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Dordogne : faire carrière dans la pierre

La pierre de Limeyrat extraite des carrières de Bontemps est unique. Elle prend place au bout du monde sur de luxueux chantiers. Son dirigeant déplore de ne pas réussir à recruter : il doit refuser des commandes.

Pierre

© Shutterstock

Le causse calcaire de Limeyrat n’est pas seulement une bonne terre pour les chênes truffiers. Il y a 165 millions d’années, la région se trouvait au fond des mers. Les strates géologiques successives ont formé une roche qui fait le renom des carrières de Bontemps, riche d’un nuancier de couleurs (blanc, jaune, gris, marron, bleu…) que les spécialistes ne s’expliquent pas sur un même site. Ce banc ne trouve ses semblables qu’au Maroc et au Japon. « Nous avions acheté ce terrain pour construire notre maison », raconte Michel Raynaud. Bonne pioche : la belle anomalie géologique qui se trouve sous ses pieds va devenir un trésor pour celui qui a passé 20 ans sur des chantiers de restauration de Dagand. Avec son épouse, ils se lancent artisanalement dans l’extraction de la pierre de Limeyrat, pour répondre à des demandes ponctuelles.

Cette production va bientôt faire le tour du monde, repérée pour sa variété de couleurs, si particulières, et la dureté de ce calcaire qui se travaille comme du marbre et s’embellit en vieillissant. L’entreprise créée en 1998 s’est développée et a employé jusqu’à 70 personnes. La demande initiale de blocs a évolué vers les dallages, avec l’investissement sur une première machine, un cap important passé en 2014, et jusqu’à cinq lignes automatiques maintenant.

Pierre, carrières Bontemps

carrières de Bontemps © SBT

HAUTE COUTURE MINÉRALE

La pierre de Limeyrat est utilisée pour des dallages, en intérieur comme en extérieur, mais aussi des revêtements muraux moins épais, et des éléments de décoration. Sa qualité justifie un prix de 50 euros le m2 là où le tarif de base se situe plutôt à 10. Cette activité de transformation s’est imposée sur le site de la carrière et le marché local s’est étendu aux marchés à l’exportation à travers des négociants. L’entreprise vend du standard comme du sur mesure : des commandes spéciales sont réalisées avec des étapes numériques pour des travaux de restauration, fruits de l’histoire et des performances de la 3D. L’atelier de façonnage reproduit des éléments d’architecture à l’identique, grâce à cette imagerie corrélée à la découpe, grâce au concours d’une main-d’œuvre très qualifiée. « De la haute couture. Par exemple des encadrements de porte pour des promoteurs immobiliers de Caroline du Sud, des commandes pour des milliardaires qui veulent du produit français. Des « vraies fausses » cheminées Renaissance à l’aspect vieilli. Notre process s’adapte à l’usure attendue, tout se passe dans nos 11 000 m2 couverts. Notre pierre a davantage de valeur ainsi, elle répond à la passion des Américains pour les vieilles pierres françaises. »

Cette production fait le tour du monde, repérée pour sa variété de couleurs si particulières et la dureté de ce calcaire

Des conteneurs entiers partent pour ce marché principal à l’export, même si la crise sanitaire a fortement perturbé le trafic maritime et ralenti les livraisons de l’entreprise périgourdine. Le plus bel exemple de fidélité, ce sont les 43 magasins Ralph Lauren dans le monde, qui s’habillent en pierre de Limeyrat. En plus des États-Unis, où un magasin-dépôt fonctionne à Houston, des commandes arrivent du Chili, d’Australie, des Caraïbes, des Bahamas, de Dubaï… L’Allemagne et l’Autriche ont aussi rejoint cette demande de luxe. L’équilibre se fait pour moitié entre marché international et intérieur, la Côte d’Azur étant au zénith sur celui-ci. En Dordogne, le château de Hautefort arbore fièrement les pavés de Limeyrat dans ses restaurations récentes, tout comme le monastère de Villamblard ou les rues piétonnes de Périgueux. L’entreprise travaille moins pour les Monuments historiques, avec des tarifs qui ne passent plus.

