Couverture du journal du 13/03/2024 Le nouveau magazine

Julien Leclercq, l’entreprise autrement

Le patron de l’agence Com’Presse, basée à Astaffort, est un touche à tout passionné qui cherche à donner du sens au monde du travail. Homme de média, écrivain, conférencier, ce grand communicant en passe de racheter la radio 47 FM a aussi ouvert récemment un restaurant à Lectoure (32). Rencontre avec un personnage aussi atypique que visionnaire.

Julien Leclercq entreprise'

Julien Leclercq © Louis Piquemil _ La Vie Economique.

La Vie Economique : Pouvez-vous résumer l’activité de votre entreprise ?

Julien Leclercq : « Com’Presse est une agence de presse qui produit des magazines ou contenus digitaux clés en main pour des groupes de médias ou des entreprises pour leur communication, éventuellement des institutionnels aussi. On fait beaucoup de magazines prints, du contenu pour les sites Internet : photos, vidéos, podcasts. On a la particularité de travailler pour des marques médias avec un contenu grand public, notamment loisirs, alimentaire, cuisine, santé, nutrition, jardin, économie, jeunesse et bricolage. »

LVE : Comment vous est-venue l’idée d’écrire Chronique d’un salaud de patron en 2013 ?

J.L. : « J’ai commencé à écrire ce livre dans le train durant la période 2008-2009. Quand vous êtes à Astaffort, Lot-et-Garonne, vous ne connaissez pas les subprimes et Lehman Brothers. Subitement, cela devient une réalité : les budgets com sont coupés. On a perdu 1 million de chiffre d’affaires en 3 mois. On devait déposer le bilan au 31 décembre 2008. On n’avait plus de banque, l’expert-comptable nous disait d’arrêter, on avait énormément de dettes. Et le 1er janvier je vais souhaiter les vœux à ma mère qui m’a dit « On n’arrête pas, c’est notre boîte, c’est notre bébé ». Il y a un vrai relationnel maternaliste pour les entrepreneurs avec leur entreprise, surtout dans les boîtes familiales comme la nôtre. On décide de ne pas arrêter et de se battre. Je raconte dans ce livre comment on a sauvé cette boîte de manière très originale. Une des premières choses qu’on a dû faire c’est de baisser les salaires de 15 %. C’est moi qui m’en suis occupé avec les 40 salariés de l’époque. Je ne savais pas si ça allait marcher, ni quand on allait les récupérer. Je savais juste que si on ne le faisait pas, cela ne marcherait pas. Ils disent tous oui, très vite. C’était un beau retour des choses sur les valeurs qui étaient là depuis le début. »

J’ai sauvé la boîte en empruntant six fois 40 000 euros à des organismes de crédit en leur disant que je voulais partir en voyage de noces ! 

L.V.E. : Au-delà de la baisse de salaire, comment avez-vous réglé le manque de liquidités de votre entreprise ?

J.L. : « Avec 500 000 € de dettes et 200 000 € de découvert, il fallait qu’on trouve 250 000 € quel que soit le scénario. On a essayé d’apaiser les choses avec la banque mais il fallait de l’argent. Et quand une entreprise va mal, elle ne peut pas emprunter, toutes les banques nous ont dit non. J’ai appelé des organismes de crédit à la consommation en leur disant que je voulais partir en voyage de noces pour 40 000 €, un sacré voyage ! J’avais déjà un crédit mais il n’y a eu aucune vérification. C’est comme ça que j’ai emprunté six fois 40 000 € à 11 %… J’ai raconté ça en conférence : si j’avais demandé 240 000 € pour sauver des emplois, est-ce que je les aurais eus ? Factuellement, c’est plus facile en France d’emprunter pour faire le tour du monde ou acheter une voiture que pour sauver des emplois. Ça pose quand même question. »

JULIEN LECLERCQ : BIO EXPRESS

40 ans, 3 enfants. Parisien d’origine, installé dans le Sud-Ouest depuis plus de 20 ans, partagé entre Gers et Lot-et-Garonne. Journaliste depuis 2002, dirigeant d’une agence de presse depuis 2010, Com’Presse avec 60 équivalent temps plein à Astaffort. Écrivain (Salaud de patron, tomes 1 et 2), intervenant radio (RMC, France Inter, France Info, Sudradio, Europe 1) et conférencier spécialiste du monde de l’entreprise. Gérant du restaurant Le Bastion à Lectoure (18 employés). Passionné de foot, membre du club de Miradoux où il a été éducateur pendant 10 ans. Président de l’association Entreprendre pour Apprendre sur l’orientation des jeunes et vice-président du Centre des Jeunes Dirigeants France.

