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L’Or des Anges : le mariage des truffes et du safran

Alexandra Simonoff-Arpels cultive du safran et des truffes à Verteillac, dans le nord-ouest de la Dordogne. Ses produits, commercialisés sous la marque de son entreprise, L’Or des anges, sont prisés des chefs de la gastronomie française.

Alexandra Simonoff-Arpels, fondatrice de L’Or des anges safran

Alexandra Simonoff-Arpels, fondatrice de L’Or des anges © Louis Piquemil - La Vie Economique

Alexandra Simonoff-Arpels, la patronne de L’Or des Anges, croise les doigts. Si les températures se gardent d’être trop chaudes cet été, la récolte du safran sera généreuse à l’automne. « Il peut encore se passer beaucoup de choses d’ici là ; en agriculture, on n’est jamais sûr de rien », tempère la safranière de Verteillac qui parle en connaissance de cause. L’an dernier, la canicule a eu la peau des fleurs qui cachent sous leurs pétales mauves le précieux or rouge. « Cette année, on peut espérer voir le champ jonché de cailloux de calcaire blanc se couvrir de 80 000 fleurs mauves », pronostique l’agricultrice de 48 ans, convaincue que « le Périgord reste une terre idéale pour la culture du safran ».

« La fleur a besoin de saisons marquées pour se développer comme c’est le cas en Dordogne », argumente-t-elle. « Pour peu que votre terrain soit bien drainé, elle a toutes les raisons de s’y plaire. »

ELLE A DÛ TOUT APPRENDRE DU SAFRAN

Traductrice en allemand et en russe installée à Paris, Alexandra Simonoff-Arpels a découvert le safran et tous ses mystères en héritant de la maison de sa grand-mère maternelle dans le hameau du Repaire, à Verteillac. « Lors d’un séjour au Repaire, je me suis rendue sur l’exploitation d’un safranier installé à Champs- Romains qui organisait à ce moment-là des journées portes ouvertes », raconte la chef d’entreprise. « J’ai beaucoup apprécié la visite et décidé, de retour à la maison, de me renseigner sur la possibilité de lancer notre propre production de safran sur le terrain attenant à la propriété. »

LABORATOIRE

Une première rangée de bulbes, bientôt suivie d’une deuxième. Ce qui s’annonçait au départ comme une lubbie est devenu une véritable activité professionnelle. « Mon mari et moi-même avons créé une SARL en 2011 et j’ai obtenu peu de temps après le statut d’exploitante agricole

Trois ans plus tard, nous avons créé le laboratoire dans lequel je transforme aujourd’hui mes produits », retrace l’intéressée.

Autodidacte, Alexandra Simonoff-Arpels s’est laissée dompter par les exigences du safran. « Je retrouve avec le Crocus sativus le même mystère que je perçois dans la truffe », explique la cultivatrice.

« Les bulbes n’en font qu’ à leur tête, il y a des paramètres qu’on ne maîtrise pas dans la culture de la fleur et c’est ce qui la rend si précieuse. »

La fleur du safran a besoin de saisons marquées pour se développer comme c’est le cas en Dordogne

TOUT EST FAIT À LA MAIN

Pour le safranier, toute la difficulté est de parvenir à maîtriser les gestes qui concourent à libérer le parfum du safran. Tous les gestes, à commencer par celui, très labo- rieux, de l’émondage, qui consiste à séparer le pistil des pétales. « Tout est fait à la main. C’est important de manipuler avec la plus grande attention ces filaments végétaux à peine plus longs qu’un centimètre », rappelle la cultivatrice dont le travail rappelle celui des dentelières de Calais. « Je peux passer jusqu’à trois semaines assise devant la table en bois massif de la salle à manger pour émonder les fleurs qui s’y entassent », confie-t-elle.

