C’est une jeune femme de sa génération. 27 ans, une tête à la fois bien faite et bien pleine, un CV calibré pour aller loin et haut, mais un caractère qui ne transige pas sur les valeurs : la vie professionnelle de Constance Régnier s’est heurtée à sa « vraie vie », comme bien des « bifurqueurs » diplômés de grandes écoles qui s’éloignent de la voie royale de leur cursus et remettent en question un système.
Sur les réseaux, on la suit parce que ses informations ont du prix, non parce qu’on les achète
Constance a fait ses premiers pas dans l’industrie agroalimentaire à laquelle elle était promise. Elle a vu et appliqué, vérifié et éprouvé ce qu’elle avait appris. De quoi la conforter dans ses idéaux pour refaire le chemin à l’envers et repartir sur d’autres bases. Curieusement, la voilà sur le terrain de la production de contenus et de l’influence, pourtant loin des boni-menteurs du web qui baladent les gens sur les réseaux. Tout l’inverse, en fait : on la suit parce que ses informations ont du prix, non parce qu’on les achète.
Constance Régnier a passé son enfance en Alsace. Au tournant de la vie qu’elle construit avec Thomas (lire encadré), ils choisissent de s’installer dans le Sud-Ouest. D’abord à Bordeaux, en mai 2022, une ville de taille suffisante pour ses recherches de partenariats et de collaborations. Et, depuis ce mois de septembre en Périgord noir, sur les hauteurs d’Audrix, dans une maison de bois en lisière de forêt, avec quelques poules qui picorent autour. « Le cadre idéal. J’ai la chance de travailler chez moi. On est déjà ancrés dans ce territoire où tout le monde se connaît, on a rencontré plus de monde ici en un mois qu’en un an à Bordeaux. »
AVEC BON SENS… ET CONSTANCE
Les pieds sur terre, la tête dans les réseaux, c’est le nouveau monde de Constance. Une vie à l’ancienne dont peuvent se souvenir pas mal de Périgourdins, connectée aux réalités du moment. Un modèle inspirant. « J’ai quitté l’agro-industrie pour pouvoir vivre ainsi. Certains amis sont en CDI, achètent un appartement, c’est un autre choix de vie. »
Ingénieure agroalimentaire (mention très bien) et diététicienne, jeune et belle carrière chez un leader français de cette industrie, missions au Canada et à Los Angeles : que s’est-il passé pour rompre ainsi avec une voie toute tracée ? « En travaillant dans les services innovation, j’ai pu voir comment se structure et fonctionne une agro-industrie à l’échelle mondiale, mais aussi dans la PME de pâte à tartiner où j’ai fait ma licence professionnelle. » Après avoir abordé ces deux facettes, la petite fille d’agriculteurs francs-comtois qui a reçu des valeurs de proximité et de qualité, pour « manger local, des produits qui ont du goût », a confronté son expérience aux réalités du monde agricole. « Ce n’était plus compatible. »
À 24 ans, elle a dit non à un CDI pour revenir aux fondamentaux nourriciers, au contact direct de la terre
À 24 ans, elle a dit non à un CDI pour revenir aux fondamentaux nourriciers, au contact direct à la terre. « Mes parents m’avaient poussée à faire des études. Ils n’ont pas compris que je puisse refuser le poste de chef de produit Innovation qui m’était proposé. Il n’y a pas d’entrepreneurs dans ma famille mais je savais que je le serais un jour. Aujourd’hui, ils sont fiers de ce qui m’anime. »
Ce choix, certains le font bien plus tard dans la vie, après avoir éprouvé la lassitude ou l’habitude. Elle fonce parce que « libre, pas d’enfant, pas de crédit ».
BIEN MANGER, MOINS MAIS MIEUX
Constance se lance alors dans un tour de France des terroirs pour découvrir des artisans, producteurs, restaurateurs, avec l’intention de créer une chaîne YouTube qui racontera leur histoire et leur métier, les étapes de notre nourriture. « Je faisais du woofing pour des questions de moyens mais aussi pour être au plus près d’eux. J’ai beaucoup appris, j’ai réalisé qu’avec un bac+5, je ne savais pas comment se fabriquent des choses toutes simples. En trois générations, on a tout oublié alors qu’il est vital de bien s’alimenter.
Son savoir-faire a valu à la créatrice de contenu de recevoir le titre de Meilleure influenceuse culinaire de France en mai 2o23
On passe des heures sur Internet et on n’a plus le temps de faire soi-même de simples carottes râpées ? Nous devons nous reconnecter à notre assiette, revoir nos priorités pour moins dépendre du système industriel. » Peu à peu, la jeune femme construit Au nom du goût avec l’envie de cuisiner et d’aider les gens, un coaching en ligne, des idées de recettes, des critères santé et équilibre, et bien sûr une présence sur les réseaux sociaux. Avec l’Agence de l’alimentation Nouvelle-Aquitaine (AANA) pour premier client, elle réalise qu’elle peut gagner sa vie en valorisant les produits qu’elle aime. Depuis mai 2023, elle arrive à vivre de ce métier passion.
