Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Authentique 1948 : Maille in Périgord

Entreprise - Ils sont les premiers ambassadeurs de leur marque et portent avec fierté l’Authentique 1948 fabriquée à La Tour Blanche. On doit à quatre amis d’enfance, deux basés à Paris et deux restés en Périgord, d’avoir sauvegardé à temps le savoir-faire et le matériel de la Bonneterie du Périgord 1948, reprise il y a un an.

Maille

Marc Le Fer, Jean-Christophe Boccon-Gibod, Etienne Desviel, et Christophe Dessalles, dirigeants de la Bonneterie du Périgord © Louis Piquemil - La Vie Economique

Ici, le passé a de l’avenir. « C’est la trad’innovation », un raccourci qui colle parfaitement à l’histoire qui se poursuit. Celle d’une enfance partagée tout près de là, à Vanxains, par quatre amis : Marc Le Fer, Etienne Desviel, Jean-Christophe Boccon-Gibod et Christophe Dessalles. Ces 4 mousquetaires ne pensaient pas faire œuvre économique commune un jour. Le Made in France, c’est d’abord le Made in Périgord pour les quatre associés : c’est là que se fixent à la fois leurs souvenirs et leurs projets. Au nom de l’esprit d’équipe et des parties de foot d’il y a 40 ans, pas question de se lancer les uns sans les autres. « C’est une aventure humaine, plaident-il à quatre voix, on a le même objectif de faire perdurer un savoir-faire et de créer des emplois sur cette terre à laquelle nous sommes très attachés ».

PÉRIGORD-PARIS

Deux sont restés dans les environs, deux ont tracé leur route ailleurs. Marc Le Fer, responsable d’un service de police municipale à Ribérac, plonge volontiers dans cet « univers qui n’a rien à voir… » Si ce n’est une commande d’uniforme, qui sait ? Étienne Desviel, éducateur sportif, MNS et entraîneur de foot, gère pour sa part une entre- prise de lavage de véhicules. « On découvre, on apprend. » Ils sont présents en proximité, à l’écoute du personnel, en lien avec le tissu local : « beaucoup d’habitants ne connaissent pas cette entreprise, à nous de leur dire qu’on peut y acheter des modèles locaux de qualité plutôt qu’un vêtement qui a fait le tour de la planète ». De leur côté, les deux Parisiens de l’équipe ont réservé un corner de promotion dans la boutique Chamberlan, chausseur qui fabrique aussi en Périgord vert. Les caractères et compétences s’assemblent, se complètent.

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Alvéric Gelisse © Louis Piquemil – La Vie Economique

CONTRIBUER AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE LOCAL

Sorti de l’ENA en 2004 dans la même fameuse promotion Senghor qu’Emmanuel Macron, Jean-Christophe Boccon-Gibod a effectué une première partie de carrière dans la haute fonction publique : Bercy, cabinet de Jean-Louis Borloo au ministère de l’Écologie ; puis dans le secteur de la banque et de l’assurance. « En 2018, j’ai créé une fintech, une plateforme de digitalisation du crédit. » Entrepreneur dans le conseil et les services financiers, il a ajouté ce projet à sa constellation professionnelle début 2022, gage de fidélité locale du « petit Parisien qui venait pour les vacances ». Il veille plus particulièrement sur les RH, les dossiers juridique et bancaire, et ouvre de nouveaux canaux de distribution, cadeaux et produits destinés aux salariés ou clients de partenaires, comme BNP Paribas récemment. « L’une de mes motivations personnelles est d’apporter quelque chose au développement économique du territoire, j’y pensais depuis longtemps. »

EXPERT DE LA MODE

Christophe Dessalles trace ses origines en Dordogne jusqu’au XVIe siècle et il trouve une raison de plus pour venir dans sa maison des environs. Cet expert de la mode et du textile parcourt le monde en qualité de directeur général de Double D, licencié mondial Adidas pour tous les sports de combat depuis 20 ans. Après MBA et des études à l’étranger, il vit entre l’Angleterre, la France et l’Asie. Passant de La Tour Blanche à Dubaï et au Pakistan, il apprécie le choc des cultures et met ainsi au service de ce projet ses réseaux et compétences, en France et bien au-delà.

