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Le préfet en action

Jean Salomon, préfet des Hautes-Pyrénées, analyse la situation économique du département. A la tête du copilotage du Plan Avenir Lourdes, le représentant de l’Etat présente les forces du département, la richesse de son tissu industriel mais aussi les défis à relever, notamment à travers la formation et France 2030.

Jean Salomon, préfet des Hautes-Pyrénées.

Jean Salomon, préfet des Hautes-Pyrénée © Lilian Cazabet

La Vie Economique : Vous avez pris vos fonctions il y a un an dans les Hautes-Pyrénées, quel est le bilan de cette année écoulée ?  

Jean Salomon : « Je mesure au bout d’un an à quel point l’administration territoriale de l’Etat a une vraie fonction de levier. Un préfet est chargé de l’application des lois et des règlements de la République, une fois qu’on a dit ça, c’est bien on a récité le catalogue de la fonction. On a un travail de vulgarisation des mesures du gouvernement, il faut être capable de les rendre intelligibles. C’est valable pour tous les publics mais aussi aux entreprises, on l’a vu avec le bouclier tarifaire et énergétique où il y avait une incompréhension très forte. Quand on crée un dispositif qu’on veut aidant, si les gens n’y adhèrent pas parce qu’ils ne le comprennent pas, c’est double peine : ça n’a pas marché et ça n’a pas aidé. »   

LVE : Vous avez été très actif sur le terrain, notamment à travers de nombreuses visites d’entreprises. C’était important ?  

J.S : « C’est ce qui fait aussi le sel de ce métier, au-delà du quotidien. Ce contact-là permet aux chefs d’entreprises d’exprimer leurs difficultés, nos administrations ne sont pas parfaites, ça permet de voir aussi les blocages, comment on peut améliorer certaines choses. Quand on voit la liste des entreprises présentes sur le territoire, on en découvre des incroyables. Sartorius qui est au top dans le domaine biomédical, une usine SEB, Daher, de l’aéronautique… Certaines ont un potentiel de développement énorme, comme Mécamont Hydro, les experts de transports par câbles ou encore ISP System, lauréat de France 2030. »  

LVE : Avec ce plan d’investissement France 2030, les Hautes-Pyrénées vont bénéficier de plus de 10 millions d’euros. Tous les projets de la première phase France 2030 sont-ils sélectionnés ? 

J.S : « Oui, nous en avons retenus 7. L’idée de France 2030, c’est d’accélérer ce processus, de dire qui a besoin de quoi et à quel endroit pour avancer. Un sujet formation, un sujet relocalisation pour la souveraineté industrielle et un d’aide pour les porteurs de projets. Si on est très bons dans la recherche, on pêche souvent un peu sur l’industrialisation des projets, il faut accompagner toutes ces étapes du passage du développement à l’industrie, de la petite à la grosse. On n’a aucune raison de rougir face à nos voisins allemands qui eux un processus industriel très développé. Dans France 2030 il y a un volet financement mais aussi un volet de réseau et de réunions, il faut se mettre autour de la table. » 

L’enjeu de la formation est crucial 

LVE : Parmi les lauréats, on retrouve l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tarbes et son projet axé sur les besoins en formations. C’est un domaine au cœur des préoccupations ? 

J.S : « Quand je suis arrivé ici, j’ai été frappé par la dimension concrète de l’ENIT au sein des entreprises. Au fur et à mesure que je les visitais, toutes me disaient que leur ingénieur y avait suivi son cursus. On voit que l’enjeu de la formation est crucial. S’il faut des ingénieurs, pour mettre en œuvre leurs idées, il faut aussi des exécutants. J’ai toujours trouvé qu’il y avait un décalage fort entre le monde de l’entreprise et celui de l’Education Nationale. Quand un enfant qui ne sait pas ce qu’il veut faire, il y a un risque que son orientation se fasse par défaut et ça peut être assez déceptif. Pour les entreprises c’est compliqué ensuite pour recruter. Quand je suis arrivé dans le département, je me suis dit qu’à cette échelle, il y avait quelque chose à faire. J’ai reçu les chefs d’entreprises, la CCI, le MEDEF, la CPME, ils m’ont exposé leurs problèmes et j’ai commencé à tourner dans l’Education Nationale avec l’inspectrice d’académie en disant qu’on pourrait peut-être travailler là-dessus, d’abord sur les lycées professionnels. On a passé le message, de manière assez ouverte, et finalement il y a eu à la fin de l’année un bel alignement des planètes avec des annonces gouvernementales comme la création des bureaux d’entreprises. » 

LVE : Quel est le rôle des bureaux d’entreprises ? 

