Il mesure 42 cm pour 4,5 kg et s’appelle DORN. Ce n’est pas un faire-part de naissance mais la carte de visite de ce petit outil made in Toulouse qui va se poser sur la Lune avec la mission chinoise Chang’e 6 à la mi-2024. Mis en place en à peine trois ans et demi, l’instrument français s’envole en cette fin juillet pour la Chine, où il va subir une phase de tests avant le décollage de la mission l’an prochain.
Première collaboration avec la Chine
Si la mission réussit, DORN deviendra le premier instrument français à se poser sur la Lune. « Aujourd’hui, la France et l’Europe n’ont pas pour projet immédiat d’aller sur la Lune », explique Aurélie Moussi, cheffe de projet au Centre national d’études spatiales (CNES) à Toulouse. « On est donc obligés de se greffer sur d’autres missions. » Le choix s’est porté sur la mission chinoise après la signature d’un accord en 2019 entre l’Agence spatiale chinoise (CNSA) et le CNES. « En France, on est très ouverts, on travaille avec toutes les agences dans le monde qui le souhaitent. Pour les Chinois, c’est plutôt nouveau. Ils ont besoin de s’ouvrir et d’étoffer leur crédibilité sur le plan scientifique. Pour cela, la France est un partenaire excellent car nos laboratoires sont parmi les meilleurs au monde avec les Etats-Unis. »
Pour la première fois dans l’Histoire, une mission lunaire va ramener des échantillons de la face cachée de la Lune
Objectif complémentaire des Chinois
La technologie toulousaine DORN aura un objectif précis sur place, celui de mesurer le radon dans le sol lunaire. Ce n’est pourtant pas le cœur de la mission chinoise. « Notre objectif est complémentaire » précise Pierre-Yves Meslin, chercheur à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) et qui a conçu le DORN en collaboration avec l’ingénieure King Wah Wong.
En effet, la Chine a un tout autre but. « Pour la première fois dans l’Histoire, une mission lunaire va ramener des échantillons de la face cachée de la Lune. » Deux kilogrammes au total, dont l’IRAP et le CNES aimeraient bien récupérer quelques grammes. « Nous pourrons alors comparer les mesures réalisées sur la surface lunaire à celles réalisées sur les échantillons », détaille Pierre-Yves Meslin.
Une mission de 48h
Sur la Lune, DORN devra aller très vite car la mission chinoise ne compte pas s’éterniser sur place. « Une fois posé, Chang’e 6 restera actif pendant 48h à la surface de la Lune » explique Aurélie Moussi. Le temps pour le bras articulé de récupérer les échantillons, et permettre à la capsule de revenir sur Terre ». Les équipes françaises suivront tout cela en direct, sur place. « En cas de problème, on se doit d’être sur le même fuseau horaire. »
Si la mission est courte, ces deux jours sont suffisants pour atteindre l’objectif scientifique de Pierre-Yves Meslin. « Le radon a une durée de vie assez courte à la surface lunaire, cela veut dire que lorsqu’on en mesure, il vient de sortir. » Selon le chercheur, c’est le dégazage de la Lune qui fait ressortir le radon dans l’air. « Avec ces mesures, on va pouvoir étudier l’origine de l’atmosphère de la Lune », s’enthousiasme-t-il.
Des mesures inédites
Le travail de DORN est très attendu par la communauté scientifique. En effet, aucune mission lunaire n’a sondé le radon dans le sol lunaire. « Seules des mesures lointaines ont été faites par les missions Apollo 15 et 16 dans les années 70 », explique Pierre-Yves Meslin. La dernière observation du radon sur la Lune date de 2007 par une sonde japonaise.
Les données seront donc particulièrement scrutées à leur retour. « Les Chinois auront accès à certains résultats, détaille le chercheur. On ne donne pas tout clé en main, c’est le fruit de longues négociations. Mais on travaille avec des gens de bonne volonté. » L’institut de géologie et de géophysique de Pékin est d’ailleurs étroitement associé au projet DORN.
Un coût de 5 millions d’euros
En cas de réussite de la mission, DORN pourrait bien retourner dans l’espace à l’avenir. « Quand un instrument a fait ses preuves, c’est plus facile pour répondre à d’autres appels d’offres » détaille Aurélie Moussi du CNES. D’autant plus que les candidats à la Lune sont de plus en plus nombreux (Inde, Japon, Emirats, Europe …) De quoi rentabiliser le coût de développement de l’instrument estimé à 5 millions d’euros. « Dans le spatial, le coût est d’environ 1 million d’euros par kilo, on y est » calcule Pierre-Yves Meslin
Vu le marché potentiel, il y a fort à parier que les industriels qui ont participé à la création du DORN vont suivre avec attention le lancement de Chang’e 6. Parmi eux, 14 sont originaires de la Haute-Garonne (Steel Electronique, Microtec, Alten, COMAT …), faisant du 31 le département le plus représenté dans la fabrication de DORN.