To drink or not to drink…
Cela fait 60 ans que la consommation de vin chute en France. Rendez-vous compte : on buvait 127 litres de vin par an et par personne en 1960 contre 40 litres aujourd’hui… Une baisse abyssale de 70 % ! Nos valeurs sociétales et nos modes de vie ont évolué et les Français suivent de plus en plus les « repères » de consommation de Santé publique. Le vin : c’est deux verres maximum par jour et pas tous les jours. Sans vouloir plagier une célèbre autre campagne de santé publique, le vin « c’est pas automatique ».
French Paradox
En 1991 naît la Loi Evin en France pour encadrer la consommation de tabac et d’alcool qui tue à l’époque plus de 110 000 concitoyens. La vocation est louable, la mise en application pour nous communiquant nous colle des migraines ! Non à l’association alcool et glamour, convivialité ou fête. On avait le droit de mettre en scène un vigneron ou un professionnel du vin mais si il ou elle avait une « belle gueule », les autorités menaient leur enquête pour vérifier que ce n’était pas un figurant… Alors que le monde entier nous enviait la qualité et la notoriété de nos vins, en France la communication autour du vin se durcissait !
La clé de la communication du vin est là : démystifier le vin, le rendre accessible, ouvrir les portes des chais…
Secouer la vigne pour trouver de nouvelles idées
C’est à cette époque que mon client américain Wente Vineyards m’a invitée à venir visiter son vignoble californien et constater toutes les initiatives entreprises autour à la winery. Si nous étions les pionniers de la viticulture, il ne va sans dire que les Américains avaient tout inventé sur le marketing du vin ! Sur le produit d’abord : cuvées spéciales, assemblages signés de célébrités, joint-ventures avec les plus grands vignobles pour créer des coffrets vendus en Duty Free sous la bannière « le meilleur des deux mondes » présentant un vin californien et un bourgogne d’Albert Bichot ou un côtes-du-rhône de Chapoutier… Sur le lieu de production ensuite : visites thématisées du vignoble, plusieurs restaurants à thème, hébergements, boutique avec une gamme de produits dérivés autour de la marque (textile, art de la table, maroquinerie, objets souvenirs…) et d’autres objets en lien avec la viticulture (ouvrages, linge de table…), etc. Un amphithéâtre romain avait été aménagé au cœur des vignes pour accueillir des concerts et des événements. La qualité de la programmation attirait des consommateurs et des touristes de toutes générations. Le site de production devenait un lieu de vie où le vin était mis en scène dans un univers lifestyle et cosmopolite.
Lorsque le vin a gagné son statut patrimonial
Il me semble que la clé de la communication du vin est là : démystifier le vin, le rendre accessible, ouvrir les portes des chais, inviter le public dans les propriétés viticoles… Créer un univers autour du vin, relier le produit à son terroir, son vigneron, son histoire. Le storytelling autour du vin était né et le développement de l’œnotourisme a participé largement à mieux découvrir et comprendre le métier du vigneron. Le vin sortait de sa bouteille pour devenir un produit de notre patrimoine français. C’est ainsi qu’en 2010, le vin est inscrit comme patrimoine immatériel de l’humanité à l’Unesco tout comme « le repas gastronomique des Français » dont le vin représente un élément central. Avec cette reconnaissance internationale, le vin est reconnu définitivement dans notre culture et notre identité française. Ce statut patrimonial sera également enregistré dans la loi française en 2014 pour confirmer irrémédiablement le rôle essentiel du vin dans notre culture. Ces titres n’auront pas forcément facilité la communication publicitaire autour du vin toujours très encadrée par la loi Évin mais ont ouvert des perspectives inspirantes dans la promotion du vin dans le respect d’une consommation modérée.
La dimension affective et humaine autour du vin prendra toujours le pas sur les technologies gadgets et le storytelling convenu
La visite du chai est morte, vive l’expérience immersive
On n’invite plus aujourd’hui le consommateur à venir déguster du vin à la propriété mais à venir vivre une expérience immersive dans l’univers de production. Depuis plusieurs années, des initiatives créatives se sont mises en place dans l’offre œnotouristique : les dégustations deviennent sensorielles avec des jeux de lumière et d’odeurs dans une ambiance musicale pour accentuer les sensations. Des ateliers proposent aux touristes de devenir apprenti vigneron en s’essayant aux assemblages par exemple. D’autres animations explorent les associations possibles entre le vin et d’autres produits comme le chocolat ou avec différents types de cuisine. De plus en plus de propriétés viticoles développent des expériences artistiques et culturelles autour d’expositions, de concerts ou de festivals.