Le parc de machines circulaires, la cinquantaine bien conservée, silhouettes métalliques entourées de bobines en suspension, fait des merveilles

HISTOIRE D’UNE RENAISSANCE

L’historique Bonneterie du Périgord trouve son origine dans des industriels textiles du nord de la France, tombés amoureux du territoire. Ils ont transformé une minoterie en bonneterie, à Saint-Antoine-Cumond, en bord de Dronne, et employé jusqu’à 250 personnes, dans les années 1980. Changeant de mains, la production s’est ensuite déplacée à La Tour Blanche en 2017, dans ce qui fut aussi une unité textile (Tricot de la tour, Moulin Neuf). C’est là que Christophe Dessales a fait naître une envie de reprise chez les amis « Marco, Étienne et JC » quand l’affaire est arrivée devant le Tribunal de commerce, début 2022. « On a toujours voulu s’investir dans un projet bénéfique pour l’économie locale, c’était une opportunité. » L’offre concurrente effaçait le cœur de métier de cette unité pour l’orienter vers la laine. Or c’est avec le tricotage du coton et du lin qu’on fait ici des prouesses.

CHIFFRES ET PERSPECTIVES

Tous les quatre ont investi près de 150 000 euros, avec un prêt bancaire à peu près du même montant (Banque populaire) et un prêt d’honneur d’Initiative Périgord. « D’ici trois ans, nous souhaitons atteindre 1 M€ de chiffre d’affaires, prévoit Jean-Christophe Boccon-Gibod, en fixant déjà un objectif de 450 000 euros cette année et en doublant l’équipe actuelle de 7 salariés d’ici fin 2024. »

Le business model repose sur trois piliers, précise Christophe Dessalles : « Le BtoB, avec des clients français, historiques, qui nous font confiance ; le BtoC, avec la vente de notre marque sur notre site, depuis octobre ; l’export, avec des clients japonais et une commande de 3000 pièces en collection automne-hiver par une société coréenne. » Le tout monte en puissance en parallèle.

Nous avons le projet de produire ici un tee-shirt technique pour la boxe à partir de fibre de bois pour les JO 2024

« Nous avons un projet pour fabriquer ici un tee-shirt technique pour la boxe, en matière écoresponsable à partir de fibre de bois, pour les JO 2024 : le directeur technique Adidas sport de combat viendra fin mars pour y travailler. » Cet important enjeu de recherche et développe- ment pourra bénéficier au reste de la production. Christophe Dessalles se charge entre autres de faire profiter de ses contacts en Asie auprès des marques, et si des apports comme celui-ci aident au démarrage, il sait que « notre réussite passera par la diversité ; notre réseau permet d’aller plus vite, notamment à l’export ».

Le continent asiatique adore ce type de produit qui reflète « le luxe, le savoir-faire, la tradition française ». « Nous sauvegardons certains points, comme le Richelieu, que nous sommes les derniers à utiliser en France. Cette mémoire du geste plaît beaucoup aux Japonais : un styliste bloggeur est venu spécialement le mois dernier pour faire un article. »

MÉTIERS D’EXCELLENCE

L’identité de la marque a été confiée à une styliste Miyabi Nakamoto (voir encadré). L’un des derniers bonnetiers de France, Alvéric Gelisse, a repris du service (voir encadré) et Damien, recruté à la coupe, se forme auprès de lui pour apprendre le métier. « La transmission est essentielle. Nous avons accueilli avec le Medef et le Rectorat une dizaine de professeurs, avec des perspectives de stages pour les jeunes, qu’il s’agisse de stylisme, de communication ou de fabrication. » Ces liens favoriseront des recrutements locaux, tout comme le travail avec l’association de réinsertion professionnelle Ricochets, à Neuvic-sur-l’Isle.

Trois couturières de l’ancienne entreprise ont rejoint l’équipe.

Trois couturières de l’ancienne entreprise ont rejoint l’équipe, ravies d’apporter leur expérience. Véronique a connu trois fermetures et « toujours gardé espoir. » Elles ont la connaissance des machines et des matières, retrouvent des modèles classiques auxquels tiennent les clients, et réalisent des nouveautés, des cols, des chemises, des marinières rayées qui demandent plus de temps.

