Couverture du journal du 06/04/2024 Le nouveau magazine

Un premier label pour le chocolat de Bayonne

L'Académie du chocolat de Bayonne crée son label pour distinguer la qualité du chocolat à la bayonnaise. Sous l’impulsion de Jean-Paul Carrère, son président, cette association aspire à une reconnaissance officielle de son savoir-faire séculaire et à un développement commercial régional.

chocolat de Bayonne

Label de l'Académie du chocolat de Bayonne ©DR

« Nous avons créé un label appelé « Artisans créateurs- Les chocolats de Bayonne ». Ce visuel commun aux six chocolatiers membres de l’Académie du chocolat de Bayonne est associé à leur charte graphique respective que l’on retrouve imprimée sur l’emballage de leurs tablettes », s’enthousiasme Jean-Paul Carrère, président de l’Académie du chocolat de Bayonne depuis 2020. C’est à l’occasion de la troisième édition de « Bayonne fête son chocolat » que ce label a été présenté. Fin octobre, pendant trois jours, un chapiteau installé au pied de la mairie offre au public un parcours pédagogique, ludique et gastronomique. L’animation est assurée par les équipes des six maisons membres de l’Académie du chocolat de Bayonne dont certaines sont plus que centenaires : Cazenave (1854), Daranatz (1890), Pariés (1895), l’Atelier du Chocolat (1851), Chocolat Pascal (2008) et Monsieur Txokola (2017).

Jean-Paul Carrère ©V.Biard

Une IGP possible

Ce label « Artisans créateurs- Les chocolats de Bayonne » n’a encore rien d’officiel mais marque la volonté de l’association de valoriser son histoire et son savoir-faire. « L’un des projets de l’académie, voire même l’un de ses rêves, serait d’officialiser une disposition naturelle. Nous allons peut-être développer un travail et une recherche par rapport à quelque chose d’officiel », envisage Jean-Paul Carrère. Une indication géographique protégée (IGP) pourrait être appropriée. Ce signe européen consacre et protège un produit aux caractéristiques liées à une aire géographique délimitée où se déroule sa production, son élaboration ou sa transformation. Une IGP se base également sur la réputation d’un produit et sa forte reconnaissance par le public. Introduit en France il y a quatre siècles via le Pays basque et travaillé avec un savoir-faire particulier, le chocolat bayonnais témoigne indiscutablement d’une spécificité. Reste maintenant à la formuler.

Un cahier des charges en cours

Pour acquérir un label officiel distinctif comme une IGP, un cahier des charges est indispensable. « Grâce à un travail commencé il y a un an par les membres de l’Académie du chocolat et des particuliers amateurs de chocolat, un cahier des charges a été mis en place » rapporte Jean-Paul Carrère. Ainsi le chocolat de Bayonne doit être fabriqué à Bayonne ou au Pays basque avec deux origines de fèves de zones géographiques précises, deux tiers de cacao au minimum sont requis dans sa composition, du sucre de qualité doit être utilisé, aucune matière grasse végétale n’est tolérée et de l’épice doit toujours être ajoutée. Jean-Paul Carrère parle d’une « typicité et d’une identité gustative pour le chocolat à la bayonnaise qui est resté un chocolat puissant et amer alors qu’en France, il est devenu sucré à très sucré. »

Le chocolat à la bayonnaise est resté puissant et amer alors que dans le reste de la France, il est devenu très sucré

56 chocolateries au Pays basque

Ne réunissant que six membres, l’Académie du chocolat de Bayonne devra probablement s’élargir à d’autres chocolatiers pour se renforcer et obtenir une reconnaissance sectorielle. « Il y a une présence très importante de chocolatiers à Bayonne et au Pays basque. 56 chocolateries à ce code APE sont répertoriées dont 15 sur Bayonne » précise Jean-Paul Carrère qui évalue de 25 à 30 millions d’euros le poids de cette filière sur le Pays basque. Pour les six membres de l’Académie, des chiffres d’affaires de 600 000 à 11 millions d’euros sont évoqués.

Le label « Artisans créateurs – Les chocolats de Bayonne » est un un outil de développement commercial

Le label « Artisans créateurs- Les chocolats de Bayonne » et bien sûr une éventuelle IGP seront des outils de développement commercial : « nous avons beaucoup de contacts en Espagne où la qualité du chocolat à la bayonnaise est recherchée. Si on part d’un rayonnement régional, la zone transfrontalière vers le Pays basque et l’Espagne, la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie avec Toulouse sont des premières cibles susceptibles d’adhérer à cette identité bayonnaise » espère-t-il.

