Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Bergerac : Une route des vins toute personnelle

Vigneron sous statut de métayage et de fermage, un cas à part en Bergeracois, Yannick Lescot a essuyé des épisodes météo au pire moment. Malgré des vents contraires, il a continué à tracer une route des vins bien à lui. Il vient d’ajouter le domaine de La Cardinolle à celui de Coutancie.

Vin de Bergerac

Yannick Lescot (à droite) vend à 80 % auprès de particuliers, sur des salons notamment (Bretagne, Lyon, Paris) et bientôt avec des commerciaux commissionnés. Et il continuera à travailler avec les grossistes de Nicolas Eckert (à gauche) pour le Rosette. © Loïc Mazalrey

Le parcours est atypique, du salariat agricole au statut d’indépendant non-propriétaire. Tout petit déjà, Yannick Lescot était aux côtés de ses parents pour épamprer et relever la vigne. Après le lycée agricole de La Brie, à Monbazillac, où il obtient un BP viti-œno puis le bac, l’un de ses maîtres de stage lui propose un emploi. Il devient vite chef de culture d’une exploitation de 50 hectares. Après ces dix ans, il seconde le dirigeant d’un domaine de 30 hectares, à Monbazillac, tout en rêvant d’exploiter en location une petite parcelle voisine. « C’est très difficile de partir de zéro, les propriétaires sont prioritaires. Mais le conseiller viti du vignoble m’a aidé à trouver. » Trois projets lui passent sous le nez jusqu’à la visite d’un domaine à Prigonrieux.

TEMPÊTE SUR UN BON DÉBUT

Et le voilà occupé, depuis 2017, sur le domaine de Coutancie, un métayage de 5 hectares (lire encadré) qu’il mène de front avec son emploi salarié à temps plein. Yannick Lescot a réussi à s’installer sans autre apport que sa capacité de travail. Il a financé les avances aux cultures avec un prêt bancaire de 40 000 euros, dont la moitié à taux zéro avec Initiative Périgord. Le domaine étant en bio depuis 2014, il a remisé ses méthodes conventionnelles et a appris sur le terrain, avec les conseils de techniciens. « Davantage de contraintes et de main-d’œuvre, mais une valorisation commerciale indéniable. »

J’ai décidé de changer mon mode de culture pour me préserver du gel

Le gel vient anéantir à 90 % sa première année : 16 hectos au lieu des 200 attendus. Il doit réemprunter la même somme, avec une pression qui retombe un peu grâce à la bonne récolte de 2018. En 2019, le gel sévit à 60 % ; en 2020, la grêle à 50 % et en 2021 encore le gel à 40 %. De quoi doucher l’énergie de l’entrepreneur le plus combatif. « Pas question d’arrêter le rêve de ma vie. J’ai décidé de changer mon mode de culture pour me préserver du gel. »

Yannick Lescot Propriétaire des domaines de la Cardinolle et de Coutancie bergerac

Yannick Lescot, propriétaire des domaines de la Cardinolle et de Coutancie © Loïc Mazalrey

TAILLE TARDIVE

Le changement climatique se traduit par de gros écarts de températures qui déstabilisent la nature. La stratégie de Yannick Lescot ? « Sans gros investissements de type tour antigel, je réussis, depuis, à préserver la récolte. Je taille au 20 février plutôt qu’en novembre. » Seul pour les 11 hectares actuels, il dit y arriver, avec un gros volume de travail au printemps.

« Je repousse au maximum la sortie des bourgeons. C’est un risque à prendre car la nature peut rattraper son retard et me donner du mal à suivre, mais l’expérience est plutôt convaincante. »

Les aléas climatiques ont repoussé l’horizon d’autonomie que le viticulteur s’était fixé pour cesser son activité salariée. C’est maintenant chose faite, avec l’extension de son domaine sans terre, nécessaire pour gagner en rentabilité.

J’ai décidé de changer mon mode de culture pour me préserver du gel

Car tout près de là, à La Cardinolle, Nicolas Eckert pensait à ralentir le rythme qu’il tient depuis 1989 sur son domaine de 6 hectares… Les deux hommes se sont rencontrés, et compris. « C’est le même conseiller viti, Lilian Bachellerie, qui a fait le lien, explique le propriétaire. Alors que Yannick était en bio depuis le début, je travaillais sans label mais je ne désherbais plus mes vignes et je n’employais plus d’engrais minéraux. J’ai entrepris la conversion pour assurer la transmission et lui permettre de travailler de façon homogène. » Une démarche rare à l’aube de la retraite ! Engagée en 2019, elle leur a permis d’avancer ensemble pour arriver à échéance cette année.