Une autre étape, moins laborieuse, mais tout aussi cruciale, consiste à faire sécher les pistils au four, ni trop peu, ni trop longtemps et à bonne température. Meilleur est le séchage, et plus subtil sera le parfum exhalé par l’épice une fois

placé en fermentation dans des bocaux gardés à l’abri de la lumière pendant deux mois. « Contraire- ment aux idées reçues, le safran n’a pas d’odeur ni de saveur », reprend la safranière. « C’est bien la mise en pot des pistils qui va conditionner à son tour la qualité finale des petits filaments. »

QUANTITÉS PRODUITES INFIMES

Libre à chacun d’en faire ensuite ce qu’il veut. Le vendre en échantillon est l’option la plus lucrative, sachant qu’un gramme rapporte entre 30 à 40 euros. Mais les quantités produites sont infimes : bien souvent, une récolte tient dans un buffet de cuisine. N’ignorant rien de cette délicate équation, Alexandra Simonoff-Arpels, a choisi de les commercialiser sous plusieurs formes : en échantillon, en gelée, en biscuits ou encore en confitures « faites d’après la recette de Nostradamus ». « Il faut se diversifier, proposer des produits originaux et savoureux », confie l’exploitante agricole qui a su flatter jusqu’aux palais des Japonais avec ses divines confitures.

« J’ai eu la chance de faire partie d’une délégation de chefs d’entreprises envoyée au Japon sous le patronage de la présidence de la République », explique la Verteillacoise. « Avant que ne survienne la pandémie que le monde a traversé, mes confitures étaient commercialisées dans les boutiques du meilleur pâtissier nippon qui les utilisait lui-même pour concevoir ses différents mets. »

Je retrouve avec le crocus sativus le même mystère que je perçois dans la truffe

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© D. R.

LES TRUFFES DU PÉRIGORD COMME COMPLÉMENT D’ACTIVITÉ

Même si les motifs de satisfaction ne manquent pas, vivre du seul métier de safranier reste difficile.

« Il vaut mieux pouvoir compter sur une ou plusieurs autres productions complémentaires pour gagner sa vie », glisse l’agricultrice qui a investi dans la récolte d’un autre trésor du Périgord : la truffe. Pour limiter les risques en cas de mauvaise(s) récolte(s), Alexandra Simonoff-Arpels a fait le choix de planter des chênes truffiers sur quatre hectares de terrain. Un pari osé qui s’est révélé assez rapidement payant : cinq ans après la mise en terre des plants, Alexandra Simonoff-Arpels dénichait ses premières Tuber melanosporum sous quelques centimètres de terre.

Aujourd’hui, l’agricultrice verteillacoise vend ses diamants noirs directement aux dignes représentants de la haute gastronomie française ou à des clients fortunés membres du très fermé Bristol Wine and Business Club. « J’ai privilégié les truffes de belle taille et d’excellente qualité », confie-t-elle. « Je m’adresse aux négociants pour commercialiser les petits spécimens. »

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© D. R.

DEUX NOMS CÉLÈBRES POUR UN DESTIN D’EXCEPTION

Alexandra Simonoff-Arpels : ces deux noms évoquent une histoire emblématique. Elle a hérité le premier de son grand-père paternel, un Russe blanc chassé de l’empire du tsar Nicolas II par les Bolchéviques après la révolution de 1917. Réfugié à Paris avec sa famille, il y a travaillé comme chauffeur de taxi, élevant son fils dans le respect de l’école et de sa promesse méritocratique. Brillant élève, le père d’Alexandra a déroché haut la main une thèse en physique nucléaire qui l’a conduit à Berkley (États-Unis), puis l’a propulsé au rang de professeur des universités à la faculté de Bordeaux. Il y a dirigé, entre autres, la thèse des frères Bogdanoff, qui se distingueront plus tard à la télévision en animant des émissions scientifiques de vulgarisation. C’est d’ailleurs à l’occasion de la soutenance d’Igor et de Grishka qu’Alexandra Simonoff, fraîchement diplômée de deux licences en allemand et en russe, a fait la connaissance de son mari, dernier descendant de la famille de bijoutiers Van Cleef and Arpels. C’est à ses côtés qu’elle a créé L’Or des Anges.