Miyabi Nakamoto Maille

Miyabi Nakamoto © Louis Piquemil – La Vie Economique

BONNETIER, UN PROFIL RARE

« Ma mission, c’est du faire du tricot à partir du fil et des machines de l’atelier. Je suis au début du processus de fabrication. » Issu du monde du métal et non du textile, Alvéric Gelisse est finalement tombé dans la mécanique du tricotage. Arrivé dans l’entreprise de Saint-Antoine-Cumond il y a 23 ans, il a participé au déménagement des machines (20 semi-remorques et engins de levage) jusqu’à La Tour Blanche, les a démontées puis remontées, il en connaît chaque pièce. Il a connu les aléas et la fin de l’entreprise précédente, « j’avais trouvé un autre travail, ailleurs, pour moi c’était fini, je ne pensais pas que ce genre d’activité soit reprise ». Surprise : les quatre associés sollicitent la compétence de celui qui est le seul à pouvoir redémarrer ces machines. Alors il a choisi de laisser l’emploi qu’il avait trouvé à 5 mn de chez lui pour refaire 40 mn de route. « J’aime cet univers. Je fais confiance à cette équipe et je crois à sa réussite. En six mois, je ne pensais pas qu’on aurait déjà autant de travail, bien plus que lors des dernières années. »

DÉMARCHE ÉCORESPONSABLE

Le parc de machines circulaires, la cinquantaine bien conservée, silhouettes métalliques entourées de bobines en suspension, fait des merveilles. Elles ne seraient rien sans l’équipage humain capable d’animer ce ballet. Toute la production se déroule sur le site de La Tour Blanche, à l’exception de l’envoi à deux ennoblisseurs français, après la phase de tricotage : ils stabilisent la matière en la lavant, retirent la paraffine et colorent la matière sous label écologique Oeko-Tex. La découpe, la confection, l’assemblage, l’emballage, tout est effectué manuellement.

« Le coton stretch utilisé hier encore pour la confection de sous-vêtement prend le dessus pour révéler des atouts fashion. »

Un écosystème se met en place. « Nous travaillons en circuit court chaque fois que possible, avec la broderie du Périgord, des transporteurs locaux. » Et dans une démarche écoresponsable, avec une traçabilité du coton bio, des fils achetés en Allemagne et au Portugal. « Nous avons un projet avec une filature proche de Pau pour valoriser nos déchets et réduire l’impact environnemental en allant vers un circuit fermé, car la matière coûte cher. » Polo, tee-shirt, chemises, marinières, sweats molletonnés, des modèles en coton jersey, côte fine, maille piquée… sortent de cet atelier. Une vente directe est pro- posée chaque vendredi sur le site.

UN RÊVE RÉALISÉ

Liés par un engagement personnel, un risque partagé et la passion de pérenniser cette société, les associés ont investi sans prendre de salaire. « Les gens les plus importants pour nous, ce sont ceux qui travaillent ici. » Ils vont continuer à investir, à rechercher des clients à l’étranger tout en faisant connaître leur entreprise dans la région. Plus fort que des souvenirs d’enfance : un rêve réalisé.

UNE STYLISTE POST- MODERNE

Franco-Sino-Japonaise, Miyabi Nakamoto la styliste de la marque, vient tous les quinze jours de Paris vers La Tour Blanche, où elle a déjà travaillé pour Tricots de la Tour. Les associés ont fait appel à elle pour ses connaissances du patronage, de la mode, de la couture, tout ce qui a leurs yeux la rend indispensable au projet, au lien noué avec les clients. Pour elle, cette manufacture est un trésor. « J’y ai accompagné des acheteurs japonais, amoureux de savoir-faire authentiques, et ils ont adoré. Je voulais vraiment que ce lieu revive ! C’est très rare que cette matière soit encore tricotée en France. Je connais la valeur de ces employés et ce que les machines peuvent réaliser. » Elle a signé la première collection Authentique 1948 avec des basiques et des intemporels ; la prochaine intègrera notamment des bleus de travail en molleton, dans l’esprit jean, ou des chemises en maille piquée.