L’APPELLATION ROSETTE

L’appellation Rosette (19 producteurs sur 42 hectares pour 1200 hectolitres en 2022) représente l’essentiel de la production de Yannick Lescot. Des vins légers, frais et fruités « que j’essaie de maintenir à 12° ». Depuis 2017, il enchaîne des médailles au concours général, au concours des caves particulières ou de Bergerac-Duras. Il travaille depuis le début avec Patricia Guery, une référence dans l’œnologie.

Vin de Bergerac

© Loïc Mazalrey

UN NOUVEAU COMBAT

Yannick Lescot vient de prendre la relève en février et prépare la première vendange en bio de La Cardinolle. Au métayage de Coutancie, s’ajoute ici le choix d’un fermage (lire encadré). Là encore, il a suivi un parcours du combattant. Au regard de sa trésorerie malmenée par les épisodes météo, la banque n’a pas souhaité étudier son projet global sur 11 hectares. Au lendemain de ce rendez-vous, Yannick Lescot rassemble ce qu’il lui reste d’optimisme pour animer une dégustation prévue en Bretagne. « Pendant le Covid, j’en avais organisé chez un client, ça a plu et je suis passé de 300 à 1 500 bouteilles. » Il confie l’empêchement de concrétiser son projet et son intention de trouver une autre solution de financement. La solidarité de l’assistance se met aussitôt en ordre de bataille. « Ces fidèles clients m’ont empêché de repartir, ils ont pris la journée pour étudier le projet avec moi. Ils pouvaient déjà m’apporter 20 000 euros et, en mobilisant leur réseau, on est arrivés à 40 000. Ces gens que je ne connais pas y ont cru ! Restait à trouver le support. »

Yannick Lescot prépare la première vendange en bio de La Cardinolle

LOUÉ SOIT MIIMOSA

C’est à travers la plateforme participative Miimosa que s’exprimera cet élan sous la forme d’un prêt sur 5 ans réparti sur plusieurs donateurs. Accompagné par son expert-comptable et par Mathilde Vanquaethem qui assure le suivi de la commission partenariale Activ (fédération des vins de Bergerac Duras, Chambre d’agriculture, etc.), Yannick Lescot a pu faire aboutir cette transmission peu commune : grâce à l’assurance financière de Miimosa, il a obtenu 30 000 euros auprès d’une nouvelle banque, en attendant de commercialiser son vin. Son objectif est de stabiliser les volumes autour de 45 000 bouteilles, dont près de 40 000 en Rosette. « Je dis aux jeunes qu’on arrive à trouver d’autres solutions quand la banque nous lâche, qu’on peut évoluer dans le vignoble sans être propriétaire avec de la passion et l’esprit d’entreprise. » *

FERMAGE ET MÉTAYAGE : ORIGINAL DANS LE VIGNOBLE

« J’ai été le premier en viticulture à m’installer sous le statut de métayage en Dordogne et ce n’est pas très courant ailleurs, un peu plus en Gironde. C’est un format plus adapté aux grandes cultures. Ça n’a d’ailleurs pas été simple au niveau administratif ! » Le métayage lui permet de louer le domaine de Coutancie, c’est-à-dire les vignes, bâtiments et matériel. « Pour payer le droit d’exploiter, je partage ma récolte un tiers deux tiers, le propriétaire contribuant en retour à un tiers de mes charges de fonctionnement et approvisionnements… » Cette situation protège le métayer en cas de catastrophe météo.

Sur le vignoble de La Cardinolle de Nicolas Eckert, ils ont fait le choix du fermage : la location se fait sur un prix établi et réglementé, quel que soit le résultat de production… un risque plus grand pour Yannick Lescot en cas d’infortune climatique, mais une situation plus favorable les bonnes années.

Ce statut de fermage devait aussi s’appliquer à Coutancie lors de la prochaine renégociation de bail. L’extension de son activité à Coutancie avec la reprise de La Cardinolle sera ainsi plus harmonieuse. Prochaine étape : revoir l’identité de sa production et créer un site internet, pour que le consommateur ne se perde pas dans cette carte des vins si personnelle !