Couverture du journal du 07/05/2024 Le nouveau magazine

Le fabuleux destin de Pierre Sajous

Parti d’une petite charcuterie à Argelès-Gazost, l’entreprise de Pierre Sajous, maintenant installée à Beaucens, fabrique jusqu’à 350 tonnes de produits finis chaque année. Dans sa cave d’affinage, entre 800 et 1 000 jambons de porc noir de Bigorre vieillissent.

Pierre Sajous, artisan charcutier à la tête de son atelier éponyme © Lilian Cazabet - La Vie Economique

Adossé à la boutique de son local de Beaucens, une imposante cave d’affinage. L’artisan charcutier Pierre Sajous insère une sonde dans le gras de certains des 800 à 1 000 jambons alignés. Comme pour du vin, il recherche des arômes herbacés, minéraux, de terre et d’argile. Son séchoir fait ressortir des goûts de fruits rouges dans les jambons de porc noir de Bigorre. C’est à Beaucens que l’artisan charcutier Pierre Sajous, après avoir agrandi à plusieurs reprises sa boutique d’Argelès-Gazost, a décidé d’installer son entreprise en 2014. Ses locaux de 1 200 m² comprennent un laboratoire, une boutique, une cave d’affinage et un espace de bureaux pour ses équipes. Pour concevoir son outil de travail, Pierre Sajous enchaîne les visites entre 2012 et 2013 chez des artisans et des industriels. « J’ai conçu mon laboratoire avec pour objectif de reproduire le système de travail du charcutier dans des conditions qui permettent d’obtenir les agréments sanitaires pour vendre non pas seulement dans le département mais hors département et hors frontières », explique le chef d’entreprise.

Un atelier sur mesure

Derrière les portes du laboratoire, des pièces en enfilade accueillent le quai de réception, la salle de découpe, une salle pour la fabrication des conserves, ou encore, un séchoir traditionnel où pendent des saucissons par centaines. « Nous ne sommes pas spécialisés que dans le porc noir de Bigorre, nous avons du bœuf, du canard et du mouton. Nous réceptionnons les carcasses, du froid, des légumes. Sur place, nous vendons de la viande fraîche, nous fabriquons de la charcuterie. Les conserves de garbure, qui sont une spécialité d’ici, sont montées à la main dans le pot. Je suis un ancien charcutier artisan et nos processus ne sont pas industriels. Nous prenons des cochons et nous les transformons de A à Z », explique le chef d’entreprise en cheminant dans les allées du laboratoire. La boutique de Beaucens écoule les créations de l’artisan charcutier : « Il faut être passionné par ce que l’on fait, faire vivre nos recettes, améliorer au gré des demandes, mais, sans faire n’importe quoi. Nous réalisons des créations spécifiquement pour le magasin que je n’envoie pas dans le réseau professionnel. La semaine dernière c’était une terrine de porc noir au jambon de porc noir ».

« Le meilleur produit du monde ne se vend pas s’il est mal présenté : il faut le bon packaging, le bon commercial »

Tout recommencer à 50 ans

Aujourd’hui, Pierre Sajous emploie 28 personnes à Beaucens dont 15 en fabrication. Il y a 10 ans, il s’était lancé le pari de tout recommencer à zéro en ouvrant son atelier. « J’étais arrivé à mes 50 ans et j’avais besoin d’affirmer et de confirmer ma passion pour ce métier, mais aussi, dans l’idée d’aller au bout des choses. Il a fallu amorcer la clientèle, les processus, constituer une équipe et du stock. Il y a 4 ou 5 ans nous produisions 150 tonnes de produits finis par an, aujourd’hui, nous sommes à 350 tonnes », raconte le sémillant sexagénaire. L’entreprise a enregistré un chiffre d’affaires de 4,5 millions d’euros hors taxes l’an dernier.

