Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Pays basque – Biarritz au défi d’un tourisme soutenable

Biarritz s’apprête à réaliser une saison 2022 probablement exceptionnelle marquée par un boom de réservations de la clientèle française et un retour de la clientèle étrangère 2 ans après le début du Covid. Élue maire en 2020, Maider Arosteguy dirige la ville dans laquelle sa famille tient une épicerie fine depuis 1875. Avec son équipe, elle veut soigner le patrimoine touristique de Biarritz et développer un tourisme soutenable. En exclusivité, l’édile nous présente les enjeux de ce secteur économique crucial pour la cité biarrote et tout le Pays basque français.

Villa Belza Biarritz

Villa Belza © V.Biard.

La Vie Economique : Comment se présente la saison ?

Maider Arosteguy : « Les taux de réservation dans les hôtels sont très élevés et nous attendons le retour de la clientèle étrangère plutôt absente lors des deux dernières saisons. Nous surveillons de très près les réservations de lHôtel du Palais puisque c’est une propriété de la ville. Là aussi les perspectives sont prometteuses. Nous attendons une fréquentation importante pour cette saison qui s’annonce donc très belle. »

Les taux de réservation dans les hôtels sont très élevés et nous attendons le retour de la clientèle étrangère

Maider Arostéguy, maire de Biarritz

Maider Arosteguy, maire de Biarritz © Delphine Pernaud

LVE : Les touristes russes réputés à fort pouvoir d’achat vont-ils venir cette saison ? Ont-ils déserté Biarritz depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine ?

M.A. : « Il y a quelques Russes vivant en Europe qui viendront mais ils sont très peu nombreux. La plupart de la clientèle russe susceptible de séjourner à l’Hôtel du Palais ne viendra pas en Europe : ni sur la Côte d’Azur, ni sur la Côte basque, par peur d’être stigmatisée. Cette clientèle devrait aller vers la mer Noire ou la Turquie d’après mes informations. »

LVE : Et cette clientèle que l’on imagine comme des oligarques représente-t-elle un poids important ?

M.A. : « Ceux qui viennent chez nous ne sont pas des oligarques en une des magazines people et profitant de leurs yachts sur la Côte d’Azur. Ce sont des familles aisées de Moscou ou Saint-Pétersbourg. C’est un tourisme familial, sportif et haut de gamme. Cette clientèle ne compte pas pour plus d’un dixième de la clientèle de l’Hôtel du Palais- mais représente un panier moyen très important. »

LVE : Quelle est votre position sur la mesure initiée par la Communauté Pays basque, finalement suspendue par le tribunal administratif de Pau, qui imposait la transformation d’un local en habitation à l’année pour contrebalancer la mise sur le marché d’un meublé de tourisme ?

M.A. : « Même si le dispositif me paraissait imparfait, j’étais d’accord avec cette mesure. Mais il faut protéger les Biarrots qui ont un Airbnb en complément de retraite. C’est souvent un bien hérité de leur famille, ils sont sur place et veillent sur leur location. Ils n’étaient pas protégés par la mesure de l’Agglomération mais j’avais voté cette mesure en sachant que rapidement nous allions pouvoir l’amender. »

LVE : L’Hôtel du Palais a rouvert le 3 juin dernier. Quelles sont ses perspectives en termes de financement, de travaux, de gestion ?

M. A. : « Les travaux sont terminés et ont été financés, l’hôtel a été recapitalisé, la mairie reste largement majoritaire, tout est en ordre. Le dossier est bouclé. L’Hôtel du Palais a donc rouvert de façon définitive le 3 juin. Il y aura peut-être une réfection du SPA à envisager. » Le tourisme d’affaires a repris de façon beaucoup plus importante qu’on ne l’imaginait et ceux qui y participent n’ont aucune envie de télécongrès

LVE : Biarritz est une ville de congrès avec une activité de tourisme d’affaires de septembre à juin. Cette activité stoppée par le Covid a-t-elle repris à son niveau d’avant ? Les nouveaux usages de télétravail et de réunions à distance ont-ils un impact ?

M.A. : « L’activité a repris de façon beaucoup plus importante que l’on ne l’imaginait. Je suis trésorière de France Congrès et Événements dont le président est David Lisnard, maire de Cannes et le vice-président est Franck Louvrier, maire de La Baule. L’activité du tourisme d’affaires est repartie partout en France et ceux qui y participent n’ont aucune envie de télécongrès, ils ne se sont pas retrouvés depuis deux ans et souhaitent vivre une expérience. À Biarritz, je me fais un devoir d’accueillir des congressistes lorsqu’on me le demande. »

LVE : Biarritz est en concurrence avec d’autres villes pour le tourisme d’affaires. Comment rester parmi les leaders ?