LVE : Comment se sont passés vos débuts à la tête de Com’Presse ?

J.L. : « En 2010, ma mère tombe malade et je reprends l’entreprise du jour au lendemain. Je pensais que ça serait facile : j’y bosse depuis 8 ans, je vais faire la même chose qu’avant, mais je vais juste devoir prendre quelques décisions que je ne prenais pas avant. C’était très naïf et j’ai compris brutalement qu’être chef d’entreprise était un métier à part entière. À partir de ce moment-là, 80 % de mes journées concernent des choses pour lesquelles je n’ai aucune compétence et qui sont complètement aberrantes. C’est ce que vivent tous les chefs d’entreprise du pays. J’ai donc écrit la suite de Salaud de patron en racontant sur le ton de l’humour les rapports avec l’administration, les banques, le management etc. »

J’ai écrit Salaud de patron car j’étais frustré que tous les sujets liés à l’entreprise soient traités dans un débat caricatural entre CGT et grands patrons

Julien Leclercq entreprise

Julien Leclercq © Louis Piquemil _ La Vie Economique.

LVE : Votre livre a eu un écho national, vous attendiez-vous à ce succès ?

J.L. : « J’ai créé cette marque « Salaud de patron » car j’y croyais. J’étais frustré que tous les sujets liés à l’entreprise soient traités dans un débat caricatural entre CGT d’un côté et grands patrons de l’autre. J’étais convaincu qu’il y avait de la place dans les médias. Quand le mouvement des Pigeons sort (Contestation des entrepreneurs du projet de loi de finances 2013, NDLR), j’ai accéléré la rédaction. Le patronat est alors représenté par Laurence Parisot, qui est très brillante, mais être patron ce n’était pas ça pour moi. J’ai envoyé mon manuscrit à 40 éditeurs pour 39 refus. On l’a sorti de manière confidentielle, avec 3 000 exemplaires. Très vite, RMC m’invite tout de suite aux Grandes Gueules et j’intègre l’émission. On avait 2 millions d’auditeurs quotidiens avec une liberté de parole totale, une émission critiquée mais à faire, c’était génial. 1 mois plus tard, j’ai eu un quart de page dans Le Monde, ce qui a donné une légitimité au livre et ensuite les médias se sont enchainés. Le livre s’est épuisé et Fayard a édité le tome 2. »

LVE : Aujourd’hui, vous donnez de nombreuses conférences dans les milieux économiques et institutionnels pour raconter votre expérience.

J.L. : « J’aime beaucoup l’activité de conférencier. Je rencontre des dirigeants, ça m’alimente en anecdotes, en ressentis, sur des sujets plus sérieux. J’aime aborder les sujets très sérieux et j’aime l’entreprise. C’est le dernier lieu de vivre-ensemble de la société et un véritable observatoire. Tous les matins, je suis confronté à l’inclusion, la place des jeunes et des moins jeunes. On parle de la réforme des retraites en ce moment mais pendant qu’on se bagarre sur 62, 64, 67 ans, la vérité c’est qu’on fout tout le monde dehors à 55 ans. La vraie question c’est quelle place pour les seniors dans l’entreprise ? Les questions de religion, l’égalité hommes-femmes, l’épanouissement au travail sont aussi des préoccupations importantes. On y est confronté tous les matins et on y apporte des réponses concrètes. Ce sont des sujets sérieux, majeurs de notre société et j’aime les aborder par l’humour car je pense que l’humour est le meilleur moyen de faire passer des messages. Les conférences sont devenues rapidement des spectacles. Je fais un format one-man show mais tout est vécu, je n’invente rien. Cela permet de rompre la solitude, de se dire qu’on n’est pas seuls à avoir ces problématiques. »

Il y a du boulot partout, il y a des opportunités et de belles idées à avoir notamment dans notre région Sud-Ouest

47 FM : UNE RADIO D’IMPORTANCE EN LOT-ET-GARONNE

« Si tout va bien, cela se fera dans le mois. Cela a été annoncé un peu tôt dans les médias cet été mais là je pense que ça va le faire. C’est un beau projet, une radio à laquelle je suis très attaché. C’est un média que j’adore, c’est très interactif, le charme d’un studio de radio est unique quand on est journaliste. La programmation musicale est très éclectique : c’est la seule station que je peux écouter avec ma fille de 16 ans ! C’est une radio importante dans le cœur des Lot-et-Garonnais avec 24 % de part d’audience. »

L.VE. : Quelle est votre vision de l’entrepreneuriat en France en 2022 ?

