Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

La médiation, pour dépasser la crise

Après un parcours personnel et une vie professionnelle bien remplis, Marie-Pierre Borde est revenue dans sa région d’origine, le Périgord, pour développer une activité de médiation, avec trois mots clés qu’elle destine aux entreprises : entendre, anticiper, innover. Elle assure un accompagnement au changement, une gestion des conflits. Son analyse peut aussi aider à dépasser la crise que nous vivons.

Marie-Pierre BORDE

Marie-Pierre Borde © Suzanne Boireau-Tartatrat

La Vie Économique : Que pouvez-vous apporter à un chef d’entreprise ?

Marie-Pierre Borde : « Il existe un axe de travail relationnel en interne, entre les salariés et la direction ; et l’accompagnement des dirigeants, toujours perçu comme un coaching. Je ne le vis pas ainsi, je l’exerce pour le révéler dans ses difficultés comme dans ses capacités d’innovation, de gestion, etc. Il s’agit de l’aider à trouver sa meilleure façon de fonctionner. Ce n’est pas à moi de dire « faites ceci ou cela », sous peine de réponses à court terme. L’accompagnement invite la personne à trouver ses solutions. Avec une meilleure connaissance de ses limites et de ses capacités, on mobilise les outils pour se débrouiller seul. Mon regard donne la possibilité de se faire confiance dans les difficultés. Pour le relationnel comme le suivi du décideur, je m’appuie sur ma propre expérience de manager, mon travail de thérapeute et de médiateur. Chaque partie a sa vérité : la médiation ne consiste pas à faire chacun la moitié du chemin, mais à travailler ensemble pour trouver une solution qui profite à tous. Arriver à faire vivre ensemble des différences plutôt que donner des directives. Avec l’aide d’un tiers professionnel, les équipes peuvent acquérir des capacités à repérer les signaux faibles et détecter le malaise, au-delà des mots, pour agir avant le conflit.»

LVE : Cela peut fonctionner dans tous types d’entreprises ?

M.-P. B. : « Il faut composer avec l’humain, dans tous les cas, quel que soit le secteur d’activité et l’organisation. Apprendre à interpréter, à traduire sans trahir les uns ni les autres, à décoder l’expression de chacun. Et quand un conflit submerge les parties, mon rôle est de trouver un espace de parole et d’animer cette relation. Je suis là avec mes capacités, les intéressés viennent dans un esprit d’ouverture. Ceux qui arrivent à fonctionner ainsi, en situation, peuvent ensuite le faire en autonomie. »

LVE : Comment s’organise votre prestation ?

M.-P. B. : « C’est un travail sur-mesure. J’arrive souvent pour éteindre le feu et il importe de s’assurer que cela ne se reproduise pas. Poursuivre à un rythme souple, sur trois mois, permet d’assimiler les étapes. Je rencontre tous les interlocuteurs pour comprendre leurs intérêts, créer un lieu pour faire circuler la parole, et trouver une issue. La prise de conscience se fait avec des exemples précis, chacun apporte le bagage à étudier, sinon il suffirait de lire quelques livres. La prise en charge peut relever du budget formation de l’entreprise, utilisé souvent sur les mêmes registres. La gestion de crise est trop peu sollicitée. »

LVE : Le contexte que nous traversons suscite-t-il de nouvelles tensions ?

M.-P. B. : « Des entreprises maintiennent une activité nécessaire sur site, d’autres se sont organisées en télétravail. Contrairement à ce qu’on croit, il y a beaucoup de stress en présentiel. Chacun se demande comment assurer sa sécurité et celle de sa famille, tout en continuant à faire son travail du mieux possible : des entreprises se réorganisent vis-à-vis de leurs clients, et les salariés en interface doivent en permanence justifier de leurs limites. C’est un stress énorme. Il faut donc aussi penser à la mise à l’abri psychique, séparer ce sur quoi on peut agir du reste.

En télétravail, l’isolement peut devenir une souffrance, comme la distinction entre activité professionnelle et vie personnelle. Insidieusement, cette crise affecte les relations « normales » : on n’a pas vraiment admis que ce mode de fonctionnement est terminé, on vit sur nos réserves de relations… On en a l’illusion, le souvenir. Ce maillage imaginaire, plus fin et plus fragile, a besoin de rencontres. L’entreprise doit les maintenir, non pas par de longues visioconférences, mais en imaginant quelques contacts avec des intervenants extérieurs. »

LVE : Comment mettre à profit cette période ?

M.-P. B. : « En imaginant la suite et de nouvelles façons d’agir avec ses salariés : ils connaissent leur travail, pratiquent les relations client, savent comment ils pourront les satisfaire à nouveau. Ce qui tient se construit avec les autres. Quand tout va bien, on oublie facilement qu’on fonctionne avec de l’humain. En situation de crise, on ne peut pas faire l’impasse de s’en occuper, on est obligé de prendre en compte la complexité de notre humanité. En ce moment, elle nous saute à la figure. Pendant que des choses s’écroulent, d’autres se tissent et se vivent autrement. Notre société nous a fait croire que l’on était tous indépendants et autonomes. On redécouvre qu’on est liés les uns aux autres : on peut se passer un virus facilement, mais aussi des idées, de l’aide, de la solidarité.