Réalité augmentée
Des activités plus innovantes encore ont vu le jour : la réalité augmentée permet d’enrichir l’expérience de la visite ; le développement d’applications dédiées au domaine permet au visiteur d’être autonome dans son parcours. Les progrès technologiques sont tels que l’expérience immersive peut être vécue aujourd’hui sans se déplacer ! La réalité virtuelle offre la possibilité de se promener dans la propriété viticole confortablement installé dans son canapé à des centaines de kilomètres du lieu de production ! Une visite virtuelle à laquelle on peut aussi accéder en scannant le QR code d’une étiquette de vin en rayon. La technologie n’a pas fini d’enrichir l’expérience du consommateur et l’IA permet déjà de créer des dégustations personnalisées centrées autour des goûts et préférences des clients. La contribution de l’IA dans ce domaine n’en est qu’à ses balbutiements et on s’apprête à vivre très rapidement une petite révolution dans l’expérience immersive du visiteur. Toutefois la dimension affective et humaine qui crée les souvenirs pérennes autour des expériences, prendra toujours le pas sur les technologies gadgets et le storytelling convenu.
Le défi de séduction des jeunes consommateurs
L’enjeu majeur de la communication du vin reste toutefois concentré sur les jeunes. Alors que près d’un consommateur de vin sur deux a plus de 55 ans, il est vital pour la filière de recruter de nouveaux clients et de rajeunir les cibles. Le challenge est plus complexe qu’il n’y paraît. Les jeunes générations sont sensibles à l’image des marques et à leurs valeurs : elles recherchent de l’authenticité et de la transparence. Le storytelling présente encore plus d’importance ici qu’auprès des autres consommateurs : la connexion avec les marques passe par l’histoire derrière le vin. Il faut communiquer sur l’engagement du domaine viticole, le parcours du vigneron et ses convictions. Les valeurs éthiques et de durabilité sont essentielles pour attirer les jeunes. Mais attention, pas de green washing. Privilégier plutôt une communication honnête sur les pratiques écoresponsables et sociales, sur les objectifs que les marques se sont fixés dans ces domaines.
Pour séduire les jeunes, les marques de vins doivent aussi renforcer leur présence sur les réseaux sociaux avec un contenu créatif, esthétique et engageant
Démarche pédagogique
La recette paraît simple mais des barrières symboliques persistent. Le monde du vin apparaît encore comme intimidant et élitiste pour les jeunes : les descriptifs sont trop techniques, les sigles trop nombreux sur les étiquettes, la lisibilité confuse entre les AOC et les cépages, et le prix jugé trop élevé la plupart du temps. En 2006, motivée par ma participation aux Wine Women Awards (créés par le Bottin Gourmand), j’avais lancé avec des amies un club de dégustation féminin (ndlr : L & vin) pour justement démystifier l’approche du vin et convaincre les femmes que le fait de ne pas maîtriser le vocabulaire technique du vin n’était pas un frein pour savoir apprécier un bon vin et en parler. Cette démarche pédagogique reste essentielle auprès des jeunes.
Enfin, pour séduire les jeunes, les marques de vins doivent aussi renforcer leur présence sur les réseaux sociaux avec un contenu créatif, esthétique et engageant. Des collaborations avec des créateurs de contenu peuvent les aider à dynamiser leur visibilité et à toucher un public très ciblé. C’est cette proximité créée qui engagera durablement les nouveaux consommateurs.
Côté vin, les jeunes sont souvent attirés par des nouveaux produits (cépages rares, vins atypiques, vinification exploratoire…). On constate également une montée en popularité des vins no-low ou faiblement alcoolisés, notamment auprès des 18-35 ans. Les marques ne doivent pas non plus négliger le contenant du vin car les jeunes sont friands de formats qui leur permettent une consommation plus nomade et festive : canettes, demi-bouteilles, BIB, contenant à base de matériaux recyclés, contenants réutilisables…
Conclusion
Des transformations sociétales profondes ont impacté nos modes de consommation de façon générale : le vin n’est plus un aliment associé aux repas mais un produit plaisir qui prend place dans des occasions choisies et dans un contexte souvent décontracté. La demande des consommateurs aujourd’hui porte davantage sur des vins blancs (tranquilles ou effervescents), des rosés et des rouges légers. À Bordeaux, le futur bordeaux claret, un rouge léger, frais et aromatique annoncé pour les vendanges 2025, devrait trouver son public. Les stratégies de communication des marques doivent intégrer ces nouvelles attentes des consommateurs et ce changement de paradigme impulsé par la déconsommation d’alcools. Faites confiance aux communicants pour vous accompagner dans cette nouvelle ère et remporter ce défi du changement.
Le glas du vin a-t-il sonné ?
Les derniers chiffres du baromètre Sowine 2024 autorisent l’optimisme car le vin a repris cette année sa première place de boisson alcoolisée préférée des Français à 60 % (+5 points par rapport à 2023). La préférence en faveur du vin a même progressé de 6 points chez les 18-25 ans et de 14 points chez les 26-35 ans.