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Hautes-Pyrénées – Foie gras, la course à la commande

Entre l’approvisionnement en canetons difficile, la sécheresse et l’inflation qui fait flamber le prix des intrants, le contexte est sûrement un des plus durs jamais vécu par les producteurs de foie gras. À quelques semaines des fêtes de fin d’année, ils sont déjà pris d’assaut malgré une augmentation qui va avoisiner les 25 %.

foie gras

© Shutterstock

Y aura-t-il du foie gras pour les fêtes de fin d’année ? Cette interrogation flottait déjà dans tous les esprits mais à quelques semaines de décembre, il faut désormais y ajouter une autre inconnue : à quel prix sera-t-il ? Jamais le contexte n’a été si difficile pour les éleveurs de canards. Si les Landes sont le premier département de production avec 11 millions de canards en élevage et 8 millions en gavage, les Hautes- Pyrénées comptent plus d’une centaine d’exploitations spécialisées dans les canards gras parmi les 180 d’élevages de granivores. Des adresses bien connues, qui se distinguent dans les divers concours d’agriculture et qui accueillent chaque année des centaines de particuliers dans leurs fermes. Cet automne 2022 est pourtant celui où les portes ne s’ouvrent pas facile- ment, le sujet est épineux et peu souhaitent l’aborder.

LES COMMANDES S’ENCHAÎNENT

La période, qui devrait être celle de la pleine saison, est devenue celle de tous les dangers et, pour les clients, c’est une véritable course qui s’enclenche avec un mois d’avance. Aux pieds de la chaîne montagneuse, le télé- phone ne cesse de retentir dans le magasin de la Ferme Semmartin et les commandes remplissent les carnets. Pour Edmond Semmartin, la situation est inédite : « je ne sais pas comment on va finir la saison, ce qu’on a vendu au 1er novembre, c’est d’habitude ce qu’on a écoulé au 15 décembre ». Si c’est désormais son fils Gilles qui a repris la tête de l’entreprise familiale qu’il a fondée en 1981, l’homme n’en demeure pas moins un professionnel aguerri. Dans ce village d’Arcizac-Adour, à l’écart de l’agitation, le premier défi est de taille : se protéger de la redoutable influenza aviaire et ce par tous les moyens : « on refuse toutes les visites professionnelles, que ce soit un technicien qui vient vendre des céréales, un démarcheur de canetons, des commerciaux… Ils vont dans un élevage puis un autre, on ne prend aucun risque même si le primo vecteur, ce sont les oiseaux migrateurs ».

Edmond Semmertin foie gras

Edmond Semmertin © DR

L’INFLUENZA AVIAIRE : LA BÊTE NOIRE

Des précautions drastiques qui se retrouvent partout, dans tous les départements, quelle que soit la taille des entreprises : « nos canetons sortent d’un élevage dans les Landes hyper sécurisé qui produit entre 30 000 et 100 000 canetons par semaine suivant les périodes. Il est dans l’angoisse, le facteur ne vient plus chez lui, ni le boulanger… On va chercher les canetons sur le parking de l’autoroute pour éviter toute propagation entre élevages ». Jamais les canetons n’ont été aussi précieux et aussi rares comme l’explique Marie-Pierre Pé, directrice du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (CIFOG) : « la région des Pays de la Loire, qui fournit plus de 70 % des cane- tons, a été dévastée au printemps avec les troupeaux reproducteurs qui ont été, eux, décimés à 90 %. On est dans une situation qu’on n’a jamais vécue, historiquement grave, de devoir reconstruire les cheptels reproducteurs et donc ça se traduit par une pénurie de canetons qui fait dysfonctionner le redémarrage des élevages ».

