des Beunes, sorti de la gangue végétale qui l’étouffait depuis quatre siècles.

Commarque, c’est une histoire de famille tracée au plus loin d’une noble lignée. Le site du XIIe siècle s’est transformé au fil du temps en « vaste colloc de seigneurs » avant d’être abandonné au XVIe. Hubert de Commarque a acheté en 1972, comme une évidence à la mémoire des siens, ce bien dépecé en carrière de pierres au XIXe. « Le début d’un travail fou de consolidation, de fouilles archéologiques, de recherches dans les archives. » Aude de Commarque s’attache désormais, avec son frère Jean, à prolonger l’œuvre de ses parents.

PLUSIEURS SITES EN UN

« Mon père devait être informaticien aux États-Unis, mais il est resté pour des raisons familiales. » Presque malgré lui. Comme Aude et son frère, dont les souvenirs d’enfance ont beaucoup à voir avec ce lieu qui les privait de la présence de leurs parents. « Un chantier permanent, accidenté, on y accédait par le haut, un harnais autour de la taille. » De ce vaste terrain de jeux pour l’imagination d’une enfant, elle voyait surtout les coulisses et l’inquiétude familiale pour ce patrimoine en péril, le contact avec les banques, avec la Drac, les services de l’État. « C’était le mythe de Sisyphe, un travail toujours recommencé : je savais qu’un jour, ce serait à nous de prendre la relève. »

COMMARQUE, DE BAS EN HAUT

Au millefeuille historique de ce site avec abri magdalénien, castrum, chapelle, donjons, cluzeau et habitat troglodytique médiéval coïncident autant de complexités administratives. Avec pour première marche du sauvetage son classement en 1943. Loin des premières cartes postales d’une forteresse émergeant d’un océan végétal, coin secret des amoureux et des fêtards, puis de bataillons de fouilles et de travaux à partir de son rachat en 1972, Commarque a su conserver une beauté sauvage tout en attirant les visiteurs qui y cheminent de bas en haut, du village mis au jour jusqu’au sommet de la tour : premier prix Chef d’œuvre en péril en 1987, Grand Trophée de la plus belle restauration de France en 2018, ce membre du réseau Grands sites du Périgord est couronné de trois étoiles par le guide vert Michelin depuis 2020.

L’idée d’une ouverture au public de ce jardin secret, connu d’une poignée d’initiés, se fait jour à mesure que le joyau s’extirpe de la falaise. Mais comment ouvrir un site fragile au public ? « En prenant exemple sur les pays nordiques. Ici, les installations sont réversibles et s’enlèvent en 72 heures. » Les Cahiers de Commarque et un colloque au CPIE de Sireuil ont porté sur ce thème, socle de recherche sur lequel a grandi ce projet « tout à fait expérimental, d’un site enchâssé dans son cadre naturel », répondant aux normes d’un établissement recevant du public et ouvert autant que possible aux personnes à mobilité réduite. L’ouverture se fait en 2000. La gestion d’un site touristique ne s’improvisant pas, la famille confie ce soin à la société Kléber Rossillon (Castelnaud, Marqueyssac), qui s’en chargera dix ans.

GARDIENNE DE COMMARQUE

Au moment où son père rencontre des soucis de santé, la convention pour la gestion du site arrive à échéance et la famille étudie toutes les solutions possibles, y compris une offre chinoise pour racheter Commarque, le château… et le nom. Aude travaille à cette époque pour une association de promotion des cultures du monde dans l’Est de la France, « une autre forme de patrimoine, immatériel », après un détour par une galerie d’art. À 25 ans, cette pro de la médiation culturelle a le sentiment que ses souvenirs et l’attachement au site l’engagent à perpétuité. Son frère lâche, difficilement, son beau poste dans une entreprise de publicité à Paris. Pétrie de doutes, elle ne se sent « pas prête, pas légitime » et part se former en économie art et culture dans l’objectif de gérer le site. Pour prendre véritablement ses marques, savoir si ce lieu l’accepte, elle passe une semaine seule dans l’abri troglodytique.

En ressort avec une conviction : « Je ne suis que la gardienne de Commarque, c’est notre histoire à tous ».

« C’était le mythe de Sisyphe, un travail toujours recommencé : je savais qu’un jour, ce serait à nous de prendre la relève. »

VALLÉE DE LA SCULPTURE

« Cette petite portion de vallée évoque un atelier de sculpture du Magdalénien : c’est vraiment d’intérêt national. Nous sommes en train de monter un projet collectif de recherche avec des équipes pluridisciplinaires. Dans cette vallée mondiale de la sculpture, des strates remontent à 100 000 ans. Cap-Blanc et sa frise de chevaux sculptés, le bison de la Grèze, les Vénus de Laussel datées de 35 000 ans et, bien sûr, le grand cheval grandeur nature de la grotte de Commarque, l’une des rares grottes profondes sculptées. »

Le pilotage qu’elle assure aujourd’hui avec ses parents et son frère permet « au moins à moyen terme d’anticiper » là où l’urgence dictait la ligne de conduite. Une équipe est enfin constituée « avec Jean-Sébastien depuis trois ans, et Caroline depuis cette année qui assurent un travail transversal sur site, accueil, billetterie, logistique, entretien ». Marine anime à mi-temps les réseaux sociaux, depuis le siège situé au Buisson-de-Cadouin, et suit les réservations de groupes et comités d’entreprises. Le duo frère et sœur est en CDD comme toute l’équipe, complétée par deux stagiaires et des partenaires prestataires.

