La Vie Economique du Sud-Ouest : L’année 2024 a été marquée par deux grandes étapes pour la profession de commissaire aux comptes, peut-on en mesurer les impacts ?
Laure Mulin : « En effet, la transposition de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive, ndlr) est effective depuis le 1er janvier. Elle change le périmètre de notre intervention car nous devons désormais vérifier des indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Parallèlement, en février, un décret a relevé les seuils d’intervention pour les commissaires aux comptes (CAC). Avant, c’était obligatoire pour les entreprises affichant 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, aujourd’hui c’est 10 millions. C’est une grande différence. Sur le territoire de la CRCC de Toulouse, cela représente 500 entreprises sur nos 3 500 mandats qui n’auront plus l’obligation de faire appel à un CAC. »
LVE : Quelle incidence cela va avoir sur la profession ?
L. M. : « Il est encore tôt pour mesurer l’impact de ce décret de février. Mais c’est un second coup après la loi Pacte qui avait déjà rehaussé ces seuils en 2019. Au niveau national, la profession a perdu 10 000 mandats par an en moyenne. Quand j’ai débuté mon mandat il y a 4 ans, nous étions 400 CAC dans la CRCC de Toulouse, aujourd’hui nous sommes 390. La profession perd des membres et on observe une concentration sur de gros cabinets pour éviter le risque de fermeture. »
« Avec la loi Pacte, la profession a perdu en moyenne 10 000 mandats par an »
LVE : Ce que vous regrettez ?
L. M. : « Oui car le maillage territorial permet une plus grande proximité avec les entreprises de notre territoire. La centralisation entraîne aussi une moins grande présence auprès des entreprises. Globalement, ce relèvement des seuils est aussi dommageable pour le tissu économique local. À mon sens, il pourrait être fragilisé car la certification des comptes par les auditeurs légaux que nous sommes apporte de la confiance à l’environnement autour de l’entreprise, comme les sous-traitants, les investisseurs… Heureusement, de nombreux dirigeants continuent de renouveler leur mandat sur base volontaire, même s’ils n’y sont plus obligés. Ils perçoivent notre utilité. »
LVE : Bercy envisageait un nouveau relèvement des seuils à 15 millions de chiffre d’affaires, savez-vous si une nouvelle réforme aura lieu ?
L. M. : « C’est une possibilité offerte par l’Union européenne. Avec l’aide des entreprises, et notamment du Medef et de la CPME, on a réussi à faire entendre au ministère qu’un nouveau relèvement n’était pas opportun. Pour les entreprises, ce n’est pas une mesure de simplification attendue. Et pour notre profession, cela aurait été une difficulté supplémentaire à l’heure où l’on investit dans les formations en matière de durabilité pour se conformer aux exigences de la directive CSRD. »
« Le relèvement des seuils d’intervention des CAC est dommageable pour le tissu économique local »
LVE : Quand sont attendus les premiers rapports de durabilité des entreprises ?
L. M. : « En 2025, car les entreprises vont nous rapporter les données de l’année 2024. Nous allons ensuite les vérifier et nous sommes en train de nous former sur la manière de le faire. Avant, on ne gérait que des informations financières, désormais on va contrôler certains indicateurs comme les émissions de CO2. Il faut savoir de quoi on parle. On a donc mis en place une formation de 90 heures obligatoire pour se préparer à ce gros changement. »
LVE : Dans ces rapports, les entreprises vont devoir également vous fournir des informations concernant leurs sous-traitants. Comment allez-vous vérifier ces données ?
L. M. : « On prépare des guides, des avis techniques pour pouvoir aider les PME qui vont devoir faire remonter des informations à leur donneur d’ordre. Par exemple, si Airbus demande à une PME locale de produire son bilan carbone et de s’engager sur des réductions de gaz à effet de serre, il est possible que nous allions ponctuellement vérifier ces informations. »
LVE : C’est l’occasion pour la profession de récupérer une partie de ce qu’elle perd avec le relèvement des seuils ?
L. M. : « C’est une piste mais je n’anticipe pas le fait que cela compense. »
LVE : Votre mandat prend fin en octobre, quel bilan tirez-vous de votre présidence à la CRCC de Toulouse ?
L. M. : « J’ai aimé m’engager pour ma profession. Je suis heureuse d’être arrivée à la présidence dans ce moment de mutation pour les CAC. On était tous très motivés après le coup de massue de la loi Pacte et je crois qu’on a réussi à prouver notre utilité et démontrer aussi le caractère attractif de notre profession aux jeunes, pour qu’ils nous rejoignent. Désormais, je vais reprendre à plein temps au sein de mon cabinet, mais je resterai impliquée dans l’avenir de la profession et de l’instance. »
La CRCC de Toulouse en chiffres
4 départements : Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne
390 commissaires aux comptes (74 % d’hommes)
7 018 mandats dont plus de 3 500 entreprises
64 procédures d’alerte en 2022. « On pressent une augmentation pour 2023 », indique Laure Mulin.