carrières de Bontemps

carrières de Bontemps © SBT

AUTORISATION DE TIR

« Nous avons du foncier et encore 20 ans d’autorisation d’exploitation. » Depuis un an, c’est avec un procédé par tirs, confiés à un prestataire, chaque trimestre, que l’entreprise va chercher sa matière première selon un protocole suivi par la Dreal, avec mesures de vibrations. Une charge d’explosif dégage 30 000 tonnes de roche en une seconde, contre trois mois de casse nécessaires jusque-là pour atteindre les bancs de roche utile. En avançant, les manœuvres deviennent plus délicates en profondeur, avec des conséquences à maîtriser sur les nappes phréatiques. Le granulat, dont la carrière n’a pas d’usage, est pris en charge par une autre entreprise qui vient concasser sur place. Chaque année, la carrière est remise en état et refaçonnée dans sa forme initiale, avec des arbres de diverses essences replantés dans le cadre d’un plan de réaménagement présenté tous les 5 ans : le fonctionnement de cette installation classée est corrélé à cette obligation de remise en état du site, avec un cautionnement de 350 000 euros lié à cette condition.

CARNETS DE COMMANDES BIEN REMPLIS MAIS PÉNURIE DE PERSONNEL

L’entreprise a une matière première exceptionnelle et des carnets de commande bien remplis, mais elle manque d’effectifs. « Avec six mois de délais, nous perdons des clients : ça fait 20 ans que nous faisons des salons internationaux pour vendre nos pierres et maintenant que les marchés sont ouverts, nous devons les refuser car nous ne pouvons pas fournir ! » Au grand dam des commerciaux, qui perdent les commandes sur un secteur de niche, rare donc cher. Car le problème majeur reste le recrutement. De petits miracles se produisent parfois, comme l’arrivée d’une jeune femme venue du prêt-à-porter, orientée par Pôle emploi et devenue responsable qualité moins d’un an après son arrivée… Mais elle est repartie. Une formation interne à perte.

carrières de Bontemps

carrières de Bontemps © SBT

Un conducteur d’engin à la carrière vient de prendre sa retraite, le pilote de machine numérique va faire de même, dix personnes manquent déjà à l’effectif minimum pour maintenir l’activité, sans parler du développement possible. Les électromécaniciens pour la maintenance manquent aussi l’appel, « il n’y en a pratiquement pas dans les centres de formation alors que beaucoup d’entreprises ont besoin de ces profils ». Pour un recrutement en cours, 3 500 mails sont partis via Pôle emploi, 1 100 SMS, pour trois candidatures reçues et aucune embauche… « Les annonces sur le Bon coin n’ont rien donné, un peu mieux sur Indeed. Nous cherchons juste des gens volontaires pour travailler : nous les formons sur place. » La spécialité de tailleur de pierre ne séduit plus et les Compagnons autrefois présents dans l’entreprise, capables de transmettre leur savoir aux nouveaux arrivants ne sont plus là. Les évolutions numériques font le plus dur du travail, mais la beauté des finitions revient à la main de l’homme.

Notre pierre répond à la passion des Américains pour les vieilles pierres françaises

TRANSMISSION EN COURS

Avec l’Association interprofessionnelle du Terrassonnais, il a été question de mettre en œuvre une formation partagée mais la crise sanitaire a interrompu la dynamique de recherche de bâtiment et de professeurs. Les obstacles de recrutement contraignent l’entreprise à régresser plutôt qu’à se développer, avec un chiffre d’affaires passé de 5 à 4,2 millions d’euros en un an, une production qui a lentement décliné de 75 000 à 50 000 m2 au lieu de progresser vers l’objectif de 100 000 m2 de dallages prévus. « Les 1,7 million de commande actuellement en portefeuille ne pourront être réalisés qu’en mai ou juin, se résigne le dirigeant. Nous ne sommes pas en crise, nous avons de belles perspectives. » Arrivé au seuil de la retraite, Michel Raynaud espère toujours trouver un repreneur mais cet état des lieux ne l’aide pas. « Si je transmets l’entreprise, c’est pour qu’elle puisse perdurer. » Il connaît des homologues en Bourgogne dont l’un avec lequel les contacts semblent assez avancés, d’autant qu’il rencontre les mêmes problèmes… L’union de ces deux détresses fournira peut-être la solution commune.

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