Un savoir-faire séculaire

Mais bien plus que la promotion des produits des six maisons membres, l’une des missions de l’Académie du chocolat de Bayonne est d’en développer sa notoriété et de « faire connaître la vérité historique » selon Jean-Paul Carrère. Car c’est depuis Bayonne que le chocolat a été introduit en France au début du XVIIème siècle par une communauté juive expulsée d’Espagne et du Portugal et qui s’installera aux portes de la cité. Le savoir-faire des « faiseurs de chocolat » se diffusera dans la ville ainsi que dans le Pays basque. « Nous sommes les dignes successeurs des premiers ateliers de juifs portugais et espagnols de Saint-Esprit », affirme Jean-Paul Carrère conscient aussi des épisodes plus sombres de l’histoire de ces premiers artisans chocolatiers de Bayonne. Reste maintenant à faire connaître cette saga et ce goût au-delà des remparts de Bayonne.

 

Une histoire héritée des conquistadores

Le métate ou pierre à chocolat traditionnelle ©Mathieu Prat

Consommé par les populations mésoaméricaines, le cacao se diffuse en Europe par les Espagnols puis en France par des Juifs sépharades installés à Bayonne.

C’est le conquistador Hernán Cortés qui rapporte les premières fèves de cacao en Espagne en 1527. Chez les Mayas et les Aztèques, la fève de cacao était consommée en étant mélangée à d’autres aliments pour produire du « xocoatl » plutôt amer. Mais aromatisé avec des saveurs sucrées, ce breuvage à base de caco deviendra le chocolat dégusté par la haute-société espagnole. En 1615, Anne d’Autriche, fille du roi d’Espagne, se marie avec Louis XIII et introduit le chocolat à la Cour de France via ses servantes préparatrices de chocolat. Mais c’est avec le mariage de Marie-Thérèse d’Autriche et de Louis XIV à Saint-Jean-de-Luz en 1660 que le chocolat tant apprécié par l’infante d’Espagne devient à la mode.

Les « faiseurs de chocolat » du quartier Saint-Esprit
Parallèlement, le chocolat débarque dans le Royaume de France au XVIème siècle avec l’arrivée de juifs sépharades expulsés d’Espagne par le décret de 1492 puis ensuite expulsés du Portugal où certains s’étaient réfugiés. Connus sous le nom de « Juifs portugais » des familles s’installent au Pays basque dès le XVIème siècle et notamment dans le quartier Saint-Esprit aux portes de Bayonne. Des négociants et des commerçants connaissant les fèves de cacao figurent parmi cette diaspora ainsi que des initiés aux vertus médicinales du cacao appelés « faiseur de chocolat ». En 1670, le mot chocolat apparait dans les comptes du Trésorier de la ville et les registres paroissiaux mentionnent pour la première fois l’existence d’un chocolatier dans le bourg de Saint-Esprit en 1687.

Bayonne première ville chocolatière de France
Mais en 1725, une ordonnance dite des Échevins interdit aux Juifs de fabriquer et de vendre du chocolat dans la ville de Bayonne mais pas à l’extérieur de ses murs. Le savoir-faire des chocolatiers juifs se transmet via leurs apprentis et ouvriers à qui ils enseignèrent les secrets de la transformation du cacao. Puis en 1761, dix chocolatiers bayonnais créent une corporation dont les statuts excluent les Juifs de la profession. L’ordonnance est supprimée en 1767 par le parlement de Bordeaux. En 1854, on compte 32 fabricants de chocolat à Bayonne alors première ville chocolatière de France. Selon Anne Bénard-Oukhemanou auteure de La communauté juive de Bayonne au XIXe siècle, Abraham Olivier, décédé en 1867, fût le dernier chocolatier juif de Saint-Esprit.

De la fève à la tablette

Cacao et chocolat ©DR

Le chocolat est fabriqué à partir des fèves du cacaoyer (ou cacaotier), un arbre originaire d’Amérique centrale et implanté en Afrique au XIXème siècle. Les fèves du cacao sont extraites de la cabosse, fruit du cacaoyer. D’abord triées, séchées puis concassées les fèves de cacao sont séparées de leur coque pour être ensuite torréfiées. Elles deviennent du grué de cacao qui sera broyé et chauffé pour être transformé en pâte de cacao. Celle-ci est composée pour moitié de beurre de cacao extrait alors par pression. Le résidu de pressage est appelé le tourteau et donne la poudre de cacao.

Pour fabriquer du chocolat, on ajoute du sucre, du beurre de cacao, de la poudre de cacao et d’autres ingrédients à la pate de cacao. La qualité du chocolat se définit par la provenance géographique des variétés de fèves de cacao (Criollo, Forastero, Trinitario), le soin apporté à chaque étape de leur traitement, le choix des produits additionnels et bien sûr le savoir-faire lors de l’assemblage final.