DES TRÉSORERIES MISES À MAL PAR LA SÉCHERESSE

Le Sud-Ouest n’échappe pas à la pénurie puisque s’il représente 60 % de la production, il ne fournit que 25 % des canetons du territoire. À cette situation rarissime s’ajoute un contexte économique particulier où la sécheresse mais aussi l’inflation jouent deux rôles majeurs : « Avec un été aussi sec, les récoltes de toutes les ressources végétales vont être au minimum. Il n’y a pas de rentrées de trésoreries liée à la livraison de récoltes ou elles sont très sévèrement amputées par rapport à l’année dernière qui était une année record en termes de rendement et de prix. Cette année entre la baisse de rendement et les prix qui restent élevés, on a des ressources liées aux cultures qui sont sévèrement amputées. Les coûts de productions sont inflationnistes du fait du contexte international de l’Ukraine qui a entraîné une hausse du coût de l’énergie, une hausse des coûts de l’alimentation animale et surenchérit les capacités de production des exploitations ».

foie gras

Les carnets de commande sont déjà pleins ©DR

UNE RÉPERCUSSION SUR LES PRIX INÉVITABLE

À la Ferme Semmartin, le discours n’est qu’un écho de celui de la présidente du CIFOG : « Avec la pénurie, il y a forcément une augmentation des prix, renforcée par celle des céréales. Vu les rendements de maïs qu’on a cette année, c’est une catastrophe donc les tarifs de l’alimentation animale sont passés de plus 50 à plus 100 %, suivant les produits », souligne Gilles Semmartin. Le résultat est sans appel, la répercussion se fera sur les prix : « elle est inévitable, on a mis le foie à 50 €, certains trouveront que ça fait trop mais il ne nous reste plus que la moitié du lot », ajoute Edmond. On a su rapidement que le cours des grossistes en septembre était à 45 € le kilo aux revendeurs, avec la TVA ça faisait du 70 € à la revente. Quand on s’est mis à 50 €, certains ont vite vu que c’était une affaire ».

2022, année terrible : une baisse de production de 30 % et une hausse des prix de ventes de 25 %

Jean-Paul Hérau © DR Foie gras

Jean-Paul Hérau © DR

Avec une baisse de production estimée à 30 % et une augmentation des coûts, le CIFOG prévoit globalement un prix « augmenté de 25 % » selon la directrice : « Ça fait entre 50 et 80 centimes de plus par tranche ». À Bordères-sur-l’Échez, s’il est un peu plus détendu au niveau de l’approvisionnement, Jean-Paul Hérau n’échappe ni aux inquiétudes générales ni aux incidences de l’inflation. Spécialiste des conserveries à l’ancienne depuis 1994, il est l’adresse privilégiée des amateurs de foie gras : « J’ai pu anticiper au niveau de l’approvisionnement, il en manquera certainement un petit peu mais par rapport à mes stocks ça devrait aller. Après, effectivement, il y a toujours la crainte que l’épidémie se développe avant Noël mais pour l’instant c’est à peu près contrôlé. J’achète des canards élevés et gavés et je transforme tous les produits ici, je ne fais pas de frais donc, pour moi, c’est gérable et ma clientèle de particuliers sera servie ».

Ça va être très compliqué pour les achats de dernière minute 

La saison forte démarre, les premiers envois se font et dans la boutique de la ferme, qui abrite également la conserverie et ses trois salariés, les clients sont déjà là : « On essaye de limiter les augmentations. Ce sont des quantités où il n’y a pas trop de marges de manœuvre. Sans compter les prix des matières premières, les augmentations des intrants, des emballages, des cartonnages, de l’énergie… On est obligés de répercuter une partie. Au niveau du produit fini ça va s’élever à 5 %. Le foie gras entier, selon le conditionnement, est à 13,30 € les 100 grammes ». Dans les étals des marchés, les produits frais se vident à grande vitesse, les commandes remplissent les carnets et, comme le souligne Jean-Paul Hérau, c’est inévitable : « La clientèle est assez prévoyante sur ces produits là et il vaut mieux parce que l’achat des dernières minutes, ça va être très compliqué cette année ».