La santé du dirigeant est le premier capital immatériel de l’entreprise. Une évidence pudiquement ignorée, mais on voit que le sujet est mobilisateur : dans ses locaux fraîchement rénovés à Bergerac, le service de Prévention Santé Travail (SPST 19-24) faisait salle comble le 13 septembre dernier pour aborder le capital santé du dirigeant… Des mots choisis pour souligner que lorsqu’il va bien, tout peut encore s’arranger, mais qu’il oublie souvent de se protéger au motif qu’il veille sur son affaire.
Un patron de grand groupe est aussitôt remplacé en cas de malheur, pas un patron de PME
Or, l’un et l’autre sont indissociables et, comme le rappelle Olivier Torres (voir encadré), « un PDG de grand groupe est aussitôt remplacé en cas de malheur, pas un patron de PME, dont la disparition peut anéantir l’entreprise ».
Philippe François, président du Service de Santé au Travail Dordogne-Corrèze ©D.R.
SOUFFRANCES PERSONNELLES ET ÉCONOMIQUES INDISSOCIABLES
Et parce que santé du dirigeant et de l’entreprise sont intimement liées, le SPST a réuni des spécialistes de l’une et de l’autre avant de présenter la personne qu’il mobilise en interne pour cette cause. Cette innovation est menée avec Entraide & Entrepreneurs, association que préside la dirigeante bordelaise emblématique Claudine Péry, pour ajouter l’expérience de ce réseau fort de 82 actifs bénévoles (juristes, experts métiers, soutiens moraux…) à celles des équipes de professionnels de santé du SPST (psychologue, médecin, assistante sociale, addictologue…).
PROGRAMME PERSONNALISÉ ET GRATUIT
Ce programme personnalisé et gratuit d’accompagnement (compris dans l’adhésion au service de santé) repose à la fois sur la prévention et des actions de soutien. « Le projet capital santé des dirigeants a mûri lors de la crise sanitaire, » souligne Philippe François, président du SPST. Ce thème fédérateur répond à la question taboue de la santé physique et psychologique du dirigeant. » Question posée trop rarement : comment ça va ? Elle ou il ne s’autorise pas à se confier, ni à ses collaborateurs ni à ses pairs ni à sa famille. À la charge de travail s’ajoute une charge mentale de stress, de risque, d’incertitude, de performance, sans temps mort.
©D.R.
ARRÊT SUR IMAGE
Tout peut commencer très simplement par un tête-à-tête anonyme avec l’outil d’e-santé conçu par l’observatoire Amarok pour évaluer la santé entrepreneuriale, qui ne répond pas aux mêmes contraintes que celle du salarié : il est d’ailleurs disponible pour tous, cadres et dirigeants, sans inscription (www.observatoire-amarok.net). Si le technostress (risques informatiques) est une pression nouvelle, l’isolement est assurément la pire épreuve pour un hyperactif : l’empêchement est destructeur pour tout dirigeant.
L’objectif est d’agir avant le burn out qui finit par arrêter certains dirigeants avant la prise de conscience
L’échelle de Holmes-Rahe mesure les événements de vie autant que d’entreprise. Le CJD a été un éclaireur en 2010 en testant 380 dirigeants, pour analyser les différents risques. Le stressomètre digital mesure les facteurs pathogènes et salutogènes faciles à suivre, avec des pictogrammes : seul devant son écran, nul intérêt à tricher.
Après quoi, en toute discrétion, en fonction de l’évaluation apportée et de la nécessité d’avoir recours à un accompagnement, Angélique Louchart*, qui se consacrera spécialement à cette mission en Corrèze comme en Dordogne, pourra proposer un cadre personnalisé à partir de la plateforme de contact et d’orientation.