M.A. : « Faire ce que l’on n’avait pas fait jusqu’à présent, c’est-à-dire entretenir et moderniser son patrimoine d’infrastructures mais aussi travailler l’accessibilité de la ville avec les taxis par exemple ainsi que l’accessibilité aérienne puisque l’on n’a pas récupéré une desserte conséquente. Il faut également moderniser notre organisation dont le fonctionnement et la gestion ne peuvent plus recourir à un financement systématique de la ville en fin d’année. Nous demandons à la structure Biarritz Tourisme d’être davantage proactive et indépendante dans ses ressources. »

Nous travaillons sur le label « destination innovante durable » mis au point par France Congrès »

LVE : Quelles sont les particularités de Biarritz et ses atouts ?

M.A. : « Déjà que l’on puisse tout faire à pied : se loger et rejoindre un centre de congrès. Ensuite, ses infrastructures de congrès ont vue sur la mer pour les deux casinos, c’est vraiment apprécié. Biarritz dispose aussi d’un grand choix de prestataires de qualité pour tout ce qui concerne l’organisation d’un événement. Et il y a une richesse patrimoniale à Biarritz mais aussi à l’intérieur du Pays basque. À Biarritz, on peut organiser une soirée aux Halles ou découvrir la pelote basque à Plaza Berri par exemple. »

LVE : Pour les congressistes, le centre-ville de Biarritz offre effectivement l’avantage de pouvoir tout faire à pied. Quelles sont les villes directement concurrentes ?

M.A. : « Deauville, La Baule, Cannes et également des villes comme Orléans, Metz, Nancy, Dijon ou Rennes avec le couvent des Jacobins et qui est à deux heures de Paris en TGV. Nous travaillons sur le label « destination innovante durable » mis au point par France Congrès et qui traduit l’engagement des 9 villes pilotes dont Biarritz dans un accueil le plus écoresponsable possible. Cela fera partie des critères de choix des organisateurs de congrès. »

Grande plage et casino municipal Biarritz

© Emmy Martens

LVE : Et justement le tourisme de masse est décrié notamment pour son impact environnemental. Comment permettre au plus grand nombre de voyager dans une philosophie responsable ?

M.A. : « C’est assez compliqué parce que l’on parlait du tourisme de proximité mais celui-ci a finalement produit un tourisme de masse avec, en plus, un usage de la voiture. Je crois à la sensibilisation et à des chartes de tourisme durable mais je pense aussi à des quotas comme l’ont fait Barcelone ou Venise pour limiter le tourisme. Le phénomène Airbnb a multiplié par 2 ou 3 la capacité d’accueil et c’est un surplus d’usagers pour les structures de la ville. Cela pose des problèmes qui sont arrivés très vite. »

LVE : Que faire alors ? Interdire les Airbnb ?

M.A. : « Saint-Malo ou Saint-Sébastien ont imposé des quotas par quartier et en particulier dans l’hyper centre-ville. Cette solution existe donc. Il faut comprendre qu’une sur-fréquentation touristique engendre des effets en termes de gestion des déchets, d’incivilités, de nettoyage des rues. Cela entraîne des coûts supplémentaires et une réorganisation des services municipaux. Face à ces effets de saturation que l’on a pu connaître, nos moyens ne sont plus en adéquation avec le volume de travail à réaliser. »

À BIARRITZ ET NULLE PART AILLEURS

Lancée en 2016, la marque « Biarritz Pays basque » est l’une des 20 marques mondiales retenues par le ministère des Affaires étrangères pour assurer la promotion de la France auprès d’une clientèle internationale. Ceux qui connaissent le Pays basque ne le résument pas à cette élégante station balnéaire mais Biarritz, par son histoire et son architecture, a acquis une renommée incomparable. Selon l’agence de l’attractivité et du développement touristique des Pyrénées-Atlantiques, le tourisme représente 10 % du PIB départemental. Les retombées économiques du tourisme sont estimées à 2,3 milliards d’euros dont 1,5 pour le Pays basque avec l’essentiel de l’activité pour le littoral. Avec sa cinquantaine d’hôtels, Biarritz devance Saint-Jean-de-Luz, l’autre pôle touristique du littoral comptant 25 établissements hôteliers. Bien sûr, on peut adorer les plages d’Anglet, être charmé par le village de Guéthary, aimer se balader à Bayonne mais Biarritz reste la capitale touristique du Pays basque français.

LVE : Autre question d’actualité, comment pallier le manque de salariés dans l’hôtellerie ? La ville peut-elle amener des solutions ?

