Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Traille, la renaissance d’une filière laine française

Pyrénées - En commercialisant sa ouate isolante conçue avec de la laine de brebis des Pyrénées, l’entreprise Traille revalorise une matière délaissée issue de la tradition pastorale basco-béarnaise. Avec cette innovation, sa fondatrice, Muriel Morot, entend participer à la renaissance de la filière lainière française.

Muriel Morot, fondatrice de Traille

Muriel Morot, fondatrice de Traille © Louis Piquemil - La Vie Economique

A écouter Muriel Morot, depuis ses bureaux angloys basés au centre technopolitain Arkinova, Traille est née « un peu par hasard ». Pourtant, à bien y regarder, l’histoire de cette jeune entreprise qui valorise la laine de brebis des Pyrénées en ouate naturelle s’entremêle avec celle de sa fondatrice. Arrière-petite-fille de bergers, cette Basco-Béarnaise a opéré un retour aux sources après un déclic survenu le 15 août 2019 en vallée du Barétous, sur les terres béarnaises de sa famille maternelle. « Ce jour-là, ma vie a changé », sourit la jeune entrepreneuse qui, à cette époque-là, tenait un restaurant avec son conjoint à Paris. « Nous avons rencontré un berger, Marc Haritchabalet, qui nous a notamment expliqué que la laine issue de la tonte était tout simplement jetée, considérée comme un déchet. » À partir de ce moment, cet état de fait devient une obsession pour Muriel Morot. Elle ne l’envisage pas encore, et pourtant, Traille est déjà sur les rails. 

1 200 tonnes de laine inutilisées

La jeune femme se renseigne, apprend et constate combien la filière laine est en souffrance en France. Que la crise que celle-ci traverse depuis 50 ans est profonde, à la fois liée à des critères économique, logistique et bien entendu identitaire. Que, sur le département, les 1 200 tonnes de laine issues des tontes des brebis sont jetées chaque année. Sans réfléchir davantage à son usage, Muriel Morot achète 600 kilos de laine au berger rencontré pendant l’été, inspirateur de Traille malgré lui. Traille, du patronyme de la grand- mère de Muriel Morot, mais également du nom donné au chemin laissé par les brebis lorsqu’elles vont paître sur les hauteurs…

Traille

© Cyril Garrabos

Une ouate innovante

Elle fabrique d’abord du fil, mais le coût de revient est bien trop élevé et par conséquent le coût de vente également. Rapidement, elle décide de se tourner vers les non-tissés, économiquement viables mais pas seulement. « Cela permet également un usage textile alors que la laine des brebis des Pyrénées est rus- tique, épaisse, et donc de prime abord difficilement utilisable à ces fins », explique-t-elle, rappelant les atouts de cette laine adaptée aux massifs montagneux et aux hivers rigoureux et donc isolante, thermo-régulante, absorbante, résistante et 100 % biodégradable. La créatrice se rapproche alors du Centre européen des textiles innovants (CETI) pour créer une ouate permettant de rembourrer les vêtements. Conçue à partir d’un mélange de laine brute et d’amidon de maïs, qui permet de lier les fibres de laine entre elles et de solidifier la matière sans en altérer le gonflant, cette ouate 100 % naturelle veut concurrencer le polyester. Reste pour Traille, en tant que « fournisseur de matière », à convaincre et fidéliser les professionnels, depuis les marques textiles et d’ameublement jusqu’aux ateliers de confection.

Conçue à partir d’un mélange de laine brute et d’amidon de maïs, cette ouate 100 % naturelle veut concurrencer le polyester.

10 tonnes de laine vendues en 2022

Une mission menée à bien depuis environ un an et la première commercialisation de la ouate de laine conçue par Traille. Muriel Morot a en effet réussi à capter plusieurs clients dans l’univers de la mode à l’image de Balzac Paris, mais pas seulement. Orange vient ainsi de lui passer commandes pour créer 4 500 doudounes destinées à ses employés. Ces clients, « qui donnent de la légitimité » au travail de cette entrepreneuse tonique, ont tous en commun de partager une certaine vision, d’être engagés dans une forte démarche RSE et en recherche de solutions de sourcing plus vertueux. Un positionnement qui doit nécessairement être assumé par ces derniers : faire appel à Traille induit forcément le coût d’un savoir-faire et la qualité d’un produit local et fabriqué en France. Mais pas seulement.

