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Château de Panisseau, le vin dans le sang

Issue d’une emblématique famille du vignoble girondin, Claire Janoueix a repris en 2022, avec son conjoint Audouin d’Aboville, le château de Panisseau, près de Bergerac. Des défis à relever pour un patrimoine qui était endormi.

Claire Janoueix et Audouin d’Aboville Panisseau

Claire Janoueix et Audouin d’Aboville © Loïc Mazalrey - La Vie Economique

A peine diplômée, Claire Janoueix a une certitude : elle va reprendre un domaine viticole. Mais pas n’importe lequel, la jeune femme est à la recherche d’un lieu avec « du patrimoine en détresse ». De quoi mêler ses études d’histoire de l’art à la Sorbonne avec son master spécialisé en management de domaine viticole de Bordeaux Sciences Agro. Quand, après la pandémie, elle entreprend de se lancer dans l’aventure viticole avec son compagnon, Audouin d’Aboville, elle décide de visiter le château de Panisseau. « C’était une opportunité, à seulement une heure de chez mes parents, qui m’ont donné l’aval pour visiter. C’était pour eux l’occasion que je voie comment se passe une visite, les questions à poser… Au départ, c’était plus de la curiosité. »

« Jamais de la vie »

Pourtant, le lieu séduit le couple. Le château du XIIe siècle, les 40 hectares de vignes, les gîtes, les terres agricoles, les savoir-faire… Le château de Panisseau coche toutes les cases pour Claire Janoueix. Sans aucun apport, mais avec le soutien du Crédit Agricole Charente-Périgord, ils se lancent dans l’aventure. « Je m’étais dit « jamais de la vie », j’ai vu l’investissement total de mes parents, dépendants de la météo, sans aucun temps libre… Puis, je me suis rendu compte de ce que je quittais, c’est un métier où l’on vit pour un projet. »

© Loïc Mazalrey

Seule fille dans une fratrie de trois, Claire Janoueix a rejoint la tradition familiale qui se transmet depuis cinq générations, librement. « Le métier se transmet de père en fils. Être une femme m’a permis de partir faire de l’histoire de l’art à Paris, et de n’avoir aucune pression familiale », note la viticultrice. Une tradition qu’elle est désormais fière de perpétuer. « Souvent, les femmes ont un rôle énorme, mais ne sont pas mises en avant. Je suis l’une des premières femmes de la famille à entretenir cet héritage. »

Des viticulteurs « qui montent »

Car chez les Janoueix, pas question de se reposer sur ses acquis. « On n’attend pas un héritage pour se lancer, rien n’est dû, et chaque génération achète sa propriété. » Et désormais la dynastie arrive jusqu’en Dordogne. « C’est un département où les viticulteurs montent, la réputation du vin est de plus en plus reconnue alors qu’en face, à Bordeaux, la situation est de plus en plus difficile », relève-t-elle.

Seule fille dans une fratrie de trois, Claire Janoueix a rejoint la tradition familiale qui se transmet depuis cinq générations, librement

Pour cette aventure, Claire Janoueix et Audouin d’Aboville ont décidé de miser sur la tradition, et l’histoire. Prenant le contrepied de l’ancien propriétaire qui s’était lancé dans la vente en vrac du vin, le couple a décidé de revenir à la vente à la bouteille. « On veut du vin de qualité, et on a le chai pour le faire », souligne Claire Janoueix. Avec un chai en béton et un chai en inox, ils peuvent stocker plusieurs milliers d’hectolitres de vin élaborés à partir de plusieurs cépages – sauvignon, muscadelle, sémillon et ugni blanc pour les blancs et merlot, cabernet franc et cabernet sauvignon pour les rouges.

Un savoir-faire centenaire

Et le « patrimoine immatériel » du domaine a également retenu l’attention des jeunes investisseurs. « Le château a été l’un des premiers à faire du vin blanc sec au pays du moelleux », indique la viticultrice. Et ajoute : « la technique a été ramenée d’Alsace dans les années 1930 par un ancien propriétaire qui a élaboré une bouteille flûte ». Un story telling que le couple n’a pas manqué de reprendre pour la commercialisation de ses vins. « On a réussi à retrouver ce savoir-faire car ici on a pu rencontrer des personnes qui ont les bons contacts. »

Les nouveaux propriétaires espèrent produire a minima 100 000 bouteilles pour le cru 2023

Lors de « Châteaux en fêtes », le couple avait ouvert les portes du Château de Panisseau et « beaucoup de locaux sont venus avec des histoires. Grâce à cela, on a pu rencontrer les deux grandes familles qui ont habité le château au XXe siècle et qui nous ont aidés à reconstituer son histoire ». Alors que les vendanges s’achèvent, ils espèrent produire a minima 100 000 bouteilles pour
le cru 2023. « Dans les années 80, 500 000 bouteilles étaient produites par an, c’était une propriété très importante dans le Bergeracois », souffle Claire Janoueix. Avec Audouin d’Aboville, ils veulent faire renaître le phoénix de ses cendres.

© Loïc Mazalrey

Un œnologue en soutien

Et si le couple travaille main dans la main, Claire gère avant tout la partie commerciale, et Audouin la production. Un « challenge d’apprentissage » et un « travail de recherche » pour le trentenaire qui a une formation d’ingénieur en développement logiciel. Les six vins du château Panisseau sont élaborés avec les conseils de Julien Belle, œnologue qui les épaule dans la composition des profils de vins et le processus de vinification. « Il nous apporte une objectivité et un regard extérieur tout en était conscient des possibilités que l’on a ici. On est un peu comme une start-up de la viticulture », sourit Audouin d’Aboville.

Apporter de la vie avec un gîte

C’est cette histoire que les deux jeunes viticulteurs vendent à leurs clients, qui viennent notamment en vacances profiter des quatre gîtes, permettant d’accueillir 20 personnes, dispersés dans les 106 hectares du domaine, également occupé par des terres d’exploitation agricole, confiées par le couple à un agriculteur. Et pour redonner totalement vie à la propriété, le couple espère rapidement pouvoir restaurer le château, qui n’est pas classé et ne dispose donc d’aucune aide publique, dans l’espoir d’en faire un lieu de réception.

Le château de Panisseau a été l’un des premiers à faire du vin blanc sec au pays du moelleux

Un an après la reprise du château de Panisseau, le plus grand défi pour Claire Janoueix et Audouin d’Aboville reste de se faire une place, convaincre des vendeurs de leur faire confiance. Et ainsi pouvoir retrouver une activité digne d’il y a 50 ans, et voir les bouteilles aux couleurs du château partout dans la région.