Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Domaine de la Valette – Le dirigeant devenu agriculteur

Après avoir développé le laboratoire Ceva Santé Animale en Europe de l’Est, en Asie, en Amérique du Sud et aux États-Unis, Arnaud Bourgeois, l’un de ses dirigeants, a décidé de laisser sa vie d’homme d’affaires derrière lui pour revenir à son rêve d’enfance : avoir sa propre ferme. C’est ainsi qu’il a repris en 2014 le domaine de la Valette, à Saint-Félix-de-Villadeix, près de Bergerac.

© Loïc Mazalrey - La Vie Economique

C’est au milieu de ses vaches Bazadaises et de ses Bordelaises ou encore de ses porcs noirs Gascons qu’Arnaud Bourgeois est heureux. Ce n’est qu’en 2014, alors qu’il a 50 ans, et qu’il fait partie des dirigeants de Ceva, société pharmaceutique vétérinaire multinationale, que son rêve prend vie : il rachète le Domaine de la Valette, à Saint-Félix-de-Villadeix, en Dordogne. En quelques secondes, Arnaud Bourgeois passe de vétérinaire businessman à gentleman farmer. Cette propriété qu’il a dans le viseur depuis plusieurs années, il l’acquiert à ses anciens propriétaires pour un montant largement supérieur à celui du marché. Et il investit la même somme dans des travaux d’aménagement, de réhabilitation, de construction… « J’ai pensé à ce projet pendant quarante ans… J’ai signé un jeudi. Le lundi, les travaux avaient déjà débuté », souffle-t-il. Pour son Eldorado champêtre, Arnaud Bourgeois créé deux sociétés : la SAS Domaine de la Valette-Périgord pour la partie hébergement et la SAS Ferme de la Valette-Périgord pour la partie agricole.

Six maisons d’hôtes

Fabienne Bourgeois, l’épouse d’Arnaud, se charge de la partie gîte, élaborée avec un architecte et une décoratrice d’intérieur. Six maisons d’hôtes, permettant d’accueillir 27 personnes, sont ouvertes, pour une première saison en 2015. Désormais, ils affichent complet tous les étés, avec un esprit très familial. Les vacanciers, comme des cousins éloignés, envoient des cartes pour les fêtes, reviennent d’une année sur l’autre… Arnaud Bourgeois, lui, est aux manettes de la partie agricole, son rêve d’enfant. « La construction de cette partie est plus compliquée, je veux être à l’opposé d’un modèle industriel et jouer un rôle social, économique et environnemental », ambitionne le désormais paysan.

Arnaud Bourgeois a décidé de miser sur des races locales en voie de disparition, que les autres n’ont pas.

4 bœufs, 40 cochons et 20 veaux par an

En résumé, il ambitionne de créer un modèle viable pour de jeunes agriculteurs. Et pour ne pas concurrencer ses voisins, il décide de miser sur des races locales en voie de disparition, que les autres n’ont pas. Grâce à son réseau, l’ancien vétérinaire se forme sur des races rares et les identifie dans tout le Sud-Ouest pour sa ferme. Le démarrage est lent et difficile. Au total, le domaine de la Valette compte treize races différentes, dont des volailles « que l’on garde davantage pour la sauvegarde, on vend des reproducteurs et on n’en produit que pour les amis et la famille ». Pour le reste, la ferme produit 4 bœufs, 40 cochons et 20 veaux par an.

© Loïc Mazalrey - La Vie Economique

© Loïc Mazalrey – La Vie Economique

Une formation de deux ans

Un atelier de transformation et de découpe, ainsi qu’un espace cuisine, de salaison et de conserverie est construit. Dans sa boutique, Arnaud Bourgeois propose ainsi des produits cuisinés, transformé, élaborés à la ferme. Pour cela, il s’est formé pendant deux ans à l’école nationale des viandes à Aurillac pour miser sur « la valeur stratégique du savoir-faire », soulève-t-il. Et les compétences de l’agriculteur, tout comme ses races, sont reconnues par des grands noms de la restauration. Vincent Arnould, chef une étoile au Vieux Logis de Trémolat, tout comme Philippe Etchebest, ont choisi sa viande pour leurs restaurants. Désormais, le domaine emploie trois salariés, et Arnaud Bourgeois chausse volontiers ses bottes et son chapeau pour se rendre dans les champs, visiter ses animaux et enfin vivre de ce qui l’anime.

