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Conjoncture – Un avenir serein, malgré tout ?

Malgré une hausse des faillites d’entreprises en Occitanie en 2023, le président régional de l’Ordre des Experts-Comptables Pascal Castanet envisage l’avenir plutôt sereinement. Pour lui, la facturation électronique sera une opportunité pour les entreprises mais "il faut s'y préparer dès maintenant".

Pascal CASTANET président régional de l’Ordre régional des Experts-Comptables d’Occitanie

Pascal CASTANET président régional de l’Ordre régional des Experts-Comptables d’Occitanie © Adrien Nowak - La Vie Economique

La Vie Economique : L’année 2023 a été marquée par une forte progression des procédures de sauvegarde (+ 40% par rapport à 2019 au tribunal de commerce de Toulouse), vous vous attendiez à cela ?

Pascal Castanet : « Oui on s’y attendait même si sur la partie ouest de l’Occitanie, l’aéronautique a porté l’économie et les défaillances ont été moins visibles. La tendance est plus marquée à l’est de la région, notamment sur les activités touristiques touchées par la hausse de l’inflation. Aujourd’hui, certains secteurs d’activité rentrent dans le dur car ils doivent rembourser les prêts garantis par l’Etat (PGE) contractés pendant le Covid et la trésorerie de nombreuses entreprises s’étiole. »

LVE : Etes-vous favorable à la demande d’étaler le remboursement des PGE sur le long-terme ?

P.C. : « Oui car la plupart de ces prêts ont été négociés sur le temps court et c’est ce qui met en danger les entreprises aujourd’hui. Ce serait une bonne chose de renégocier sur 10 ans sans frais supplémentaires. L’Etat a tout intérêt à rallonger le dispositif pour les entreprises en difficulté. Après, il ne faut pas que cela maintienne en vie artificiellement des entreprises qui ont été sous perfusion de PGE pendant la période Covid. »

LVE : Comment envisagez-vous cette année 2024 ?

P.C. : « Déjà, je pensais que l’année 2023 serait encore plus compliquée que cela. On s’attendait à pire ! Il faut souligner le fait que l’Etat est venu en aide aux entreprises sur les prix de l’énergie. Désormais, il faudra voir comment évolue l’inflation et si les taux d’intérêts diminuent, mais je ne suis pas pessimiste pour 2024. Il y a des secteurs qui vont rester en tension comme l’hôtellerie, la restauration et les travaux publics notamment mais je ne pense pas que les chiffres vont exploser. Je crois que les chefs d’entreprise ont pris conscience qu’il fallait agir avant la faillite. Notre travail de prévention est crucial. »

LVE : Ce sont des procédures qui sont mal connues des chefs d’entreprise ?

P.C. : « Oui et pourtant, quand on fait de la prévention, ce sont 75 % des entreprises qui s’en sortent. Si on attend trop, on tombe à moins de 5 %. Il faut sensibiliser les entrepreneurs, les inciter à se rendre dans un CIP (centre d’information sur la prévention des difficultés en entreprise, ndlr). On rencontre des experts qui vont donner des conseils avant qu’il ne soit trop tard. On fait cela en dehors du cadre du tribunal qui peut braquer les chefs d’entreprise. »

« C’est à nous de faire de la psychologie et d’expliquer que les difficultés peuvent arriver à tout le monde »

LVE : Est-ce par méconnaissance ou par crainte que les chefs d’entreprise refusent de se tourner vers ces procédures de prévention ?

P.C. : « Un peu des deux. On se dit souvent « ça ira mieux demain, je vais m’en sortir. » Et souvent, demain c’est déjà trop tard. Il y a aussi une barrière mentale en France où on se dit « si on se trompe, c’est qu’on est nul. » Aux Etats-Unis, on se dit qu’on sera meilleur la prochaine fois. Il y a cette peur, cette honte de ne pas réussir. »

LVE : Quel est le rôle des experts-comptables dans cette situation ?

P.C. : « C’est à nous de faire de la psychologie et d’expliquer que les difficultés peuvent arriver à tout le monde. En tant qu’expert-comptable, nous avons la meilleure photographie de la santé financière de l’entreprise. Paradoxalement, lorsqu’il est en difficulté, le chef d’entreprise nous apporte moins de documents. Il ne veut pas montrer qu’il est dans le dur. C’est pour cela que nous avons hâte de la mise en place de la facturation électronique qui nous donnera ces détails en toute circonstance et nous permettra d’alerter plus rapidement. »

« Je ne suis pas pessimiste pour 2024. Il y a des secteurs qui vont rester en tension comme l’hôtellerie, la restauration et les travaux publics mais je ne pense pas que les chiffres vont exploser »

LVE : La facturation électronique obligatoire est prévue pour septembre 2026, vous la préparez dès à présent ?

P.C. : « Il faut s’y préparer le plus tôt possible ! Tout le monde va y gagner. En premier lieu, l’administration fiscale puisqu’elle aura accès aux données de TVA presque en temps réel, mais les entreprises aussi vont trouver leur intérêt. La centralisation des factures va permettre d’avoir accès à de nombreuses données supplémentaires. En tant qu’expert-comptable, nous allons pouvoir offrir de nouveaux services aux entreprises. »

LVE : Lesquels ?

P.C. : « Grâce à l’intelligence artificielle, on va pouvoir travailler sur de la comptabilité prédictive. On va aussi pouvoir réaliser des comparatifs avec le prix de certaines matières. Nous serons en mesure de prévenir notre client afin qu’il renégocie ses contrats si on s’aperçoit qu’il paye trop cher. On va pouvoir travailler dans l’immédiateté, avec une récupération quasi journalière des factures et des données bancaires. Aujourd’hui, 60 % des factures des TPE sont encore faites avec Word ou Excel. Il va donc falloir accompagner les entreprises pour ce changement qui peut leur faire peur. »