« Nous continuerons de réaliser la fabrication ici à Beaucens »

Le pari réussi du porc noir de Bigorre

Pierre Sajous fait partie de ceux qui ont tôt misé sur le porc noir de Bigorre : « S’il n’y avait pas eu le porc noir dans ce projet, je ne l’aurais pas fait. Le pari en valait la chandelle. Le porc noir est la plus belle matière première au monde, et, j’étais le premier à faire un outil de cette taille car il fallait un outil à la hauteur de ce produit. » Depuis la fin des années 80, où le porc était surtout vu comme une viande de consommation et non de connaisseurs, le charcutier a vu le statut du porc noir de Bigorre évoluer. Son atelier fait partie des 3 sites de salaisons homologués pour l’AOP porc noir de Bigorre avec celui de Thierry Pardon et des Salaisons de l’Adour. Dans sa cave d’affinage, les jambons de porc noir de Bigorre vont vieillir a minima pendant 20 mois. « Nous préférons les amener à 24 à 36 mois. Notre cave d’affinage est une pièce naturelle avec des fenêtres, plus le jambon souffre, passé les 8 à 10 mois, avec des contraintes hydrométriques et de la chaleur, plus le gras fond et vient nourrir le maigre avec ses arômes », ajoute Pierre Sajous.

© Lilian Cazabet - La Vie Economique

© Lilian Cazabet – La Vie Economique

Des projets d’extension

L’artisan charcutier fournit des grossistes à Rungis, des épiceries fines, des charcuteries et quelques grandes surfaces. Il compte aussi des clients en Allemagne, au Royaume-Uni, au Danemark et en Espagne. « Nous vendons pour 5 % à l’étranger, 40 % de charcuteries et de jambons blancs et cuits, 40 % de conserves et le jambon de porc noir de Bigorre reste plus confidentiel car les prix peuvent monter et s’adressent donc à certains budgets », explique-t-il dans le détail. Finalement le site de Beaucens est devenu trop petit pour accueillir toutes ces activités : « Nous continuerons de réaliser la fabrication ici mais l’expédition se fera d’ailleurs car nous avons une logistique importante ».

L’artisan charcutier fournit des grossistes à Rungis et a des clients en Allemagne, Espagne…

Le moins d’additifs possible et un produit riche

Pourtant, Pierre Sajous n’entend pas se développer outre mesure. « Je ne souhaite pas industrialiser le site, nous gardons une partie artisanale et manuelle. Nous sommes dans un registre clean label, avec le moins d’additifs possible et un produit riche. Je reste authentique et fidèle à mes recettes de base ». Sa progression mise donc sur un savant mélange d’artisanat, de commercialisation et de communication. Ses équipes travaillent au développement des ventes en ligne. « La qualité seule ne suffit pas, il faut le commercial, le bon packaging : le meilleur produit du monde ne se vend pas s’il est mal présenté », conclut le chef d’entreprise.

© Lilian Cazabet - La Vie Economique

© Lilian Cazabet – La Vie Economique

Au cœur de la filière du porc noir de Bigorre

Pierre Sajous vante les mérites de la race des porcs noirs de Bigorre, autrefois nommés gascons, qui n’a jamais été génétiquement modifiée. « La particularité du porc noir est d’être un brouteur qui pacage et donc contient naturellement des antioxydants. Le gras blanc ne s’oxyde pas et est préparé pour une salaison longue durée », souligne l’artisan. Après un salage doux avec du sel gemme provenant des salines du bassin de l’Adour, les jambons sont affinés à l’air libre, de 20 à 24 mois. « C’est une filière de 60 éleveurs et 4 transformateurs. Nous avons chacun notre rôle avec des ateliers différents mais une même passion pour ce produit. Nous ne chercherons jamais à l’industrialiser, nous avons une capacité de 10 000 à 12 000 porcs par an et nous ne voulons pas passer à 15 000 ou 20 000 », complète Pierre Sajous.

Afterwork à Lourdes

Il y a un peu moins d’un an, Pierre Sajous a ouvert une boutique à Lourdes. Mais plutôt que de miser sur une vitrine, l’entrepreneur a souhaité créer un lieu vivant qui comporte une cave à jambon dans laquelle certains jambons finissent de s’affiner pour des clients connaisseurs. La Maison du Jambon accueille des dégustations et des afterworks chaque jeudi.