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Le foie gras sur son 31

À Badefols-sur-Dordogne, au cœur du Périgord pourpre, Pierre-Yves Kuster, propriétaire du Domaine de Barbe, élève avec attention et ferveur des milliers de canards et d’oies chaque année. Il vend ensuite ses produits transformés, à la ferme ou sur Internet. De Montbéliard à la Dordogne, il n’y a qu’un pas : la passion.

foie gras

Isabelle et Pierre-Yves KUSTER, propriétaires du Domaine de Barbe © Louis Piquemil – La vie économique

Après quelques centaines de mètres d’une route arborée et sinueuse, le paysage se dégage sur les immenses prairies de Pierre-Yves Kuster. Là, des oies et des canards gambadent librement. Au Domaine de Barbe, en plus de quarante ans, ce qui n’a pas changé, c’est la passion, et l’attention accordée aux animaux : 15 hectares de prairies pour les canards et 10 hectares pour les oies. « En filière courte, il faut trouver un équilibre dans le volume de production, on ne cherche pas à améliorer les quantités chaque année, mais à travailler sur la qualité de la production. Ici, notre volume de production a été déterminé par la structure de l’exploitation, et la superficie nécessaire pour un élevage de qualité et sain », analyse Pierre-Yves Kuster, dirigeant du Domaine de Barbe. Pour cela, le patron s’est entouré de douze salariés, dont Isabelle, son épouse.

Changer de vie

L’histoire du Domaine de Barbe a commencé bien loin du Périgord, à Montbéliard. D’un côté il y a Michel Kuster, employé dans les assurances et l’expertise comptable. Mais à 48 ans, il décide de tout lâcher, et ne rêve que d’une chose : changer de vie. À ses côtés, son fils, Pierre-Yves, la tête dans le monde agricole. Si sa famille n’est pas issue de ce milieu, il n’ambitionne qu’une chose : devenir agriculteur.

L’amour de la nature de l’un, et la passion de l’autre les mènent jusqu’à Badefols-sur-Dordogne. « On était sous le charme de la région, et à l’époque, dans les années 1980, on trouvait des propriétés pour des sommes raisonnables », relate Pierre-Yves Kuster. Ils acquièrent le domaine, abandonné, avec « beaucoup de forêts » et 40 hectares de surface agricole utile, une chartreuse et une petite longère. Une fois l’investissement dans le lieu réalisé : qu’en faire ? Il y a un chai, mais les Kuster ne veulent pas se lancer dans le vin.

Des noix pour un parcours arboricole

À 22 ans, Pierre-Yves Kuster débute alors une série de stages, pour trouver sa voie : tabac, mouton, limousines, maïs… Jusqu’au dernier avec Claudie Veyssière, à Biron, productrice de foies gras de canards et d’oies. L’éleveuse s’occupe de tout, jusqu’à la transformation et la conservation. « En petits volumes, mais elle maîtrise chaque étape, c’est une pionnière », souligne Pierre-Yves Kuster. Avec elle, il apprend le gavage, la transformation, et repart même avec quelques recettes. Là, le jeune homme découvre sa passion. Avec son père, ils deviendront donc producteurs de foies gras, eux aussi. « Et le Périgord, c’est le foie gras, on se dit qu’on ne peut pas passer à côté de ça. »

Chaque jour, chaque action va déterminer la qualité du produit que l’on va fabriquer

« C’est tellement diversifié, on passe d’un métier à un autre, avec pour mot d’ordre produire bien pour produire meilleur. Chaque jour, chaque action va déterminer la qualité du produit que l’on va fabriquer », milite l’éleveur. Car sur sa propriété, Pierre-Yves Kuster a voulu aussi avoir des terres de culture pour nourrir ses animaux. Aujourd’hui le domaine de Barbe produit aussi des noix permettant aux palmipèdes de disposer d’un parcours arboricole, mais également de diversifier l’activité.

S’inspirant de leur mentor, Pierre-Yves Kuster et son père décident eux aussi de proposer quasi exclusivement des produits transformés. « C’était un choix commercial. Beaucoup de producteurs de la filière courte font les marchés locaux pendant les saisons de production, et vendent des produits découpés, puis pendant la saison vendent du produit fini. Nous, on ne fait que du produit fini. » L’EARL du Domaine de Barbe gère la partie élevage et la SARL La Badefolaise s’occupe de la partie commerciale.

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© Domaine de Barbe

7 700 palmipèdes

Deux ans après l’achat du domaine, la production commence. Nous sommes en 1982. Michel et Pierre-Yves Kuster élèvent 300 oies et 1 200 canards. Désormais, ce sont 1 200 oies et 6 500 canards qui foulent les prairies de l’élevage chaque année, à raison de plusieurs lots par an (le temps d’élevage d’une oie est de 4 à 5 mois et celui d’un canard de 4 mois). « À l’époque, ce sont les oies qui étaient vraiment emblématiques pour le foie gras. Mais elles sont plus compliquées, ont plus de personnalité, et sont plus fragiles. »

 Avant, on mettait 15 à 16 grammes de sel par kilo de foie gras, maintenant on est aux alentours de 11 à 12 grammes : on s’adapte aux goûts de la société

Dès le départ, le père et le fils équipent l’entreprise d’un petit abattoir et d’un laboratoire. Tous les deux agrandis et refaits au fil des normes nationales puis européennes, le premier fait désormais 120 m² et le second 500 m². Un espace nécessaire pour réaliser la trentaine de recettes proposées dans la boutique du domaine. Cette partie est l’apanage d’Isabelle Kuster, l’épouse de Pierre-Yves, qui gère les ventes et la comptabilité. Les recettes, elles, sont toutes élaborées par l’éleveur lui-même, qui s’adapte aux goûts de ses clients. « Au départ, on mettait 15 à 16 g de sel par kilo de foie gras, maintenant, on est aux alentours de 11 à 12 grammes : les goûts de la société évoluent », note l’éleveur.

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© Domaine de Barbe

Transmission ou vente ?

Le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise repose pour 45 % sur 1es ventes sur place, à la boutique, et notamment grâce aux gîtes que le couple Kuster a installés sur son domaine, à 45 % sur la vente à correspondance grâce à leur site commercial et pour 10 % sur le marché de Noël de Montbéliard, le seul que fait la famille. Mais à 63 ans, Pierre-Yves Kuster songe à passer la main. Parmi ses trois enfants, aucun ne veut reprendre l’entreprise familiale. « Je n’ai peut-être pas trouvé les mots pour transmettre ma passion… » Transmission ou vente, le dirigeant ne sait pas quel sort sera réservé au domaine. Une question qui taraude nombre d’éleveurs de la filière…

 

Le gavage, un apprentissage

Lors de sa découverte du métier à 22 ans, Pierre-Yves Kuster a été confronté à l’étape particulière du gavage. Une méthode difficile à apprendre, mais qui résulte d’un phénomène de l’ordre « du naturel et non de l’artificiel », insiste l’éleveur. Qui détaille : « ce n’est pas une maladie, il s’agit du phénomène de stéatose graisseuse. Avant les migrations, les oiseaux font des réserves énergie pour le voyage ». Et le secret d’un bon gavage pour l’éleveur, c’est « sans brutalité, sans violence et sans stress ». Preuve en est, les oies du Domaine de Barbe ont même de la musique classique pendant la journée lors de la période de gavage ! Au 5 novembre 2023, 218 259 canards avaient reçu leur première dose de vaccin en Dordogne, et 56 755 la deuxième.