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La campagne, une « madeleine de Proust »

Dès sa plus tendre enfance il s’est rêvé agriculteur, marchant dans les traces de sa lignée paternelle, originaire de Normandie. Mais c’est dans l’univers de sa mère, fille d’un grand avocat qu’il baigne, en région parisienne. La campagne, c’est pour les vacances. Un environnement devenu une « madeleine de Proust, une nostalgie idéalisée. Les odeurs sont restées gravées en moi ». Avec l’âge, l’envie d’agriculture perdure. Mais, être fermier sans terre ne correspond pas au lycéen d’alors. “Je m’oriente vers des études de vétérinaire, c’est une solution pour être avec les animaux”, relate Arnaud Bourgeois. S’ensuivent des études de commerce à l’Essec.

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Le service militaire rattrape Arnaud Bourgeois qui s’engage pour 18 mois au sein de la filiale santé animale de Sanofi. En 1991, il est envoyé à Budapest. Les mois deviennent des années, et il reste cinq ans à développer des filiales partout en Europe de l’Est, avant de partir en Asie recommencer le même chantier. “Là-bas, je tente d’implanter un centre de recherche, puis une usine.” En Malaisie pendant six ans, le vétérinaire développe l’entreprise dans toute l’Asie, de la Chine à la Nouvelle-Zélande, de la Birmanie au Japon.

De grands chefs comme Philippe Etchebest, ont choisi sa viande pour leurs restaurants.

2 000 salariés

Alors qu’il a à peine 32 ans, le groupe lui propose, ainsi qu’à une dizaine de dirigeants de racheter la part santé animale de Sanofi qui perdurait encore. Comme un coup de poker, le dirigeant se lance, sans trop penser aux conséquences, il l’avoue. Asie, Hongrie, États-Unis… Spécialiste du vaccin, il implante des centres de recherche et des usines proches du terrain. Le pari est un véritable succès, et Ceva devient un groupe d’ampleur mondial. Le dirigeant passe des heures dans les couloirs d’aéroport, partageant ses mois entre les États-Unis, les voyages d’affaires et la France. Le groupe compte plus de 2 000 salariés en France, dont plusieurs centaines sont actionnaires. Mais l’envie de vivre à la campagne, ses rêves de paysanneries ne le quittent pas. Arnaud Bourgeois revient à Libourne, où est basé le siège social de Ceva. « En 2013, c’est mon quatrième LBO : on vend des parts de l’entreprise à de nouveaux actionnaires dont on fait partie. À ce moment-là, je décide de dire stop, je veux faire mon projet. Être au siège, loin du terrain, ne me plaisait plus », relate Arnaud Bourgeois.

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Investir dans l’art de vivre

« Les nouveaux actionnaires estiment qu’il y a trop de départs parmi les dirigeants historiques, donc ils négocient pour que je ne parte pas, et je m’engage à rester 18 mois pour préparer l’après 2020. » Arnaud Bourgeois laisse finalement tout rôle actif dans le laboratoire en 2016, mais demeure cependant au sein du comité exécutif, et du conseil d’administration. Il reste également actionnaire. Ils sont plus de 500 aujourd’hui. Cet esprit d’entrepreneur, développé à Ceva, il ne l’a pas laissé derrière lui au domaine de la Valette, ni en Dordogne, où il est acteur de l’économie locale. « J’aime jouer un rôle de conseil pour les entreprises de la région, et dans les secteurs qui me plaisent. » Pour donner une cohérence à ses projets, l’agriculteur entrepreneur investit avant tout dans l’art de vivre et la gastronomie. Parmi ses derniers investissements : le groupe Prunier, le caviar de Neuvic ou encore la maison Henras.