LA VIE ÉCONOMIQUE : Rien ne va plus : est-ce que le bâtiment va ?
David Pontou : « Dès la deuxième vague Covid, nos métiers ont quand même pu bénéficier de mesures pour travailler en protégeant nos équipes, donc peu de chômage partiel et un plan de relance adapté. Cette période s’est finalement plutôt bien passée, nous avons travaillé sur le roulement des carnets de commandes… Les ennuis sont arrivés fin 2021, avec une tension sur les matériaux sensibles à une grosse demande mondiale : l’acier, le bois. L’aluminium et le verre subissent aussi d’importantes hausses. Les peintures souffrent de la hausse du pétrole, mais cela prend moins de place dans un devis que le métal. Les relances économiques dans l’industrie se sont déroulées plus tôt en Chine et aux États-Unis qu’en France : nous avons d’abord rencontré des pénuries, puis des hausses de coût. Dans le monde du bâtiment, repéré pour sa dimension non délocalisable, nous ne nous savions pas à ce point dépendants du contexte mondial : la flambée du prix des matériaux et les pénuries étaient difficilement prévisibles avant le Covid. C’est une surprise. »
J’encourage nos adhérents à répercuter les hausses de prix lors des appels d’offres sous peine de mettre en danger leur entreprise
LVE : Comment affrontez-vous cette situation ?
D.P. : « Sur le marché privé, on peut s’expliquer de gré à gré. Mais les marchés publics déjà signés sont encadrés et il est difficile de revenir dessus : des entreprises ne peuvent même pas commencer, le seul achat des fournitures les met en difficulté, certaines ont pris 50 % et jusqu’à 100 % d’augmentation. Un important travail a été réalisé par notre président national Olivier Salleron (ex-président de la FFB Dordogne précisément), qui a interpelé les pouvoirs publics et demandé que les pénalités de retard, pourtant légales, ne soient pas appliquées. Ce serait la double peine de payer les matériaux plus chers et de verser ces pénalités… Localement, si des arrangements ont été possibles dans la plupart des cas, il est nécessaire pour trois ou quatre dossiers de monter au créneau. Le problème principal, en plus d’obtenir un délai supplémentaire pour finir les chantiers en cours, c’est la revalorisation des marchés déjà signés : c’est compliqué de commencer sur fond d’augmentations régulières.
Quand la médiation ne fonctionne pas, les dossiers sont transmis à nos instances nationales : il faut agir vite car certaines entreprises peuvent disparaître. Les trésoreries sont fragiles. Par exemple, pour une intervention en menuiserie bois de 100 000 euros sur un marché public, il peut y avoir une perte sèche de 25 000 euros sans même commencer le chantier, juste par la hausse du prix des matériaux. Sur un de nos dossiers, on est à plus de 250 000 euros de plus-value. Comment réaliser un chantier annoncé à perte, faut-il le commencer ? Certains corps d’état mobilisent 50 % de fourniture ! J’encourage nos adhérents à répercuter les hausses de prix lors des appels d’offres, sous peine de mettre en danger leur entreprise. D’autant que ces hausses peuvent continuer. On invite aussi à raccourcir les délais de validation des devis.
Nous serons aussi impactés par la guerre en Ukraine : on utilise l’énergie tous les jours. Inévitablement nos coûts de production augmenteront avec ceux des carburants et du gaz. Par ailleurs, le traitement des déchets est un poste important dans notre secteur — pour la peinture, chez moi, tout passe par une filière spécialisée — mais il nous appartient de valoriser cet effort et nos normes environnementales en faisant apparaître ce poste sur nos devis : nos clients y sont sensibles. »
Nous serons aussi impactés par la guerre en Ukraine : nos coûts de production augmenteront avec ceux des carburants et du gaz
LVE : La pénurie de main-d’œuvre vient s’ajouter à ces contraintes…
D. P. : « C’est le fil rouge, on le sait : c’est structurel, au terme d’une politique de 30 ans de dévalorisation de nos métiers. Nous avons fourni des efforts pour la qualité de vie au travail, à nous de les faire connaître, de montrer que les salaires sont corrects comparés à l’industrie ou l’agroalimentaire. La pénibilité a été réduite et nos métiers se sont féminisés. On peut travailler en équipe, à proximité de sa famille : quelqu’un de formé connaîtra le plein emploi. C’est le rôle de la Fédération d’aller dans les collèges et de le faire savoir, de rencontrer les conseillers d’orientation et les profs principaux. Le bâtiment, ce n’est pas que le CAP, il y a les BP, bac pro, BTS et au-delà, ingénieur. Le 2.0 est présent, les machines sont équipées d’électronique. Les effectifs du CFA sont en hausse, grâce aux mesures récentes de revalorisation des primes pour soutenir l’apprentissage. On est passés de 300 à 400 jeunes, mais on n’est pas complets, il en manque 100. Olivier Salleron interpelle déjà les candidats à la Présidentielle pour que les apprentis ne soient pas oubliés. Il en manque 15 à 20 % dans nos entreprises. Nous avons aussi suscité des rencontres avec Pôle emploi car leurs services sont en contact avec des personnes en reconversion professionnelle. Il faut ici bien tenir compte d’un temps de formation : on peut entrer en CFA jusqu’à 26 ans, puis il y a l’Afpa, les formations continues, c’est plus compliqué… Nos métiers sont techniques. J’observe que le bâtiment est le meilleur ascenseur social : c’est un secteur où des apprentis deviennent chefs d’entreprise. La promotion est réelle. »
Le bâtiment est le meilleur ascenseur social
DORDOGNE : LE BÂTIMENT EN CHIFFRES
3 000 entreprises en Dordogne.
350 entreprises adhèrent à la FFB, avec une répartition des membres homogène sur les 35 métiers du BTP.
25 % de ses adhérents ont plus de 55 ans. En France, le BTP représente 10 % du PIB.
LVE : Votre thème d’actualité, c’est la transmission : un problème de plus ?
D.P. : « À la demande de nos adhérents, nous portons ce coup de projecteur : une première réunion spéciale s’est déroulée le 3 mars à Sarlat, avec une trentaine de participants, pour sensibiliser à la transmission à un enfant, un collaborateur ou un acquéreur, avec beaucoup d’informations techniques sur les systèmes juridiques et économiques. Nous en prévoyons d’autres en Dordogne car des entreprises saines, rentables, peuvent disparaître si elles ne préparent pas assez tôt la relève. C’est difficile de transmettre : tout repose souvent sur un homme-clé, une secrétaire comptable qui l’aide, et c’est souvent une affaire de couple. Il faut du temps pour confier son métier, ses clients, son savoir-faire, c’est toute une vie ; de même pour se faire accepter dans l’entreprise, c’est une histoire humaine.
Même si des TPE se créent tous les jours, dans tous les secteurs du bâtiment, la transmission concerne des entreprises plus importantes, de valeur, à conserver dans notre paysage économique. Car les perspectives sont bonnes en sortie de crise : les carnets de commande sont bien fournis, que ce soit pour le privé ou le secteur public. Rien que pour Périgueux, des logements neufs en habitat social, résidences senior, du tertiaire autour de la gare, le développement des cliniques… De beaux projets et des volumes d’activités. »
Les carnets de commande sont bien fournis. Rien qu’à Périgueux, il y a de beaux volumes d’activités