« C’est une matière qui a une valeur financière mais aussi symbolique et humaine. En choisissant la laine française, on remet le berger au cœur de l’histoire », s’anime Muriel Morot. Un parti pris qui porte ses fruits à l’issue du dernier exercice de Traille, qui en 2022 a écoulé 10 tonnes de laine achetées auprès d’éleveurs de brebis lacaune, dont la laine est moins épaisse que celle des brebis manech ou basco-béarnaises. Une première étape, dixit l’entrepreneuse, qui « d’ici 3 à 5 ans » a pour objectif de revaloriser jusqu’à 50 tonnes de cette même laine.

Traille

© Cyril Garrabos

En choisissant la laine française, on remet le berger au cœur de l’histoire.

Un produit dans le domaine agricole

Muriel Morot n’a visiblement pas pour intention de s’arrêter en si bon chemin. Portée par l’émulation d’une filière jusqu’alors endormie, Traille veut participer à cette renaissance et à ce que la France retrouve ses savoir-faire alors que seulement 4 % de la laine française est transformée sur notre territoire. Des projets comme celui porté par le collectif Tricolor, qui réunit les acteurs de la filière, ou encore le travail fourni par l’Agence de Pyrénées, visent à redynamiser toute la chaîne de production française. Et la jeune entreprise pyrénéenne, particulièrement soutenue notamment par la CCI Pays basque ou encore par la Région, veut être dans la boucle, en amenant notamment d’autres idées. En témoigne l’élaboration en cours d’un nouveau produit pour le domaine agricole, qui sera davantage codéveloppé avec les clients visés.

Une doudoune Traille

De collaboration il est également question pour l’un des derniers projets menés par Traille et Pyloow, une marque bigourdane fondée par Sarah Langner. Les deux jeunes femmes ont ainsi créé deux édredons en laine et lin, des matières naturelles et thermorégulantes, fabriqués entièrement à partir de produits français et confectionnés à la commande à Jézeau, dans les Hautes-Pyrénées. Les produits, en précommande actuellement sur le site de Pyloow, semblent amorcer une autre voie pour Traille, à destination des particuliers. Pourtant, « Traille n’a pas vocation à devenir une marque » selon les dires de Muriel Morot. Malgré tout, ponctuellement, celle-ci ne s’interdit pas de s’engager sur ce marché B2C, comme ce fut le cas avec la création de la doudoune « Barcus » par Traille. Vendue entre 110 et 130 euros, elle s’est écoulée à 200 exemplaires lors d’une première vente il y a quelques mois. Galvanisée par ce succès, la chef d’entreprise réitère avec une nouvelle précommande, de nouveau via le site Ulule, pour une livraison mi-octobre. Un produit pensé comme « une alternative aux doudounes « objets pub » fabriquées à l’autre bout du monde » tient-elle à souligner, conçu localement « avec des matières françaises ou européennes et avec un rembourrage laine bien entendu ! ». De déchets à doudoune, Traille offre définitivement une seconde vie à la laine des brebis des Pyrénées. Et l’histoire n’en est qu’à ses débuts.

Traille

© Cyril Garrabos

Une chaîne de production réfléchie

La dirigeante de Traille essaie au maximum de mener son projet de manière territoriale, notamment en travaillant avec des bergers basques et béarnais ainsi qu’avec des entreprises locales. Malgré tout, elle a dû ouvrir ses horizons en ce qui concerne la chaîne de production, faute de savoir-faire. La laine est ainsi d’abord lavée dans le nord de l’Espagne. Elle est ensuite peignée dans le dernier peignage français à Tourcoing, avant d’être transformée chez un fabricant installé en Nouvelle-Aquitaine ou bien chez un autre basé dans le nord de l’Espagne.

Lauréat du Grand Prix Innovation Agrolandes

Traille est particulièrement habituée des prix, en témoigne le dernier en date. Pour la deuxième édition de son Grand Prix Innovation, qui avait lieu mi-juin, le technopôle Agrolandes (40) dédié à l’agriculture et l’agroalimentaire a en effet décerné son premier prix et 10 000 € à Muriel Morot, suite à son pitch manifestement efficace face au jury. Le deuxième prix est revenu à Oscar, le premier robot d’irrigation autonome et polyvalent pour les cultures d’industries européennes mis au point par la start-up Osiris, créée par trois fils d’agriculteurs ingénieurs à Illies (Nord), pour permettre aux agriculteurs « d’économiser 30 % d’eau, de l’énergie, des engrais, tout en les libérant d’une tâche manuelle et difficile ».