Couverture du journal du 02/10/2024 Le nouveau magazine

Jurançon : une appellation singulière

Le Guide 2025 des Meilleurs Vins de France de La Revue du Vin de France (RVF), paru fin août, met en lumière plusieurs domaines en Jurançon. L’occasion d’échanger avec Pierre Citerne, dégustateur des vins du Sud-Ouest de La RVF, sur sa vision critique de l’appellation et de ses vins.

Jurançon

© OT Coeur de Béarn

La Vie Économique : Quel regard portez-vous sur l’appellation Jurançon ?

Pierre Citerne : « Je suis persuadé que le Jurançon est une appellation qui, avec sa géographie, son terroir, ses cépages, et notamment le petit manseng, peut faire des choses absolument extraordinaires. Malgré tout, il y a un contexte particulier qui est celui de la difficulté de la commercialisation de vins sucrés alors que la notoriété de l’appellation est basée sur des vins moelleux ou liquoreux, avec une concurrence forte notamment des côtes de Gascogne. Je sais que c’est un modèle qui interpelle, mais ce n’est pas la même viticulture du tout. Et selon moi, d’essayer de copier d’une certaine façon les côtes de Gascogne, c’est un leurre. Ce n’est pas une voie tout à fait viable pour un vignoble comme Jurançon. »

LVE : Dans ce contexte, l’essor du Jurançon sec pourrait-il être favorable pour l’appellation ?

P. C. : « Pour cette édition du Guide de la Revue des Vins de France, j’ai dégusté deux tiers de Jurançon sec pour un tiers de Jurançon. Il y a dix ans, sur le même appel à échantillon, c’était exactement le contraire : un tiers de Jurançon sec pour deux tiers de Jurançon. C’est donc que la production s’est en effet adaptée au contexte. On trouve de très belles choses en Jurançon sec mais malgré tout, le potentiel pour faire vraiment de grands vins, c’est Jurançon, c’est l’appellation historique, donc des vins avec du sucre résiduel. Point positif, il y a une nouvelle génération qui arrive, y compris sur des domaines historiques, mais avec des propositions plus contemporaines, plus affinées, des évolutions très intéressantes. C’est une appellation qui vit, qui propose des choses mais qui malheureusement est scindée en deux, morcelée. »

« Le potentiel pour faire de grands vins, c’est Jurançon, c’est l’appellation historique, donc des vins avec du sucre résiduel. »

LVE : Quelle est cette scission que vous évoquez ?

P. C. : « Il y a toujours un blocage qui existe dans l’appellation, notamment en termes de communication, entre la cave coopérative et les producteurs indépendants. Visiblement, c’est quelque chose qui est traumatisant, parce que spontanément les producteurs eux-mêmes (notamment les plus jeunes) en parlent. C’est donc que la situation ne s’est pas améliorée. Elle est, je pense, profondément handicapante pour l’appellation. Je ne connais pas les chiffres des cavistes mais j’entends dire qu’il y a toujours une forte consommation locale mais monopolisée par la cave avec des produits certes tout à fait valables et adéquats mais qui sont très standardisés. Ils répondent à une logique qui n’est pas celle de l’expression maximale du terroir que l’on demande aujourd’hui aux vins pour être considérés comme de très grands vins. »

Jurançon

Pierre CITERNE, dégustateur de La Revue du Vin de France © RVF

LVE : Qu’est-ce qui vous séduit dans les vins de cette appellation, en tant que dégustateur ?

P. C. : « Il y a dans ces vins une expression tout à fait unique, notamment du petit manseng, en termes aromatiques, avec ce mélange d’exotisme et de notes épicées, truffées… C’est très singulier. Et puis également cette faculté à garder une grande vivacité, une grande acidité, même avec des vins très riches, ce qui donne aussi une grande capacité de vieillissement à ces vins-là. »

Jurançon

© OT Coeur de Béarn

Clos Joliette, « l’un des plus grands vins du monde »

L’édition 2025 du Guide Vert de la Revue du Vin de France met à l’honneur le plus vieux vignoble de Jurançon, le mythique Clos Joliette aujourd’hui propriété de Lionel Osmin & Cie, en lui attribuant trois étoiles. « C’est une propriété historique qui a une histoire est très particulière et tourmentée et dont le vin, un pur petit manseng, a fait rêver au-delà de la région », souligne Pierre Citerne. « En tant que dégustateur, amateur de vin, je considère que c’est un des plus grands vins du monde. Si le Clos Joliette ne revendique plus l’appellation Jurançon depuis un certain temps, cette mise en avant dans le guide est celle du terroir et du cépage ». Par ailleurs, sur l’appellation Jurançon, le Clos Thou s’est vu distinguer d’une première étoile et le Domaine Castéra, de Franck Lihour, a reçu le Coup de cœur du jury.