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Stations de ski : investissements à long terme mode d’emploi

Alors que le changement climatique est scruté de près par les stations de ski des Hautes-Pyrénées, ces dernières continuent d’investir de manière ciblée dans des équipements de montagne pour les 20 à 30 prochaines années. Mais, comment s’assurent-elles que ces investissements seront pérennes ?

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© D.R.

Ces dernières années, une partie des stations de ski des Hautes-Pyrénées ont renouvelé leurs délégations de service public et depuis les investissements se multiplient. 25 millions d’euros engagés en 2020 à Saint-Lary, 19 millions d’euros sur les 3 prochaines années au Grand Tourmalet… À l’heure où le réchauffement climatique entre en ligne de compte, les stations n’investissent pas dans de nouvelles remontées mécaniques sans avoir mûrement réfléchi leur choix. Pour confirmer des engagements financiers lourds, les domaines skiables ont besoin de modéliser et de valider des hypothèses plus ou moins maîtrisées. Début novembre, pendant la conférence de rentrée de la marque N’PY, qui réunit 8 stations du massif pyrénéen et propriété de la Compagnie des Pyrénées, Régis Lignon, le directeur général délégué de la SAEM, évoquait le sujet. « Nous remettons en question nos budgets au vu de la crise énergétique et des prédictions du GIEC. Si 2100 semble lointain aujourd’hui, nous nous projetons sur les 20 ans qui arrivent. Les études et les mesures doivent rassembler les territoires face aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques », a-t-il expliqué.

Si 2100 semble lointain aujourd’hui, nous nous projetons sur les 20 ans qui arrivent

Climsnow

Pour se projeter dans le futur, les stations de ski s’appuient donc sur des études prospectives afin de déterminer leur avenir et les perspectives d’enneigement à l’horizon, 2030, 2040, 2050, 2060, et même 2080. Parmi celles-ci, Climsnow, formé par un consortium composé de MétéoFrance et son Centre d’Études de la Neige, l’Inrae et Dianeige, un cabinet spécialisé dans l’aménagement des stations touristiques de montagne. Ces entités ont entrepris depuis plusieurs années de quantifier l’impact du changement climatique sur l’enneigement des stations de ski. Climsnow projette des prévisions d’enneigement à l’échelle d’un domaine skiable et de ses secteurs. « Notre étude combine des éléments topographiques, l’altitude, l’orientation, la pente et les équipements actuels. C’est une vision de l’avenir de l’enneigement : telle piste aura tant de jours de ski donc voici comment continuer de l’améliorer en changeant le profilage de la piste par exemple », explique dans le détail Carlo Maria Carmagnola, de l’équipe recherche et formation sur la neige des domaines skiables pour Météo France.

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© Altiservice

Méthodologie

La station de Saint-Lary a bénéficié des résultats de Climsnow. « Ils prennent en compte les données du GIEC concernant l’augmentation des températures moyennes et les mettent en parallèle avec la géographie et la topographie de la station, son exposition nord ou sud, sa capacité à produire de la neige, mais aussi, la performance de ses enneigeurs. Cela permet de déterminer la durée des saisons que nous pouvons espérer avoir », confirme Akim Boufaïd, directeur Altiservice de la station de Saint-Lary. Il faut 4 à 5 mois à Climsnow pour réaliser son étude sur une station. « Nous faisons des simulations à 30 ans avec les équipements actuels et des simulations avec des équipements différents. Suivant le versant à une même altitude, la neige ne tiendra pas de la même façon. Par choix, nous nous focalisons sur le scénario du pire car si le pire n’est pas improbable, la version la plus optimiste reste peu probable », souligne Carlo Maria Carmagnola.