CHRONIQUEUSE SUR FRANCE BLEU PÉRIGORD
Constance Régnier est depuis plusieurs mois chroniqueuse pour France Bleu Périgord, pour l’émission « Bienvenue chez vous ». Elle y apporte ses connaissances, du global au local, sur un produit. Elle a préparé dès septembre des séquences de 7 minutes diffusées durant les vacances de Toussaint et de Noël. « Je ne parle pas seulement d’un producteur, je souhaite aider à mieux comprendre l’environnement alimentaire, l’histoire du produit et la consommation générale, en apportant des solutions locales, avec une idée recette pour finir. » Et elle utilise cette chronique au format vidéo pour ses réseaux, avec une visite à la ferme.
PAS À N’IMPORTE QUEL PRIX
Ses vidéos ont attiré des marques ou des filières pour leur promotion. « Je fais très attention aux contrats que je signe. Des industriels m’ont approchée, mais je suis engagée sur une ligne éditoriale dont je ne m’écarterai pas. » Son savoir-faire a valu à la créatrice de contenu de recevoir le titre de Meilleure influenceuse culinaire de France (Food Influencers Awards 2023) en mai dernier. « Il s’agissait de faire le meilleur post d’une masterclass du chef Jacques Chibois. Thomas a eu l’idée de lier toutes nos photos sur le thème de la main et j’ai préparé un texte sur la transmission. J’avais bien moins d’abonnés que mes concurrents. Ce qui a plu aux Disciples d’Escoffier, ce sont les valeurs prônées sur mon compte. » L’influence, la communication, ce n’était clairement pas son domaine. Ce monde est venu à elle sans qu’elle le cherche. « Certaines soirées ne me correspondent pas toujours. »
Pour dessiner un personnage repérable dans l’espace numérique, Constance s’affirme sur un partage de valeurs, un fond qui l’anime plus que la forme. « Je gagne moins ma vie que la plupart des influenceurs qui ont des cachets pour des marques mais je ne suis pas là pour ça. » Un projet de livre est à l’étude avec Hachette.
ENTRE CONSOMMATION DE MASSE ET PRÉOCCUPATIONS ÉCOLOGIQUES
L’investissement en temps de la jeune femme est total. Elle vient de recruter un vidéaste car elle n’arrivait plus à tout faire alors que « les vidéos sont la base de mon projet ». Son choix s’est porté sur un alternant étudiant à Toulouse parmi les 60 candidatures reçues.
On passe des heures sur Internet et on n’a plus le temps de faire soi-même de simples carottes râpées ? Nous devons nous reconnecter à notre assiette
Le JT de 13 heures de TF1 est venu à elle ce mois de novembre pour cuisiner un repas zéro déchet. Sur le plateau d’une émission de France 3 sur la malbouffe, elle a débattu sur le nutriscore qui ne sert selon elle à rien : « les industriels réduisent quelques pourcentages pour atteindre A et B, mais ce n’est pas ainsi qu’on apprend à mieux manger ». Elle pointe aussi les paniers anti-inflation « alors qu’un tour sur le marché permet de consommer autrement et à moindre frais ». Aux arguments qu’elle maîtrise déjà, Constance ajoute un important travail de documentation.
70 000 ABONNÉS NUMÉRIQUES
Elle touche sa génération, partagée entre consommation de masse et préoccupations écologiques. « Le canal d’internet est le plus sûr moyen d’atteindre celles et ceux qui passent au moins 3 heures par jour sur les réseaux. C’est un espace possible d’éducation. » 70 000 abonnés la suivent sur l’ensemble de ses supports numériques, dont 43 700 sur Instagram, 3 300 sur Facebook, 18 700 sur TikTok et plus de 1 million de vues sur YouTube. « Je me sens très sou-tenue. » Périgord Développement a accompagné son arrivée.
Dans un climat de durcissement des positions, y compris alimentaires, Constance cherche l’équilibre. « On peut manger de tout raisonnablement, moins de viande mais pas seulement du végétal. Pas forcément bio mais au moins du local. Le défi de ma génération consiste à trouver une troisième voie après l’autosuffisance paysanne puis la mondialisation et les têtes de gondole, et les 30 % de gaspillage qui vont avec. »
Ce combat personnel marque une maturité et le début d’un chemin durable, à tous les sens du terme. « Je n’ai pas de visibilité sur le long terme, il faut compter avec l’irrégularité de cette activité, mais c’est pour moi le scénario de vie idéal. »
LES GLYCINES CÔTÉ SALLE
Thomas Belhabchia a très tôt adoré le monde de la gastronomie, côté salle, dans les établissements de Michel Rostang, Guy Savoy, Anne-Sophie Pic, Pierre Gagnaire. Quittant Paris pour la Suisse, il s’évade vers la Lorraine lors du confinement, chez son oncle charcutier-traiteur. C’est là qu’il rencontre Constance Régnier, qui y fait une étape sur son tour de France, cherchant « un signe, la confirmation d’être sur le bon chemin ».
Il la soutient. En cette période de crise sanitaire où le monde de la restauration est entre parenthèses, ils abandonnent l’idée de créer ensemble un établissement mais se savent complémentaires : la passion de Thomas pour la photo aide Constance dans ses présentations. « Bien des artisans ont des mains en or mais n’ont ni le temps ni la capacité de le faire savoir. » Ce mois de décembre, il intègre l’équipe des Glycines, table étoilée de Pascal Lombard aux Eyzies-de-Tayac. « Avec sa fille, Léa, nous avons la même vision de la restauration, le cadre, la rigueur. » Responsable de salle du bistrot le midi et du gastronomique le soir, il a envie de prendre des responsabilités et de faire pousser ses idées.