Couverture du journal du 03/12/2024 Le nouveau magazine

Hautes-Pyrénées – Apiculteur des hauteurs

Installé à Esquièze-Sère, près de Luz-Saint-Sauveur, Florent Huard milite pour une apiculture raisonnée, loin des modèles traditionnels. En France, il est le seul producteur de gelée royale à s’être lancé avec des ruches kenyanes. Rencontre avec un apiculteur passionné et convaincu qu’il existe une voie alternative pour la production de miel et de gelée royale.

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Florent Huard, fondateur du Rucher Pentu avec un rayonnage d'une de ses ruches kenyanes. © Lilian Cazabet - La Vie Economique

C’est seulement équipé d’un enfumoir et de quelques outils ceinturés autour de la taille que Florent Huard s’approche de ses ruches kenyanes dont il ouvre le toit avec délicatesse. Sous une couche de laine isolante, ses abeilles construisent de précieux rayonnages de cire. « Mes abeilles sont plutôt calmes », précise-t-il avec le sourire. Les abeilles façonnent à la fois l’activité et le mode de vie de cet apiculteur qui a pris ses quartiers dans une maison à flanc de roche à Esquièze-Sère, près de Luz-Saint-Sauveur. Avec son magasin au rez-de-chaussée et son atelier à l’étage, cette habitation a donné son nom au « Rucher Pentu ». Installé dans les Pyrénées depuis 2010, le quadragénaire originaire des Deux-Sèvres (79) s’est lancé dans un modèle inédit en France : la production de gelée royale dans des ruches kenyanes. « Je suis le seul à faire cela », commente l’apiculteur. D’abord sapeur-pompier puis éducateur sportif, Florent Huard revient d’une expérience à La Réunion lorsqu’il pose ses valises dans les Hautes-Pyrénées et que la passion des abeilles le rattrape.

Le retour aux abeilles

« Quand j’étais enfant, j’étais fan d’insectes, je les collectionnais. Je m’intéressais à l’habitat des animaux en construisant des cabanes pour les cochons d’Inde, pour les tourterelles », confie Florent Huard. Il travaille alors comme maître-nageur à la piscine de Luz-Saint-Sauveur et accompagnateur en moyenne montagne. Mais, tout son temps libre, c’est avec les abeilles qu’il le passe : « J’ai commencé à comprendre la filière en France et à l’étranger, j’ai fait des plans, j’y passais un temps fou. Pour moi, l’objectif était de créer un partenariat entre l’abeille et l’homme pour revitaliser les colonies en améliorant leur espace naturel d’habitat. Je voulais faire quelque chose pour les soulager ». Depuis la fin des années 90, les abeilles domestiques sont confrontées à une mortalité anormale et à l’effondrement de leurs colonies.

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Ruche kenyane du Rucher Pentu © Lilian Cazabet – La Vie Economique

Des ruches kenyanes

À partir de 2011, ce personnage aussi humble que déterminé s’intéresse de plus près aux ruches kenyanes, dans lesquelles les abeilles construisent naturellement et sans cire gaufrée, un procédé utilisé dans l’apiculture conventionnelle qui permet d’augmenter la production de miel vu que les abeilles n’ont pas à construire leurs alvéoles. « Le modèle des ruches kenyanes se développait aux États-Unis et au Royaume-Uni, elles avaient été mises au point par des Canadiens et des Européens qui voulaient moderniser l’apiculture en Afrique, où la récolte de miel se fait par cueillette ce qui détruit les abeilles », explique en détail l’apiculteur. Elles ont d’abord été installées au Kenya dont elles tirent leur nom. « Sur les plans, je ne comprenais pas les dimensions de ces ruches, il fallait trouver un compromis entre trop petit et trop grand. Je passais toutes mes vacances dans l’atelier, je dépensais mon temps et mon argent sans autre objectif que d’améliorer l’habitat des abeilles. Après trois ans, j’ai trouvé les dimensions optimales pour qu’une colonie puisse vivre sans ajout de sucre tout en récoltant du miel », raconte-t-il avec passion. Il met au point pas moins de 7 modèles de ruches différentes. Après le partage de ses expérimentations sur son site Internet et un article dans un magazine, il reçoit des demandes pour ses ruches kenyanes et les commercialise. Il a depuis passé la main sur cette partie de son activité qui est maintenant assurée par Johann Lannegrand en vallée d’Aspe dans son atelier Faîtes pour Ailes.

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Cellule servant à accueillir une larve de reine. © Lilian Cazabet – La Vie Economique

Un modèle différent

Convaincu qu’il est possible de faire du miel différemment en France, Florent Huard s’intéresse de plus près à la production de gelée royale. « Vers mes 37-38 ans, je ne pensais plus qu’aux abeilles. La question de ce que j’allais faire de la seconde partie de ma vie s’est posée et je voulais tenter une installation comme producteur », explique-t-il. En 2019, il passe son brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole. « En un an, j’ai appris beaucoup de choses, notamment comment établir un plan économique et les échanges avec mon professeur de comptabilité m’ont permis de vérifier la faisabilité du projet. En 2021, je suis devenu chef d’exploitation pour mes 40 ans », sourit-il. Il signe son plan économique devant la Chambre d’Agriculture pour faire de la gelée royale en ruche kenyane alors même qu’il ne l’avait pas encore mise en production. « Personne ne fait cela, mais je voulais tenter et mettre au point un modèle différent. La majorité de la production de gelée royale vient de Chine. Ici, on essaye de ne pas polluer et de valoriser notre production avec les labels bio et Esprit Parc. Il faut enclencher ce retour en arrière, entendre qu’il y a d’autres récits possibles, mais, cela va prendre du temps », souligne Florent Huard.

