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Défaillances d’entreprises, le dur retour à la normalité

Président du tribunal de commerce des Hautes-Pyrénées depuis le début de l’année, Jean-Michel Julian fait le point sur l’augmentation des procédures collectives dans le département et présente le partenariat signé avec la DDFIP.

Jean-Michel JULIAN, président du tribunal de commerce de Tarbes entreprises

Jean-Michel JULIAN, président du tribunal de commerce de Tarbes © Lilian Cazabet

La Vie Economique : Avec 14 317 procédures collectives pour le premier trimestre, le rapport Altares met en avant une augmentation de 43,6 % des défaillances d’entreprises au niveau national. Quel est l’état des lieux en Occitanie et plus particulièrement dans le département ?

Jean-Michel Julian : « On suit à peu près la même tendance même si l’Occitanie ne se porte pas plus mal que les autres, à la limite elle est presque meilleure et les Hautes-Pyrénées aussi. On est toujours dans une augmentation sensible et ce, dans tous les domaines. En tête, on retrouve les petites entreprises, le commerce et le petit artisanat, neuf procédures sur dix concernent des TPE. »

 9 procédures sur 10 concernent des TPE

LVE : Comment expliquer cette augmentation qui paraît alarmante ?

J-M.J : « Elle ne l’est pas comme on croit. Si on refait l’historique, avec la Covid, on a mis toutes les entreprises sous perfusion. Que ce soit via les subventions, les PGE avec un différé de paiement, la suspension totale des assignations sociales et fiscales… Pour les entreprises qui avaient un plan à rembourser dans le cadre d’une procédure judiciaire, on a même augmenté de 2 ans et 3 mois la durée des remboursements. Les entreprises qui étaient moribondes ont tenu deux ans de plus, maintenant tout est fini. Mais en fait on revient à des normes, quand on regarde à l’échelon national, il y a 3 ans on était à pas tout à fait 60 000 dépôts de bilan, pendant la crise on était en dessous de 30 000, c’est ce chiffre qui n’était pas logique. Là on est à environ 45 000 et on remontera à 55 000. Globalement, les entreprises qui auraient dû tomber avant la crise et qui ne l’ont pas fait parce qu’elles ont été soutenues, le font ou le feront. »

 On a parfois soutenu des entreprises qui ne le méritaient pas… mais on ne pouvait pas faire autrement…

LVE : D’après votre analyse, ce sont donc les aides exceptionnelles liées à la pandémie qui auraient retardé de nombreux dépôts de bilan que l’on voit aujourd’hui ?

J-M.J : « Je vais dire quelque chose d’un peu dur mais on a parfois soutenu des entreprises qui ne le méritaient pas. Quand

je vois ce que l’on reçoit en procédure collective, ç’est difficile de ne pas réagir. C’est normal que certaines entreprises chutent, on a fait du social, on ne pouvait certes pas faire autrement mais il faut admettre qu’elles devaient exploser, comme elles l’auraient fait avant. Donc finalement c’est normal de revenir à une augmentation des défaillances d’entreprises, pour beaucoup d’entre elles c’était un problème structurel et non conjoncturel. La conjoncture a fait qu’elles ont duré plus longtemps mais les problèmes de fonds propres ou de la rentabilité ont persisté, il fallait bien qu’elles explosent. L’économie va retrouver sa stabilité. Ça purge aussi les marchés, on avait tendance à se dire depuis 3 ans que tout était fait eh bien non. On revient à de la normalité. »

LVE : Niveau conjoncture, à la sortie de crise se sont ajoutées les conséquences de la guerre en Ukraine.

J-M.J : « Début 2022, on avait une croissance forte, on s’est dit que c’était gagné. Pas de chance, il y a eu des facteurs exogènes et inattendus. La guerre en Ukraine a entrainé des problèmes d’approvisionnement sur les produits de base comme le blé, l’énergie, on rajoute l’inflation qu’on ne connaissait pas depuis 20 ans, des taux bancaires qui ont au moins doublé voire triplé, tout cela mis ensemble… C’est normal que certaines entreprises chutent. Tous les secteurs sont touchés, même l’industrie qui, elle, n’a pas de problème réel économique mais ne trouve pas de personnel. Dans le département, on a des sous-traitants en aéronautique, secteur qui se porte bien en Occitanie, ils ne sont ni en faillite ni en défaillance mais font face à un réel problème du recrutement. Avec l’augmentation de la marge salariale, la diminution des marges et le contexte, il faut quand même se dire que c’est difficile pour tout le monde. Mais il y a des solutions quand les entreprises rencontrent des problèmes conjoncturels. »

LVE : En parlant des salariés, quel est l’impact de ces dépôts de bilan sur l’emploi dans les Hautes-Pyrénées ?

J-M.J : « Comme ce sont surtout des petites entreprises, des artisans, avec peu de salariés qui déposent, malgré la hausse il y a moins d’impact au niveau du chômage dans le département. Sur les salariés, la croissance des effectifs s’accélère, on est à 0,2 % avec des créations de postes dans le tertiaire et l’industrie. Selon l’Urssaf, sur le premier trimestre 2023, l’emploi salariés continue de se redresser, les effectifs augmentent depuis 4 trimestres et de 0,9 % sur les quatre derniers mois. Sur un an, la hausse est de 1,9%. »

LVE : Ces dépôts de bilans ont-ils des facteurs communs ? Quel profil voyez-vous le plus souvent ?

