Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Dordogne – Professionnels de l’urgence

Ancien membre des forces spéciales de l’armée française, Thomas Dufes, 38 ans, a créé Remote medicine France, un organisme de formation à la médecine tactique. Il a fait de l’Académie Indra, à Saint-Astier, l’un de ses terrains d’entraînement favoris.

Thomas Dufes, créateur de Remote medicine France urgence

Thomas Dufes, créateur de Remote medicine France © D.R.

Un tireur fou, quatre détonations, trois adultes touchés. Dans la pénombre des galeries de l’Académie Indra, le centre privé de formation au tir en situation de Saint-Astier, Thomas Dufes, 38 ans, scrute la réaction des pompiers plongés volontairement en milieu dégradé. Vont-ils extraire les victimes ? Les soigner sur place ? Stylo à la main, le jeune patron de Remote medicine France griffonne quelques notes, puis s’interrompt. « Ok, on s’arrête là pour la première séquence. Place au débrief ».

Bons réflexes, faux pas, éclairs de lucidité…l’ancien militaire des forces spéciales de l’armée française ana- lyse les comportements du groupe à la lumière de la « médecine tactique », une discipline d’inspiration anglo-saxonne qui recycle le meilleur des techniques de secours militaires dans la vie civile. « La somme de connaissances acquises dans ce domaine par les Anglo- Saxons est considérable mais la France n’en profite pas », explique Thomas Dufes, qui s’emploie à changer les mentalités à travers les formations qu’il dispense sur le sol français depuis 2018.

FORMATIONS RECONNUES À L’INTERNATIONAL

Reconverti « medic » depuis sa sortie de l’armée où il a servi pendant cinq ans, l’ancien sergent du 13e régiment des dragons parachutistes (RDP) a créé en 2018 Remote médicine France, un organisme de formation nomade qui s’adresse à la population des préhospitaliers (pompiers, samu, secouristes, infirmiers…). Avec le concours du docteur Amaury Guéniot, ancien médecin dans l’armée française devenu urgentiste, l’intéressé a développé un arsenal de stages reconnus par les instances internationales. Sont ainsi proposés aux stagiaires d’accéder aux standards de l’International Trauma Life Support (qui consiste à mieux prendre en charge les urgences traumatiques préhospitalières), de l’Advanced Cardiac Life support (qui porte sur la réanimation des patients en détresse cardiovasculaire) ou encore de Tropical, travel and expedition medical skills (qui vise à rendre les soignants plus autonomes dans la prise en charge de patients en milieu difficiles).

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GESTION DES URGENCES TRAUMATIQUES DANS UN CONTEXTE DE GRANDES MENACES

« Ces formations ont une durée de deux à cinq jours. Elles peuvent se décliner partout dans le monde, en fonction des profils des stagiaires », indique le président de Remote medecine France. Depuis septembre 2022, l’organisme de formation a décroché en exclusivité de dispenser le nec plus ultra des formations, à savoir l’International Trauma life support (ITLS) high threat – gestion des urgences traumatiques dans un contexte de grandes menaces – mise au point après la tuerie de Las Vegas en 2017. « Autant nous avons de la concurrence sur les trois premiers créneaux, autant nous sommes les seuls à pouvoir dispenser l’ITLS High threat en France », insiste Thomas Dufes.

Depuis l’automne, deux sessions ont pu être organisées. En décembre avec des sapeurs-pompiers belges, puis en mai avec des soldats du feu du Service départemental d’incendie et de secours du Nord (Sdis 59).

« À l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024, il est demandé aux secours et aux forces de l’ordre de se préparer à la gestion d’attentats ou de tuerie de masse », reprend le président de Remote medicine France. « Le Sdis 59 cherchait une formation adaptée, il nous a trouvés grâce à un échange d’expériences avec l’un de ses homologues belges ».

Les deux stages, d’une durée de trois jours chacun, se sont déroulés à Saint-Astier, dans la grotte artificielle de l’Académie Indra. « Les galeries du centre privé de formation au tir en situation constituent un décor plus vrai que nature pour nos stagiaires. La lumière et l’acoustique y sont très particulières. Pour peu que des sessions de tir se déroulent en même temps dans l’une des alvéoles de la grotte, vous avez aussi le bruit des détonations à gérer, souligne l’ancien militaire. Il n’y a pas meilleur endroit pour créer progressivement les conditions de stress dans lesquelles nous voulons voir évoluer les personnes en formation ».

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DES PLAIES ARTIFICIELLES PLUS VRAIES QUE NATURE

Fausses blessures, plaies hémorragiques, faux sang… Pour coller au plus près des réalités d’un milieu dégradé, Thomas Dufes ne lésine pas non plus sur le matériel mis à la disposition des stagiaires. « Hormis le sang de cinéma qu’il est désormais possible de se procurer auprès d’un grossiste en France, tout le reste vient du Royaume-Uni ou des États-Unis », détaille l’intéressé.

Hormis le sang de cinéma qu’il est désormais possible de se procurer auprès d’un grossiste en France, tout le reste vient du Royaume-Uni ou des États-Unis

L’investissement est lourd, mais c’est le prix à payer pour être crédible auprès d’un public de professionnels exigeants. « Imaginer des scénarios de plus en plus éprouvants pour nos stagiaires est une chose, leur donner l’impression de vivre un épisode pendant lequel seulement 30 % de son cerveau fonctionne, est encore mieux », souligne l’ancien parachutiste, laissant au pas- sage parler sa propre expérience du risque.

Diplômé en sciences paramédicales depuis 2013, Thomas Dufes a travaillé comme « médic », instructeur et coordinateur médical pour l’Onu ou encore pour l’Otan dans des pays aussi différents que le Kosovo, le Kenya, l’Afghanistan ou encore le Maroc et la Tunisie. « J’ai pris le temps de me former et de vivre moi-même des situations proches de celles qu’appréhendent mes stagiaires. Sans ça, mon discours n’aurait pas la même portée », conclut Thomas Dufes, heureux de pouvoir « joindre le geste à la parole ».