CHANGEMENT DE STRUCTURE

Aude de Commarque a abordé dès son arrivée, en 2017, les aspects juridique, fiscal, comptable pour revoir, avec les conseils compétents, l’organisation formelle de l’entreprise. L’activité est désormais séparée entre la SCI (qui bénéficie du régime fiscal des Monuments historiques et reçoit du mécénat d’entreprise via la Fondation des MH) pour les fouilles, la restauration du patrimoine, la dimension méthodologique pour les autorisations et les financements ; et la SAS pour l’exploitation touristique, qui abonde les fonds nécessaires aux travaux. « Nous remboursons des investissements assez lourds : la restauration des corps de logis qui menaçait de sombrer dans la vallée représente 1,8 million d’euros. Nous essayons de réaliser de grandes choses avec un petit budget. »

© SBT

PÉRIODE CHARNIÈRE

Le site s’est appuyé sur le PGE post-Covid pour investir sur la sécurisation du cheminement, projet lancé en octobre et travaux réalisés ce printemps, soutenus à 20 % par la Région. « Nous passons un vrai cap » pour proposer dès cette saison, tous les mercredis à partir du 12 juillet, des visites nocturnes avec un concept scénographique lumineux sur l’épopée de Commarque : une redécouverte magique autant qu’une adaptation aux conditions climatiques qui pèsent sur les visites à flanc de falaise au plus chaud de l’été.

« Il y aura un village de créateurs locaux, des food-trucks, des tables de pique-nique… à retrouver pour Halloween et Noël. »

« Je ne suis que la gardienne de Commarque, c’est notre histoire à tous. »

Des agences comme Périgord Welcome orientent des clients, des groupes comme Vinci et Michelin, des entreprises locales comme Suturex ou une étude notariale y ont tenu des séminaires. Les ateliers de géométrie médiévale, de sculpture sur pierre, de tir à l’arc dans la prairie, de blasons et armoiries, de tracé pariétal, de calligraphie, de généalogie complètent la visite en sortant les plus jeunes de leurs écrans.

ESCAPE GAME, MURDER PARTY

Les portes d’entrée sont nombreuses vers ce lieu qui revit et s’est ouvert à des expériences chères aux touristes : enterrement de vie de garçon (ou fille), séminaires team-building, descente en rappel du donjon, escape game, murder party, exposition dans la grotte… Et l’audioguide a reçu en inoubliable cadeau la voix de Guillaume Gallienne. « On peut développer des tas de propositions, des soirées historiques, des dîners-lumière dans les troglos, des spectacles costumés, des départs en montgolfière, des feux de la Saint-Jean dans un esprit païen d’hommage à la nature que j’affectionne. » La vallée de la Grande Beune, qui s’étend au pied du château, est en effet classée Natura 2000. Située au cœur de la Réserve Unesco Homme et Biosphère, au sein d’un périmètre labellisé Grand Site de France depuis février 2020, elle accueille un parcours d’interprétation qui reflète la richesse de sa biodiversité.

« À partir du 12 juillet auront lieu des visites nocturnes avec un concept scénographique lumineux sur l’épopée de Commarque. »

PUBLIC FIDÈLE POUR DIAMANT BRUT

Passé de 20 000 visites en sortie de convention de délégation à 55 000 aujourd’hui, Commarque voit sa courbe de fréquentation progresser à chaque médiatisation d’ampleur, comme Des racines et des ailes l’an passé. « On a la chance d’avoir un site assez vaste pour accueillir des visiteurs sans rien dénaturer. » Ce vallon sauvage ne pourra jamais tutoyer les sommets touristiques et conservera ses contours intimistes car l’accès y est contraint, mais le cap de 80 000 visiteurs serait bienvenu. « La vallée de la Vézère est plus connue pour ses grottes que pour ses châteaux, nous sommes dans un espace plus secret, qui touche les gens au cœur : mon carburant, c’est l’émerveillement des visiteurs. »

COMMARQUE : UN PARFUM SUR MESURE

Avec Roland Manouvrier © Louis Piquemil

Roland Manouvrier et Aude de Commarque se sont rencontrés dans le cadre du tournage du magazine Des racines et des ailes. Et un parfum glacé nommé Commarque est né du lien tissé entre le site et le travail du maître artisan, ou plutôt artiste glacier, établi à Saint-Geniès, auteur de desserts givrés et parfums fous diffusés sur les plus belles tables, et sauveur des fleurs cristallisées Flor. « Ce nouveau parfum part de la vallée des Beunes, avec de la menthe sauvage. Des ingrédients s’ajoutent sur la route de la première croisade vers Jérusalem du seigneur de Commarque, miel des Cévennes, sureau, noisette d’Italie, pistache de Grèce, réglisse de Syrie, rose de Damas, Ras el hanout : une progression de la douceur à la force de l’épice d’Orient. »