« La question n’est pas de savoir s’il y aura une collision, mais quand ? » La réflexion de Juan Carlos Dolado, qui a cofondé Look Up Space avec l’ancien commandant de l’Espace, Michel Friedling, est limpide. Avec 1 million de débris supérieurs à 1 cm, navigant dans l’espace à 7 km par seconde, les risques de collision avec un satellite fonctionnel sont de plus en plus grands. D’autant que la population de satellites augmente de façon exponentielle. Moins de 1 000 en 2017, ils sont aujourd’hui 9 000. « Et on devrait multiplier les lancements par 5 d’ici 2030 avec les méga constellations », précise Matthieu Derrey d’Airbus Defence & Space qui cite Starlink (Space X), OneWeb 2 ou encore Kuiper (Amazon).
Penser la fin de vie des satellites
En attendant ces lancements qui vont s’étaler sur les cinq prochaines années, les fabricants pensent déjà à la fin de vie de leurs satellites pour proposer une orbite basse plus durable. Erwan Le Ho travaille à cette problématique chez Thales Alenia Space. « On veut que nos satellites ne deviennent pas de futurs débris. On les conçoit pour être plus résistants aux impacts et ainsi éviter une réaction en chaîne. » Il n’empêche qu’à ces vitesses folles, un débris de 3 cm peut faire exploser un satellite en état de marche, et générer ainsi des milliers de débris supplémentaires.
« Certains satellites font 1 à 4 manœuvres anticollision par an »
Une Charte Zéro Débris
Autre piste sur laquelle planchent les fabricants de satellites, celle de la désorbitation de leur appareil une fois leur mission terminée. On ne compte plus les satellites inactifs présents en orbite, qui tournent dans le vide sans pouvoir être contrôlés depuis des années. « Le problème, c’est que la désorbitation coûte cher car elle demande du carburant supplémentaire », souligne Arnaud Boutonnet, ingénieur à l’Agence spatiale européenne (ESA). Signe que les acteurs ont pris conscience du problème, 40 entreprises, centres de recherches et organisations internationales ont signé début juin une Charte Zéro Débris. « Les nouveaux acteurs investissent des milliards de dollars dans des systèmes spatiaux, pour avoir un retour sur investissement, il faut un environnement sans débris », décrypte Pierre Omaly, expert en surveillance spatiale au CNES.
Astroscale travaille sur un satellite pour capturer plusieurs débris à la fois
Look Up pour cartographier les débris
Dans la lutte contre ces débris spatiaux, Toulouse est en pointe avec plusieurs start-ups qui planchent sur des projets innovants. En 2022, Juan Carlos Dolado a fondé Look Up Space après 16 ans passés au CNES. « J’ai estimé qu’on dépendait trop des données américaines dans la lutte contre les débris spatiaux. » Les Américains ont en effet des radars sur l’hémisphère nord, héritage de la Guerre Froide et des craintes d’un missile balistique russe. Aujourd’hui, Look Up Space envisage de placer une dizaine de radars spécialisés en France et sur la plupart des territoires ultramarins. Les travaux viennent d’ailleurs de débuter dans la région Occitanie et le premier radar entrera en service avant la fin d’année. Les autres seront déployés progressivement jusqu’en 2030.
Ce projet, cœur de Look Up Space, nécessite un investissement d’une dizaine de millions d’euros par radar. La start-up a pu lever plus de 20 millions d’euros depuis sa création. Elle a également bénéficié de 17 millions d’euros grâce au dispositif EIC Accélérator de la Commission européenne et travaille actuellement sur une prochaine levée série A supérieure à 30 millions d’euros.
La start-up développe également une plateforme Synapse qui permet aux opérateurs de suivre en temps réel les risques de collision. Juan Carlos Dolado en fait la démonstration. « On peut voir qu’il y a plus de 1 500 risques de collision dans les 3 prochains jours. » La carte interactive montre le rapprochement des objets, les trajectoires prévisibles et l’heure d’impact. « Il suffit de prévenir l’opérateur de la manœuvre anticollision à effectuer. » Des manœuvres qui sont de plus en plus fréquentes. « Certains satellites en font entre 1 et 4 par an pour éviter des débris. » Dans la giga-constellation Starlink, ces manœuvres sont quasi constantes : toutes les 11 minutes aujourd’hui, toutes les 11 secondes d’ici quelques années.
Aujourd’hui, Look Up Space envisage de placer une dizaine de radars spécialisés en France et sur la plupart des territoires ultramarins
Astroscale pour enlever les débris
Cartographier les débris permet aux opérateurs de satellites de naviguer en sécurité et d’avoir les yeux partout, même si trop peu de débris sont encore connus aujourd’hui. La prochaine étape est de pouvoir retirer ces débris. « À 95 %, ils sont chinois, russes ou américains », rappelle Erwan Le Ho de chez Thales. Impossible d’y toucher sauf autorisation expresse. Cela n’empêche pas l’entreprise japonaise Astroscale de travailler sur la question du nettoyage de l’espace depuis 2013. La start-up s’est récemment installée à Toulouse avec l’objectif de peaufiner sa technique issue des missions de ses filiales britanniques et japonaises. « La première mission ELSA-D nous a permis d’envoyer un satellite et un débris en même temps afin de montrer qu’on peut l’attraper en l’aimantant », explique Philippe Blatt, le directeur général d’Astroscale France. « L’an prochain, les Britanniques lanceront ELSA-M pour désorbiter trois débris équipés de plaques magnétiques. » La difficulté relève dans le calcul du rendez-vous spatial. « Les débris tournent sur trois axes à des vitesses différentes, avec une trajectoire particulière. Pour l’attraper, le satellite doit s’approcher à quelques mètres, et tourner de la même façon. » L’algorithme développé par Astroscale est aujourd’hui mature et représente une avancée majeure pour le nettoyage des orbites.

© CNES
Ravitailler, réparer, réutiliser
Aux États-Unis, l’entreprise a signé un nouveau type de contrat avec l’US Air Force pour étendre la durée de vie des satellites en les ravitaillant en carburant. « C’est l’avenir ! », s’enthousiasme Pierre Omaly, du CNES. « Il faut pouvoir recharger les satellites en vol, on doit pouvoir les réutiliser, les réparer en vol et ainsi éviter des lancements supplémentaires. » Philippe Blatt abonde : « on peut même envisager que des satellites changent d’orbite pour servir à d’autres usages. » Une sorte de recyclerie de l’espace.
En France, Astroscale travaille surtout sur un satellite pour capturer plusieurs débris à la fois et qui fonctionnerait à propulsion électrique. « On cherche des partenaires pour travailler sur des propulseurs plus robustes, sur des panneaux solaires pour se recharger et fonctionner plus longtemps », liste Philippe Blatt. La start-up a déjà pris attache avec plusieurs partenaires locaux comme Hemeria, Aldoria ou Endurosat. « Il nous faut des partenaires agiles et qui savent faire de la R&D car c’est en innovant qu’on trouvera des solutions. » Avec 20 collaborateurs d’ici la fin d’année, et le double espéré l’an prochain, Astroscale accélère son développement et envisage la création d’un laboratoire de tests à Toulouse prochainement avant celle d’une salle d’intégration pour son futur satellite qui pourrait voir le jour sous 3 ans.

© ESA