Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Les avocats conseils à la pointe

Réunie en congrès à Toulouse mi-octobre, l’association des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE) a organisé de nombreux ateliers sur l’évolution de la profession. Rencontre avec Emmanuel Raskin, le président national de l’ACE et Fabrice Méhats, le président de la branche Midi Toulousain.

Fabrice Méhats, président de l’ACE Midi Toulousain et Emmanuel Raskin, président national de l’ACE ©Jean-Philippe Homé-Sanfaute

La Vie Economique du Sud-Ouest : Pourquoi avoir organisé le congrès national des avocats conseils à Toulouse ?

Emmanuel Raskin : « Cela faisait 14 ans que nous n’étions plus venus ici et l’équipe de Fabrice a émis le souhait fort d’organiser le 31e congrès de l’ACE à Toulouse. C’est un chiffre symbolique ! »

Fabrice Méhats : « Ce n’est pas un choix délibéré ! Nous souhaitions surtout rendre un hommage appuyé à Alain Couturier, membre fondateur de l’ACE qui a 80 ans. C’est aussi l’occasion de marquer la relance de notre syndicat qui va présenter des candidats au conseil de l’ordre cette année. »

LVE : Comment se positionnent les avocats conseils ?

E. R. : « L’activité économique de conseil est souvent mise de côté par l’institution représentative au profit de l’image ancestrale de l’avocat au prétoire, mais c’est fini cela ! Alors, certes, on va toujours aux tribunaux mais nous défendons une activité qui est omniprésente chez tous les avocats. Si vous ne conseillez pas, rien ne se passe. C’est valable pour la rédaction des actes, pour finaliser telle ou telle opération, pour anticiper un contentieux judiciaire. Voilà pourquoi il faut arrêter de distinguer l’activité de conseil de celle de défense, c’est une aberration. C’est aussi pour cela que l’ACE a été la seule à lutter pour que le secret professionnel dans ses exceptions ne contienne pas l’activité de conseil. »

Table ronde autour d’Emmanuel Raskin, président de l’ACE © Jean-Philippe Homé-Sanfaute

LVE : Vous évoquiez justement dans votre discours le fait que « la déontologie doit s’adapter aux défis économiques », qu’entendez-vous par là ?

E. R. : « Depuis la loi Macron, l’avocat peut exercer une activité commerciale si elle connexe et accessoire à son activité principale. Dans un esprit conservateur, le conseil national des barreaux cherche à réduire ce champ d’action. Mais l’avocat est un chef d’entreprise qui doit rémunérer des salariés, faire du chiffre d’affaires. Notre déontologie doit donc être assez souple pour empêcher que des activités nécessaires à notre économie soient bloquées. »

À Toulouse, les défaillances d’entreprise sont en hausse de 30% par rapport à 2021 et 2022

LVE : A quelle activité pensez-vous ?

E. R.: « On pourrait rentrer dans le domaine de l’expertise, de l’ingénierie … Evidemment, on ne parle pas de boulangerie ou de restauration, même si cela pourrait se discuter ! Un avocat peut avoir le besoin d’une restauration pour les membres de son cabinet. Oui, notre déontologie doit garantir le sérieux de notre profession, mais elle ne doit pas être trop rigide. »

LVE : Constatez-vous une augmentation des entreprises en difficulté en cette fin d’année 2023 ?

F. M. : « À Toulouse, la situation est très difficile. On est à +30% de procédures de sauvegarde (redressement judiciaire ou liquidation) par rapport à 2021 et 2022 où il y en avait très peu grâce à l’octroi de prêts garantis par l’Etat (PGE). On constate aussi que les entreprises ne mettent pas en place de procédure de prévention. L’ACE organise des ateliers sur cette thématique avec le Medef car cette procédure est méconnue. Pousser la porte du tribunal alors qu’on n’est pas encore au bord du précipice peut paraître contre-intuitif pour un chef d’entreprise. Pourtant, cette procédure est confidentielle alors que les étapes suivantes (redressement, liquidation) sont publiques. À ce moment-là, vos clients et fournisseurs connaissent vos difficultés financières. »

L’intelligence artificielle est un outil intéressant, mais l’humain doit rester aux commandes

LVE : Quel est le profil des entreprises touchées ?

E. R. : « Il s’agit principalement de TPE et PME nourries aux PGE ces dernières années. Certains grands groupes sont également touchés. À Toulouse, je pense à Sigfox qui était considéré comme une licorne il y a peu et qui a été repris par Unabiz. »

F. M. : « Globalement, les investissements sur la place toulousaine sont en récession. Certains ont utilisé les PGE à cette fin, mais vient désormais la question du remboursement. La croissance externe se fait plus rare désormais. On est plutôt dans des opérations de recapitalisation ou de restructuration. »

LVE : Vous avez insisté dans vos ateliers sur la place naissante de l’intelligence artificielle dans les cabinets. Comment l’utilisez-vous ?

E. R. : « L’IA est un outil mais l’humain doit rester aux commandes. On commence petit à petit à s’en servir. Parfois c’est intéressant, parfois c’est n’importe quoi ! De jeunes confrères nous ont expliqué avoir conclu des partenariats avec des professionnels de l’IA. Aujourd’hui, beaucoup de cabinets parisiens l’utilisent et nourrissent les algorithmes avec des données. À l’avenir, peut-être que l’IA représentera un gain de temps mais nous en sommes aux prémices, il faut être vigilant. »