J-M.J : « Ce qui ressort tout le temps c’est le manque de capital social des entreprises. Quand on voit qu’il peut être de 1 €, c’est anormal. Une entreprise pour vivre, il faut qu’elle ait les reins solides, du capital social, de bons projets, de bons clients et une bonne gestion. Beaucoup s’installent comme entrepreneur parce qu’ils savent travailler mais alors la gestion… ils ne savent pas. Combien nous disent « mais le comptable ne m’a rien dit » …On a surtout des petits artisans, des commerçants et pas mal de petite restauration. Tout ce qui peut se vendre à l’arraché, « je m’installe, je n’ai rien, je vends un peu de produits pendant 6 mois-1 an le temps de ne rien payer et après j’arrête ». »

LVE : Ça parait évident mais ça tend à prouver que les entrepreneurs ne semblent pas assez informés sur la réalité de ce qu’est une entreprise.

J-M.J : « C’est exact, quand on s’installe on fait surtout de la formation autours du produit que l’on veut vendre ou diffuser, en revanche la gestion passe toujours en second. Alors que c’est aussi important, après ils se retrouvent devant nous parce qu’ils n’ont pas su gérer. Toutes les petites entreprises qui viennent en liquidation chez nous, ce sont des liquidations directes. Ils viennent déposer le bilan, on ne les a jamais vues avant. C’est un peu démoralisant. »

LVE : Comment se positionne le Tribunal de commerce lorsque les difficultés arrivent ?

J-M.J : « On cherche à les aider, on fait le maximum de procédures amiables. Donc les entreprises qui rencontrent un problème conjoncturel, lorsqu’elles viennent nous voir, on essaie de les diriger vers une solution amiable en les envoyant chez un mandataire. Il va leur proposer de faire des arrangements avec leurs principaux créanciers. L’avantage c’est que c’est confidentiel, vis-à-vis des tiers les entreprises ne sont pas condamnées, c’est ça notre but. Le redressement judiciaire finit à 90 % en liquidation, c’est très rare que le plan soit réalisé. C’est pour ça qu’il faut intervenir au départ pour les sortir de là, si elles sont relativement saines bien sûr. Ce sont les circonstances de l’économie, vous avez une grosse société avec qui vous travaillez, tout d’un coup elle change de fournisseur, si vous avez investi pour la fournir, c’est terminé, cet investissement reste sur les bras. Des pertes de marché ça peut arriver et on est là pour aider aussi. »

LVE : Menez-vous des actions de prévention ?

J-M.J : « Tous les 15 jours, nous avons un service qui reçoit des entreprises pour faire de la prévention. On met de côté toutes les injonctions de payer, c’est-à-dire qu’en tant que président, je les signe toutes et les donne à la prévention. Si ça se répète trop souvent, le service convoque le chef d’entreprise pour pouvoir avoir une explication. Quand une entreprise a une dizaine d’injonctions de payer tous les mois, c’est qu’il y a quelque chose. Donc on voit si on peut trouver une solution en amont. Quand les dirigeants ne portent pas le bilan au greffe, on les convoque également, c’est souvent le signe qu’il y a souvent anguille sous roche. »

LVE : C’est dans ce cadre que vous venez de signer un partenariat avec la DDGFIP ?

J-M.J : « Tout à fait. Nous allons faire un échange de missions de prévention des difficultés d’entreprises pour que justement nous échangions ce que l’on sait plutôt que rester chacun de son côté. On a les mêmes enjeux, c’est sauver les entreprises. La DDGFIP en reçoit, il y a un conseiller départemental à sortie de crise, le CDSC, mais aussi la Commission des Chefs de service financiers, la CODEFI… Et pourtant les chefs d’entreprises se sentent seuls, isolés et ont un besoin accru de renseignements. Le but de cette convention c’est de détecter les entreprises en situation de fragilité, leur assurer une prise en charge précoce et les orienter vers un acteur adéquat. C’est ce que l’on cherche à faire en respectant évidemment chacun les principes de confidentialité. Mais il y a aussi l’Urssaf, que l’on disait dur, qui accepte plusieurs plans d’apurement. La seule condition c’est que l’entreprise ait payé la part salariale. »

LVE : Vous avez un parcours professionnel réalisé dans la banque et au plus près des entreprises. Avec votre expérience et celle de président du tribunal de commerce, quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui s’installe ?

J-M.J : « La première des choses, c’est bien faire une étude de marché pour savoir ce qui sera vendu ou produit, c’est le plus important. Et évidemment, il faut faire une étude financière, il faut des capitaux, bien savoir s’entourer au niveau comptable et commissaire aux comptes. On ne peut pas aller n’importe où, n’importe comment et ce, même dans l’entreprise, il faut s’entourer de bons collaborateurs. C’est presque du B.A BA mais quand on voit les situations en dépôt de bilan, c’est primordial de le rappeler. »