J.S : « Ils permettent aux entreprises qui recrutent d’avoir un point de contact avec l’Education Nationale et pour le jeune d’accroître son nombre d’expériences dans le monde de l’entreprise, le plus tôt possible, dès la 5eme et d’y avoir ses stages. Les enseignants peuvent également prendre contact avec telle ou telle société pour conclure une séquence d’enseignement. En français, on peut par exemple étudier Zola et au lieu de voir un film comme Germinal, les élèves peuvent visiter une entreprise industrielle. L’idée n’est pas uniquement de dire que l’entreprise recrute mais de montrer à un enfant les types de métiers qui existent. Dans cet esprit, j’avais demandé à la French Tech Pyrénées Adour de participer à l’atelier « Comment on adapte nos recrutements aux attentes des jeunes ». Ça m’intéressait d’y aller pour écouter les idées des entrepreneurs et voir comment on peut nous aussi adapter ou revoir nos méthodes. » 

On ne mesure pas le tissu industriel des Hautes-Pyrénées et les pépites qu’il y a ici 

LVE : Justement, le recrutement est un problème central. Quelle est votre analyse ? 

J.S : « C’est une vraie difficulté qui remonte régulièrement. C’est très frustrant au quotidien parce qu’on a un département passionnant, un beau tissu industriel avec des choses variées, des outils de formations divers quelle que soit la structure qui les porte… Aujourd’hui dans les Hautes-Pyrénées, on est capable de prendre un demandeur d’emploi, de le préparer à l’emploi et de le faire aller vers celui qui correspond à l’entreprise. Ça c’est la théorie… et on se rend compte qu’on a des difficultés sur le flux parce qu’il faut aller les chercher. Il faut absolument qu’on travaille ça mais on a un tissu vraiment actif, on n’a pas toujours cette offre là sur un territoire. On ne mesure pas le tissu industriel des Hautes-Pyrénées et les pépites qu’il y a ici. » 

LVE : Qu’est-ce qui manque à votre avis à ces entreprises là pour rayonner davantage ? 

J.S : « Un coup de projecteur. C’est ce qu’on essaye de faire à chaque déplacement ministériel, quel que soit le thème ou l’orientation qui lui est donné. On fait des propositions de visite et ça, ça fait de la mise en lumière. Je fais de la mise en relations, quand je vais à l’assemblée générale de la CPME 65, il y a toutes les entreprises. On discute, on relève les problèmes, on met en lien. Quand je vois une entreprise comme Nervures ( NDLR : une entreprise à Soulom qui développe des ailes de parapentes plus légères ), j’en discute avec des contacts que j’ai au ministère des Armées, ça leur parle et se fichent de savoir où c’est. C’est une société où il y a de la technique, du vrai savoir-faire, il faut qu’on la valorise… c’est aussi notre travail. »  

Jean Salomon, préfet des Hautes-Pyrénée © Lilian Cazabet

Jean Salomon, préfet des Hautes-Pyrénée © Lilian Cazabet

LVE : Vous notez des difficultés liées aux remboursements des Prêts Garantis par l’Etat dans le département ? 