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© Altiservice

L’amortissement des installations

Dans les Pyrénées, l’enneigement marche par massif. « Au sein de chaque station, l’évolution va dépendre de l’exposition de la piste. Si l’emplacement n’est pas favorable mais bien équipé en enneigeurs, il a plus de chance de mieux perdurer qu’un emplacement qui ne produit pas de neige. Les parties basses auront 20 à 30 ans maximum donc la question de l’amortissement se pose », ajoute le scientifique spécialiste de la neige. Une fois les statistiques et probabilités posées, les stations peuvent envisager leur futur. « Ces estimations d’enneigement ne sont pas linéaires, toutes les saisons ne seront pas bonnes. Mais, il y a des perspectives encore intéressantes, notamment entre 1 700 et 2 500 mètres d’altitude. Nous avons des installations qui nécessitent d’être renouvelées et nous amortissons nos investissements sur 15 ans », confie Akim Boufaïd. Même son de cloche pour Blandine Vernardet, directrice de la station Grand Tourmalet : « Nous regardons les perspectives d’enneigement et la récurrence de mauvaises saisons. Nous modélisons la contraction de notre chiffre d’affaires et nos projets de diversification. C’est un puzzle où tous ces éléments s’articulent. »

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© Paul Quintana

Ce qui change déjà

Pour Peyragudes, Climsnow a permis de conforter des intuitions. « Notre plan comprenait d’un côté la neige et de l’autre des activités nouvelles. Cet éclairage nous permet de cibler certains investissements : certains espaces skiables ne seront pas conservables d’ici 15 à 20 ans donc nous leur privilégions des investissements dans des zones viables », commente Laurent Garcia, directeur de la station. Cette dernière a ouvert en 2022 une nouvelle zone au Cap des Hittes à 2 400 mètres d’altitude, un point haut avec de la neige naturelle. « Nous nous renforçons vers le haut pour maintenir un domaine de qualité. En revanche pour les zones plus basses, dont certaines parties seront réduites ponctuellement, nous ne ferons pas de forcing pour les équiper de neige de culture », ajoute le directeur de la station Peyragudes.

Des saisons plus courtes

Pour garantir un modèle économique viable, Régis Lignon, directeur général délégué de la Compagnie des Pyrénées, table sur 100 jours d’exploitation moyenne. « S’il y a moins, il faut s’adapter, il est même urgent d’investir pour adapter l’outil », souligne-t-il. Le Grand Tourmalet, avec les stations de La Mongie et Barèges, fait face à des cas de figure différents. « Aujourd’hui à Barèges, nous avons des saisons de 120 jours. Selon l’étude, à 1 400 mètres, en bas de la station, la zone sera critique en 2035. Il faut donc mettre en place un modèle mixte qui comptera une soixantaine de journées ski », témoigne Blandine Vernardet. La Mongie, en revanche, est en hauteur et bien exposé et devrait conserver des saisons d’une durée constante d’ici à 2050. Du côté de Barèges, la zone d’apprentissage, qui se situe aux alentours des 1 400 mètres d’altitude, devrait remonter sur un plateau à 1 700 mètres d’altitude mieux exposé.

Les activités hors ski ne représentent pas le même chiffre d’affaires, nous n’arrivons pas à faire autant de volume

Un modèle en question ?

Beaucoup voient dans la diversification la planche de salut des stations de montagne. « Les activités hors ski ne représentent pas le même chiffre d’affaires, nous n’arrivons pas à faire autant de volume », remarque Blandine Vernardet. La station de Barèges a notamment récupéré la gestion de son restaurant de La Laquette (voir LVE n° 2586 du 6/12/23). « Nous articulons nos différentes activités, la restauration, l’hébergement, l’objectif est de laisser échapper le moins de marge. Mais, ce ne sont pas des activités à forte rentabilité. Nous additionnons les unes avec les autres auxquelles nous ajoutons l’exploitation du domaine ce qui nous conduit à un équilibre qui se tient », explique dans le détail la directrice du Grand Tourmalet. Mais, pour Blandine Vernardet, c’est le modèle économique qui est à revoir. « Le modèle français est construit autour d’investissements lourds portés par les autorités publiques. D’autres modèles fonctionnement comme des resorts. Ils ont un modèle économique plus rentable car l’ensemble des marges leur revient. Nous devons avoir un modèle solide pour réinvestir dans de gros équipements », conclut la directrice du Grand Tourmalet.

La genèse de Climsnow

Climsnow est né il y a une dizaine d’années d’un ensemble de projets de recherche menés par Météo France et l’Inrae pour étudier l’enneigement des stations. En 2017-2018, une demande du département de l’Isère a permis aux scientifiques de sortir du laboratoire et c’est en 2019-2020 que Climsnow s’est structuré. Les données du cabinet spécialisé Dianeige ont permis d’intégrer les caractéristiques de chaque station et d’appliquer ces projections à l’échelle d’une station.