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Périgord : Tout l’art de la réplique

Avec Lascaux, le Périgord accédait en 1940 à une notoriété mondiale. L’initiative de Lascaux II, en 1983, a montré qu’un fac-similé pouvait avoir autant de succès que l’original. Depuis, l’art de la copie s’est fait une place de choix à Montignac : pénétrer dans l’Atelier des fac-similés du Périgord, c’est entrer dans les coulisses de la grotte, puisque Lascaux IV a été conçue et réalisée ici. Cet Atelier, l’une des pièces de l’écosystème de la Semitour, premier opérateur touristique du Périgord dont André Barbé est directeur général depuis 2011, est le lieu de production à l’identique de trésors patrimoniaux que l’on peut voir en Périgord, et bien au-delà.

Périgord

André BARBÉ, directeur général de la Semitour © Louis Piquemil - La Vie Economique

La Vie Economique : Comment l’Atelier des fac-similés du Périgord s’inscrit-il dans l’histoire et l’organisation de la Semitour ?

André Barbé : « Il s’inscrit en cohérence. Les 8 sites culturels gérés par la Semitour (lire plus loin) reçoivent 700 000 visiteurs annuels, avec des publics internationaux, et cela donne des idées. L’Atelier est un espace de production repris en 2008 par le Département, filiale à 100 % de la Semitour sous forme de Sasu. Il a poussé son effectif à 40 avec Lascaux IV pour revenir à 8 emplois, maintenus avec les marchés en cours, restauration des fac-similés et produits dérivés. Après l’inauguration, en 2016, il importait de prendre le relais de Lascaux IV mais le Covid m’a empêché d’avancer : j’ai dû prioriser ma mission de directeur de Lascaux III, exposition qui voyageait dans le monde et s’est alors arrêtée à Naples, j’ai rapatrié ses 12 conteneurs et nous avons réfléchi à réduire ce volume avec des casques de réalité virtuelle expérimentés à Liège, Trento, et actuellement à Monaco. Ce nouveau format, allégé et attractif pour le jeune public, est parfait. Et nous reprenons les projets pour nourrir l’Atelier. Ainsi, pour Lascaux III, le conseil d’administration a accepté d’ajouter la Salle des Taureaux, très attendue, qui voyagera à partir de 2026 avec une scénographie bien différente de Lascaux IV, en intégrant une éducation scientifique sur l’état de la grotte aujourd’hui : l’appel d’offres pour le prestataire est lancé, nous espérons que l’Atelier sera retenu pour la réaliser, en lien avec la Drac et un conseil scientifique. Des gens, partout dans le monde, ne prendront jamais l’avion pour venir ici et ont quand même envie de visiter Lascaux. Nous créons de nouvelles propositions. »

« Nous avons un des plus beaux ateliers de copistes au niveau européen, voire mondial. »

LVE : Lascaux III et IV sont les œuvres (à part entière) les plus connues de l’Atelier, et les autres ?

A. B. : « L’atelier a participé au fac-similé de la grotte d’Ekain (Espagne), de celle de Niaux, il a travaillé sur des peintures murales en Géorgie, sur la fresque de La Danse macabre à La Chaise-Dieu. Le partenariat avec le MET de New York pour la Pietà de Biron fait savoir que la technique a évolué, nous ne touchons pas les œuvres, et que nos possibilités vont au-delà de l’art pariétal. L’Atelier poursuit la restitution pour Biron avec la Mise au Tombeau, qui y sera installée pour les journées du Patrimoine. Des tapisseries de ce château se trouvent à Versailles, on peut imaginer une suite… Notre métier, c’est aussi de créer des liens. J’échange beaucoup avec le philosophe Jean-Paul Jouary, qui a réfléchi à l’art rupestre et l’art du XXe siècle pour la galerie de l’Imaginaire de Lascaux IV. J’ai envie de développer cette touche culturelle entre passé et présent pour inscrire le visiteur dans notre histoire. »

LVE : Quels sont les nouveaux marchés qui s’ouvrent à vous ?

A. B. : « Biron a un impact majeur pour susciter une réflexion chez des propriétaires de châteaux, des musées, mairies, Drac, conservateurs soucieux de présenter au public des œuvres, souvent fragiles, qui ne sont pas à sa disposition ou enfermées dans des réserves dont on a peur de les sortir. Nous venons de livrer une tapisserie des Gobelins, imprimée et retravaillée sur une toile chanvre et lin, pour en respecter le grain. Mon collègue d’Aubusson avait été bluffé par notre premier essai de copie. Nous avons aussi trouvé une technique pour faire des copies de manuscrits, c’est une nouvelle compétence très repérée par les Drac. Et nous sommes sollicités pour reproduire une statue en extérieur. Nous avons reçu une demande européenne très particulière entre deux musées : si on capte ce marché, ce sera exceptionnel, je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse nous demander cela… C’est une œuvre d’art contemporain, qui pourra être observée dans le détail par des professionnels. Ça ne ressemble pas à ce qu’on fait, mais si on nous sollicite c’est que nous commençons à être identifiés pour ce savoir-faire de copie parfaite. »

« Notre partenariat avec le MET de New York pour la Pietà de Biron a montré que nos possibilités vont au-delà de l’art pariétal »

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© Louis Piquemil – La Vie Economique

LVE : Vous fabriquez aussi des produits dérivés, mais « faits en Périgord » !

A. B. : « La boutique de Lascaux fonctionne bien et a valeur de test, la visite du fac-similé peut donner envie d’acheter un souvenir… On a doublé le chiffre d’affaires en développant une gamme de produits dérivés, cette boutique est l’un des clients les plus importants de l’Atelier avec 15 à 20 000 pièces par an, nous distribuons dans d’autres sites de la Semitour, chez des partenaires comme Eyrignac ou les Milandes, à la boutique du musée de l’Homme pour des reproductions de Vénus. Nous avons valorisé les circuits courts pour que les musées n’achètent plus leurs magnets au bout du monde : nos reproductions sont de formes inhabituelles parce qu’on en crée les moules, nos visiteurs achètent ces produits à 100 % locaux, signés et identifiés comme tels, ils y sont sensibles. »

Cussac, gravures et sépultures

L’Atelier a été retenu ce printemps par appel d’offres pour réaliser une première partie de l’exposition imaginée pour restituer la grotte gravée du gravettien découverte en 2000 près du Buisson-de-Cadouin. Classée dès 2002, elle ne sera jamais ouverte au public. « C’est une grotte immense et profonde, dont on ne pourra sûrement montrer que les éléments les plus importants. » L’Atelier est passé à l’action rapidement pour restituer une paroi dite Panneau de la découverte, comprenant 52 figures gravées, sans peinture, et un locus sépulcral, squelette complet d’un ancêtre de 29 000 ans — choix d’un comité scientifique — livrés cette fin d’été pour une présentation prévue en septembre dans un bâtiment dédié au Buisson. Les experts voient en Cussac une découverte comparable à celles d’Altamira, Lascaux ou Chauvet.