M.A. : « C’est une problématique que l’on trouve partout en Europe aujourd’hui. À son échelle, la Ville de Biarritz a organisé avec l’UMIH des rencontres pour aider les entreprises à trouver des saisonniers. Les conditions de travail et les rémunérations posent problème mais cela concerne les hôteliers et les restaurateurs. La ville peut agir sur le logement et dès le début du mandat, nous avons décidé de transformer, avec un opérateur social, l’auberge de jeunesse qui ne fonctionnait plus en logement pour les saisonniers et les étudiants. Elle est située en entrée de ville et accessible au centre par les transports en commun. D’ici deux ans, elle offrira des logements de qualité à des tarifs très abordables avec une capacité d’accueil de 60 personnes. »

DE NAPOLÉON III À DONALD TRUMP !

1854 : L’EMPEREUR CRÉE LA LÉGENDE DE BIARRITZ

Se baignant à Biarritz depuis son enfance, Eugénie de Montijo y emmène son empereur de mari en juillet 1854. Sous le charme de ce petit village basque, Napoléon III fait construire la villa Eugénie aujourd’hui Hôtel du Palais. Jusqu’à la fin du règne de Napoléon III en 1870, Biarritz accueille chaque été la cour impériale et le gotha international. De nombreux hôtels et restaurants sont alors édifiés pour les accueillir. Depuis, Biarritz est une station balnéaire de renommée mondiale.

1892 : LES RUSSES SACRALISENT LEUR PRÉSENCE

Malgré la fin du règne de Napoléon III, l’aristocratie russe continue de venir à Biarritz pour bénéficier de l’air marin. Depuis Saint-Pétersbourg, le voyage en train dure une semaine. L’inauguration de l’église orthodoxe en 1892 symbolise l’attachement des Russes à Biarritz. Après la Révolution de 1917, les Russes blancs s’exilent à Biarritz et y ouvrent même plusieurs cabarets. La crise des années 30 et la Seconde Guerre mondiale mettent fin à la présence d’une communauté russe à Biarritz mais des touristes russes reviennent depuis une vingtaine d’années.

1956 : LA VILLE RACHÈTE LE PALAIS

Transformé en hôtel en 1893 puis ravagé par un incendie en 1903, l’Hôtel du Palais est reconstruit et continue à accueillir de prestigieux visiteurs. Mais, pour éviter son rachat, la ville de Biarritz dirigée par Guy Petit en fait l’acquisition en 1956. La société d’économie mixte créée par la suite est toujours en charge de sa gestion. Cette acquisition judicieuse a probablement garanti la pérennité de l’Hôtel du Palais, aujourd’hui seul palace de la Côte atlantique et socle de l’économie touristique biarrote.

1962 : LES VAGUES DE BIARRITZ PARTOUT DANS LE MONDE

Introduit en France en 1956 via les bagages de Peter Viertel, un scénariste américain en repérage au Pays basque, le surf est adopté par quelques locaux dont Joël de Rosnay. En 1962, celui-ci envoie des photos des vagues de la Côte basque à Surfer Magazine, bible des surfeurs du monde entier. Biarritz devient la première destination surf en Europe. Un important secteur économique se développe ensuite avec Biarritz, mais aussi Hossegor dans les Landes, comme places fortes du surf business européen.

1979 : LA THALASSO MODERNE RÉINVENTE LES BAINS DE MER

Créés en 1970 les Thermes Marins de Biarritz sont les précurseurs de la thalassothérapie moderne. Mais l’institut Louison Bobet, ouvert en 1979 sur le modèle du centre de Quiberon, offre une gamme de soins beaucoup plus large et des prestations hôtelières haut de gamme. La tradition des bains de mer est réinventée et on vient à Biarritz pour se ressourcer.

1991 : LE CASINO MUNICIPAL EST SAUVÉ

C’est par crainte que le casino municipal fasse place à un hôtel de luxe qu’une coalition d’élus municipaux se révolte contre le projet de Bernard Marie alors maire de Biarritz. De nouvelles élections sont organisées en mars 1991 et Didier Borotra s’empare de la mairie. Au casino Bellevue et à la gare du Midi déjà rachetés par la ville, il ajoute le casino municipal aux centres de congrès de Biarritz. Une stratégie moderne de développement économique spécifique au tourisme est lancée.

2019 : LES GRANDS DE CE MONDE SUR LA GRANDE PLAGE

Avec le phare de Biarritz en arrière-plan, la photo des chefs d’état des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon et de la France fait le tour du monde. En plus des retombées économiques directes pour la ville, Biarritz bénéficie avec le sommet du G7 d’une promotion internationale et renoue symboliquement avec son passé de ville impériale.