J.L. : « Ce n’est pas difficile d’entreprendre, ce qui est difficile aujourd’hui c’est d’obtenir des financements. Cela demande plus de réflexion. Dans les périodes de crise, il peut y avoir des opportunités, notamment dans notre territoire du Sud-Ouest. Il peut encore y avoir de belles histoires entrepreneuriales. Je suis né en 1982 et on m’a dit que c’était la crise. Je me demandais alors souvent qu’est-ce que je vais faire quand je serai plus grand ? J’ai toujours pensé qu’il y avait un chemin qui nous emmenait dans une case. J’ai compris plus tard qu’une carrière n’était pas comme ça, c’est fait d’opportunités, de changements, de choix, de rencontres. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Malgré les crises successives, on peut faire beaucoup de choses. On a grandi avec le mot chômage alors qu’aujourd’hui la principale problématique des entreprises, c’est le recrutement avec beaucoup de tensions sur le marché de l’emploi. On est en crise mais y’a du boulot partout, il y a des opportunités et donc des belles idées à avoir. Il faut y croire quand même. »

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©DR

J’assume de gagner moins pour vivre mieux

LVE : Est-ce facile d’entreprendre en zone rurale ?

J.L. : « Je suis parisien et j’ai choisi de vivre en zone rurale depuis plus de 20 ans. J’assume de gagner moins pour vivre mieux. Pour le prix de ma maison, j’aurai à peine un 2 pièces à Paris. Il y a 15 ans, ce discours avait peu d’échos. La dernière annonce d’emploi que j’ai posté a eu près de 400 candidatures. C’est dans l’air du temps, le Covid a accéléré cela : l’aspiration des gens à vivre à la campagne, autrement. Ce qui est compliqué, c’est la technologie et la mobilité. Ce sont les deux clés pour attirer en zone rurale. Ici, c’est compliqué d’avoir des bus aux bons horaires. C’est un 1er sujet. Le 2e, ce qui pourrait nous faire partir, c’est le débit Internet. Nous sommes en train d’installer des studios vidéos et la fibre n’est pas encore arrivée. C’est un vrai problème, si cela ne bouge pas, on devra aviser d’un changement. »

JULIEN LECLERCQ RESTAURATEUR :

« La cuisine est dans l’ADN familial. J’avais lancé en 2016 Yakabooks, des livres à 2 €. On faisait librairie avec café et restauration éphémères dans les festivals. En 2019, après Marciac, on faisait 40 festivals par an, on a voulu un endroit à nous. Là-dessus le Covid intervient, l’événementiel s’arrête et cette entreprise perd 95 % de son chiffre. J’avais très peu d’aide. On a maintenu l’activité. On a découvert que Le Bastion à Lectoure, avec l’esplanade et la vue magnifique, avait déposé le bilan. On était Lectourois à l’époque et on s’est jeté dessus à l’été 2020. C’est un très beau métier mais ce n’était pas le bon moment. Il y a eu un nouveau confinement 2 mois après la reprise, c’était vraiment difficile. C’est un beau métier, utile où on voit des scènes de vie incroyable, on essaie d’apporter du bonheur aux gens. »

LE PROBLÈME DU MOMENT : LE RECRUTEMENT

« J’interviens beaucoup sur les tensions du marché du recrutement. J’ai mis une annonce de recrutement pour le restaurant et Com’Presse le même jour. Résultat : 380 réponses d’un côté et 0 pour le restaurant. Ce n’est pas possible. Il y a des solutions mais il faut se remettre en question énormément. Quelle expérience, quelle place du travail dans nos vies ? Il y a le télétravail mais aussi le sens, les horaires, la reconnaissance, le respect de la vie privée, l’ambiance etc. C’est plein de choses. On a expérimenté au restaurant la semaine de 4 jours pour les salariés. On a travaillé sur la rémunération, l’ambiance, les horaires, le logement et la mobilité. On a mis 18 personnes à la semaine de 4 jours avec 3 jours de repos consécutifs. On a eu plein de candidatures. Certains ont préféré la semaine de 5 jours mais la plupart est restée à 4 jours. Le recrutement, c’est le gros sujet du moment. »