J.S : « Les PGE, certains les ont pris et les ont remboursés immédiatement parce que les commandes sont arrivées, d’autres pour qui ça a servi de bol d’air au bon moment, ça a permis à l’entreprise de décoller et de sortir d’une passe difficile… Eux ont fait suffisamment de chiffre et sont capables de rembourser. D’autres étaient limite, ça les a un peu aidés mais pas assez, aujourd’hui ils viennent nous voir en disant que ça va être compliqué, comment on peut faire. C’est dur pour l’amour propre d’un chef d’entreprise mais il ne faut pas qu’il vienne nous voir quand il a la tête sous l’eau ou en redressement. S’il vient en disant « je vais avoir une passe difficile, j’ai une baisse de mon carnet de commandes, sur quoi vous pouvez m’aider » là on est capable d’étaler, de faire un moratoire, au cas par cas avec l’URSSAFF, la DDFIP… » 

S’il y a une augmentation sensible des défaillances d’entreprises dans le département, on voit que le chiffre d’affaires, lui, augmente. Tout n’est pas noir… 

LVE : Sur ces défaillances d’entreprises, le président du tribunal de commerce a dernièrement relevé une augmentation significative. Pensez-vous que c’est un rattrapage de ce qu’il n’y a pas eu pendant ces années Covid-PGE ? 

J.S : « Je pense qu’il y a plusieurs phénomènes, d’abord celui-là effectivement mais aussi la multiplication de petites créations d’entreprises qui ferment, des start-ups qui ne décollent pas, des salariés qui se sont mis en autoentrepreneurs et découvrent que ce n’est pas si simple… Tout ça, ce sont des défaillances d’entreprises. Paradoxalement s’il y a une augmentation sensible de ce phénomène dans le département, on voit que le chiffre d’affaires, lui, augmente. Bien sûr il y a un effet inflation mais, suivant les secteurs d’activités, on s’en rend vraiment compte, notamment avec ce qu’on perçoit de la TVA. Tout n’est pas noir. » 

LVE : Vous co-pilotez le Plan Avenir Lourdes, où en est-il dans son avancée ? 

J.S : « On avance, on met beaucoup d’énergie dans ce plan qui est important pour la ville mais aussi une vraie plus-value pour l’ensemble des vallées. Il n’y a aucune ville en France de la taille de Lourdes où l’Etat et les collectivités mettent 100 millions d’euros sur la table. C’est un super défi qui nécessite qu’on soit dessus tous les jours, on a un devoir de tout engager pour un vrai changement. Il y a un produit à Lourdes pour lequel personne n’est responsable, c’est le Sanctuaire. Il n’a pas besoin de nous, il génère à lui seul son flux mais il y un vrai travail sur la ville à côté pour qu’elle se mette à niveau sur des questions comme la mobilité, l’emploi, l’hébergement.  

« Sur le plan Avenir Lourdes, on s’est donné comme objectif de poser une première pierre en 2024 » 

Il y a des projets qui prospèrent comme ceux qui concernent les saisonniers, certains qui relèvent d’infrastructures lourdes comme le pont ou le centre des congrès, on s’est donné comme objectif de poser une première pierre en 2024. On y arrive, je suis vraiment confiant et il y a des fortes attentes de nos entreprises. Il faut se dire qu’il y a un projet d’hôpital commun Tarbes-Lourdes à Lanne d’un peu moins de 200 millions d’euros, un à 100 millions avec le PAL, tout ça c’est potentiellement du travail pour elles. Au-delà de l’engagement politique qui a été pris ce sont aussi des créations d’emploi, notamment dans le BTP. » 

LVE : Comment s’annonce l’année à venir et quels en seront les principaux projets ? 

J.S : « Mon but c’est de poursuivre l’action, les sujets viennent, il y a ceux qui sont lancés, il faut les continuer. Le métier de préfet est un métier d’humilité, on sème ce qu’on ne récoltera pas et on récolte ce qu’on n’a pas semé. C’est important pour l’avenir des territoires de mettre les choses correctement sur les rails. Le PAL, l’hôpital commun, la santé de manière globale, un gros travail sur le handicap car on est loin des exigences de la loi 2005, sur tout ça il faut avancer. On va travailler aussi sur le tourisme 4 saisons, essayer de mutualiser les sujets sur le thermalisme, travailler en multicanal sur les saisonniers… On a des sujets mobilité, comment on permet aux gens d’être en cohérence avec ce qu’on veut faire sur la transition énergétique. La loi des énergies renouvelables nous mobilise beaucoup. Je sais que je ne vais pas m’ennuyer ! »