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Hautes-Pyrénées – Bâtiment : s’approvisionner, c’est la tuile !

Alors que la demande ne connaît aucune baisse, les artisans du bâtiment sont confrontés à de sérieux problèmes d’approvisionnement. Si tous les corps de métiers sont concernés à différents niveaux, les couvreurs et les charpentiers sont les plus touchés. Cédric Pujolle, professionnel installé à Barbazan-Dessus mais également formateur à l’École des Métiers des Hautes-Pyrénées ne cache pas son inquiétude.

Cédric Pujolle et Pascal Gambin batiment

Cédric Pujolle et Pascal Gambin ©DR

La Vie Economique : Alors que l’artisanat se porte bien dans le département, on sent les professionnels plutôt inquiets. Quelle est la situation pour les charpentiers et les couvreurs ?

Cédric Pujolle : « Les problèmes sont multiples, la main- d’œuvre, c’est une chose mais c’est vrai que là, l’urgence c’est l’approvisionnement. On n’a aucune vision sur les délais de livraison ni sur les prix, qui en six mois ont été multipliés par 2. C’est ingérable. On passe des commandes chez les fournisseurs, on ne sait ni quand on va recevoir la marchandise ni à quel prix. Il y a des fluctuations qui nous font vraiment peur. Dans les métiers du bois, depuis 2-3 ans, c’est impossible de travailler ».

LVE : Concrètement, quelles sont les répercussions sur l’activité ?

C.P. : « On aurait du travail pour un an d’avance mais on ne peut pas signer de devis parce qu’on ne sait pas à quel taux, quel montant il faut appliquer pour être juste. Il faut continuellement faire des révisions de prix et si ça, ça marche très bien sur les gros marchés publics ce n’est pas le cas pour nous autres, artisans. On ne travaille qu’avec des particuliers. Si on dit que le chantier s’élève à 15 000 € et qu’au final il y en a pour 22 000 €, comment faire ? C’est un exemple mais ce sont vraiment des écarts de cet ordre-là. »

On n’a aucune vision sur les délais de livraison ni sur les prix qui en 6 mois ont été multipliés par 2

LVE : Comment s’expliquent ces problèmes d’approvisionnement ?

C.P. : « Au-delà de l’Ukraine, c’est surtout de la spéculation. On entend dire par les transporteurs que chez les industriels il y a du stock, les parcs sont pleins par contre ce sont bien eux qui serrent la vis et font de la rétention pour faire monter les prix. Ils n’envoient pas la marchandise, disent que nous fournir n’est pas possible et quand ça l’est, c’est à des prix de fou. Ça s’est passé pour le bois ces deux dernières années, maintenant c’est sur la tuile… C’est quasiment un marché où il y a un monopole. Il reste un peu d’activité chez Terreal mais le principal fournisseur c’est Edilians, anciennement Imerys, qui centralise tout. On avait une alternative avec Teras Borja, une tuilerie en Espagne, avec des prix qui tenaient la route… Elle a été rachetée par Edilians. Avec ce monopole, ils font ce qu’ils veulent. On retrouve ça dans tous les corps de bâtiment, ce sont vraiment les industriels qui s’amusent. Les négoces travaillent à taux de marge, eux aussi perdent de l’argent, ils se plaignent parce que le relationnel est devenu compliqué avec nous mais au final, eux gagnent de l’argent et c’est le dernier qui a en face le client final qui ramasse ».

LVE : Justement, comment ça se passe avec les clients ?

CP. : « Pour les clients qui ont un peu d’épargne, ça va mais pour le neuf et les gens qui ont besoin de faire un crédit, c’est catastrophique. Sachant que les taux de crédits ont explosé également… Dans les Hautes- Pyrénées, la rénovation c’est 60 à 70 % de l’activité de l’artisanat dans le bâtiment. J’ai même eu le cas d’un prix qui n’est pas appliqué à la commande mais à la livraison. À partir du moment où on a commandé, si on est livrés dans deux mois, ça sera à un prix non garanti. Donc on fait des devis aux clients et ces devis ne comptent plus. J’en suis arrivé à leur demander d’attendre et voir comment ça va évoluer. Les clients sont compréhensifs, ils arrivent à le comprendre, on travaille à couteaux tirés. Dans les tuiles, la fourniture est très chère, si on fait un toit en ardoises, ça monte vite. C’est simple, pour l’ardoise je suis passé de 27 € le m2 à 43 € ».

Ce sont vraiment les industriels qui serrent la vis

LVE : Arrivez-vous à appréhender l’avenir dans un tel contexte ?

C.P. : « Dans le bâtiment, il y a toujours une petite année de décalage, aujourd’hui ça va encore mais on se fait énormément de souci pour l’année prochaine, tous les indicateurs sont à la baisse. Personnellement je n’ai pas répercuté cette hausse des prix, par exemple j’ai fait un chantier prévu deux ans en avance, par rapport au devis j’ai perdu entre 4 000 € et 5 000 €. Du travail il y en a mais on ne peut pas le décaler sur le long terme… C’est très inquiétant. »

UN VRAI MANQUE DE MAIN D’ŒUVRE

Responsable de la CAPEB des Hautes-Pyrénées et vice-président de la Chambre des Métiers du 65, Pascal Gambin, artisan plâtrier, connaît bien les difficultés soulevées par Cédric Pujolle. S’il leur donne un écho, il tient aussi à souligner le manque de main-d’œuvre auxquels les plus de 5 000 artisans du département sont confrontés : « on a essayé de passer la crise tant bien que mal, maintenant on a ces incroyables soucis d’approvisionnement mais on a toujours d’importants problèmes de main-d’œuvre. C’est une période charnière, les statuts et les formations évoluent, l’artisanat change mais il y a toujours ce manque d’attractivité du bâtiment. Au CFA, on avait 80 décrocheurs tous les ans. Ces jeunes qui quittent l’éducation nationale et se retrouvent sans rien, on ne les a plus. Cette année, c’est un peu reparti grâce aux aides, mais le bâtiment a toujours plus d’offre que de demande ».