« NEVER COMPLAIN, NEVER EXPLAIN »
Philippe Garabiol, secrétaire général du Conseil national d’orientation des conditions de travail, qui soutient ce dispositif, a résumé en un « Never complain, never explain » — hommage à feu Sa Majesté la posture du dirigeant. « Il a pourtant le droit d’être épaulé, l’enjeu est psychologique et économique : il mérite la mobilisation de ce réseau partenaire. Il n’est pas évident de savoir dire stop, de déconnecter dans un univers contraint. » Parce qu’un dirigeant est d’abord seul, il doit pouvoir identifier les signaux précurseurs, ou on doit l’aider à exercer ce contrôle sur lui-même.
Quel que soit le niveau et le secteur d’activité, l’incertitude liée à la crise Covid a pesé sur la stabilité émotionnelle et il faut accepter des filets de sécurité : s’autoriser au moins un jour par semaine pour décrocher !
RETROUVER LE POTENTIEL DE DÉCISION
L’objectif est d’inviter chacun à faire ce test, même s’il se sent bien, juste pour savoir où il en est, et d’agir avant le burn-out qui finit par arrêter certains avant la prise de conscience. Entraide et Entrepreneur a l’habitude de gérer les risques, comme l’indique Carmen Vannobel, venue expliquer comment l’association reconnue d’intérêt général soutient bénévolement, parfois sur 3 mois parfois sur 2 ans, celles et ceux qui ne s’en sortent plus dans leur affaire, qu’il s’agisse d’impayés, de trésorerie, d’associés… « avant les procédures et sans jamais prendre la place d’un consultant professionnel puisqu’il est bien question de précarité financière ».
JE SUIS UN PMISTE !
Olivier Torres, professeur et fondateur de l’observatoire Amarok, association scientifique et universitaire spécialisée dans la santé physique et psychologique des travailleurs non-salariés, clame tout haut son attachement au patron patrimonial. « J’ai théorisé et observé les PME dans leur diversité, c’est-à-dire 99,84 % des entreprises : il y a plus d’études sur la baleine bleue que sur la santé des entrepreneurs ! » Onze thèses de doctorat très précisément ont été encadrées sur le sujet.
Et s’il assure qu’entreprendre est bon pour la santé, il remarque aussi que l’écart type entre les hauts et les bas est très fort, même si la moyenne est plutôt bonne. « Il y a un rapport quasi existentialiste à l’entreprise, souvent désignée comme leur bébé. » Et s’il faut se pencher sur les aspects pathogènes de ce lien, il convient de s’intéresser aussi à la salutogenèse (de la bonne santé). « Avoir de l’endurance, de l’enthousiasme, de la passion, de l’optimisme, c’est bien… mais c’est épuisant ! » La différence entre le salarié et l’entrepreneur, c’est la somme d’heures de travail supplémentaires. La vie privée, le sommeil, deviennent la variable d’ajustement.
TRAVERSER DANS LA CONFIANCE ET L’ENTRAIDE CETTE PÉRIODE SENSIBLE
L’association s’attache à ne pas décider « à la place de » et à traverser dans la confiance et l’entraide cette période sensible, jusqu’au rebond ou la procédure.
Le Groupement régional de prévention agréé de la CPME, le fonds de dotation Garance et la Région sont également partenaires de ce dispositif innovant. D’ailleurs Yves Trousselle, conseiller régional présent, a témoigné de sa propre expérience : le déclin et la fin de son entreprise, puis le renouveau et sa mission d’élu pour la collectivité.
« J’aurais aimé pouvoir cliquer à temps sur cet outil à cette époque. » Il dit aussi qu’une nouvelle vie est toujours possible, avec une passion intacte.
COMMENT ÇA VA ?
Une étude OpinionWay de 2019 pour la Fondation MMA indique que 63 % des dirigeants de micro et petites entreprises disent souffrir du dos et 30 % de manque de sommeil, 70 % se sentent stressés, un tiers se sentent isolés dans leur quotidien et 39 % ont du mal à concilier vie professionnelle et personnelle.