Chaque année, l’apiculteur récolte 10 kg de gelée royale et produit 500 kg de miel

Une production fastidieuse

La gelée royale est un produit d’exception aux propriétés antifatigue, antioxydantes, antistress qui peut être utilisée en cure préventive. « Elle se récolte entre avril et mai et c’est un travail fastidieux et compliqué. Tous les trois jours, il faut greffer 1 500 cellules, récolter et introduire », explique en détail Florent Huard. Une ruche particulière est utilisée avec une partie où la reine ne peut pas accéder et ne va pas pouvoir répandre ses phéromones. « Les abeilles vont avoir un comportement d’élevage car elles se sentent orphelines », continue-t-il. Il installe des rayonnages avec des cupules contenant des larves et les abeilles vont en faire des cellules à reine et les remplir de gelée royale qu’il prélève. « Seules les reines se nourrissent uniquement de gelée royale, elles vivent 30 à 40 fois plus longtemps qu’une abeille ». Chaque année, l’apiculteur récolte 10 kg de gelée royale qu’il vend directement. Il produit également 500 kg de miel, « ce qui suffit pour utiliser le minimum de machines et presser à la main », ajoute-t-il. La récolte du miel se fait, elle, fin juillet avec des miels de tilleul, de ronces, de rhododendron et de bruyère. « Une ruche kenyane produit 5 à 15 kg de miel contre 10 à 50 kg pour une ruche conventionnelle », explique-t-il. Le quadragénaire estime le surplus de miel produit par ses abeilles et ne prélève que ce surplus pour leur permettre de continuer à vivre en bonne santé sans les nourrir alors que dans l’apiculture conventionnelle, tout le miel est en général récolté.

« Seules les reines se nourrissent uniquement de gelée royale, elles vivent 30 à 40 fois plus longtemps qu’une abeille »

Un choix délibéré

L’apiculteur d’Esquièze-Sère prône une activité raisonnée et privilégie la production de gelée royale pour cette raison. « La production de miel était compliquée pour moi car il m’aurait fallu 250 ruches productrices et je voulais limiter mon investissement et l’empreinte carbone de mon activité en restant sédentaire. J’ai actuellement 30 ruches de gelée royale, 70 pour le miel et une dizaine pourvoyeuse de larves et pour l’élevage. N’étant pas originaire d’ici, je ne voulais pas faire pareil que les autres », continue-t-il. Il vend principalement directement sur sa propriété et sur son site Internet. « La vente en ligne est compliquée car la Chine est un gros producteur qui pratique des prix très concurrentiels. Ici c’est touristique, donc je peux vendre en direct », souligne Florent Huard. Pour l’apiculteur, l’aventure ne s’arrête pas là. « Mon objectif est aussi d’inverser le modèle de la société en proposant un produit naturel, réalisé différemment. Mon pari est en train de fonctionner, je suis sur la bonne courbe », conclut-il.

« N’étant pas originaire des Pyrénées, je ne voulais pas faire comme les autres »

Enseignant au CFPPA près de Toulouse

L’été dernier, Florent Huard ouvrait les portes du Rucher Pentu avec des ateliers qu’il proposait via l’office du tourisme. Une trentaine de personnes venait tous les lundis à la découverte de ses ruches kenyanes et déguster ses gaufres au miel. Durant ce moment de pédagogie, il délivre des connaissances sur le monde des abeilles et le modèle agricole qu’il prône avant d’ouvrir et de présenter une ruche kenyane à 18 heures. Il propose aussi des formations aux ruches kényanes deux fois par an. Prochainement, il interviendra au CFPPA Auterive près de Toulouse, une formation certifiante en apiculture, pour présenter sa façon de faire et partager son expérience. Les stagiaires de l’option apiculture du CFPPA devraient aussi venir visiter son exploitation agricole.

800 ruches en République démocratique du Congo

L’an dernier, en février, Florent Huard a pris la direction de la République démocratique du Congo. « C’est un projet mis en place par l’agence de développement belge Enabel. Avec l’ONG Apiflordev, nous avons installé 800 ruches dans des villages reculés, pour participer à la conservation des forêts qui sont des puits de captation de CO2 et dont les arbres sont abattus pour récolter le miel. L’utilisation de ruches est moins fatigante pour les villageois, permet de préserver la forêt et de revendre du miel pour un bon prix à Kinshasa. Nous avons animé des formations sur le matériel et la commercialisation », précise Florent Huard qui a passé 3 semaines sur place. Son arrivée a été vue comme une aubaine pour l’ONG étant l’un des rares spécialistes des ruches kenyanes qui sont utilisées en RDC.