Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Lumière sur la manufacture Georges

Près de Navarrenx, le château de Méritein abrite une manufacture où sont fabriqués à la main les objets imaginés par Mylène Niedzialkowski, créatrice de la marque Georges. Avec sa nouvelle collection Saïto, présentée il y a quelques semaines lors de la Design Week de Milan, la designeuse internationalement reconnue dit entamer « un nouveau cycle ».

Mylène Niedzialkowski manufacture Georges

Mylène Niedzialkowski, dans les ateliers de la manufacture Georges, à Méritein. © Louis Piquemil - La Vie Economique

La Pale, le luminaire iconique de la marque française Georges, s’est hissée au rang des « incontournables » pour les amatrices et amateurs de décoration d’intérieur. Si on la retrouve chez des revendeurs du monde entier, qu’ils soient Australiens, Américains ou encore Allemands et bien entendu Français, c’est dans la campagne béarnaise que l’histoire de l’inévitable suspension a débuté et perdure. Celle de la Pale, mais aussi de la Pensée ou de la Palm, entre autres, du nom des lampes créées aux côtés de divers objets pour la maison par Mylène Niedzialkowski et fabriquées au sein de la manufacture Georges, au Château de Méritein. Là, derrière les murs jaunes de cette vieille bâtisse du XIXème siècle au charme suranné, plus de 20 personnes travaillent chaque jour avec minutie et savoir-faire pour donner vie aux aspirations de cette créatrice inspirée et inspirante.

Petite-fille d’artisans

Malgré le succès, rapide et incontesté, Mylène Niedzialkowski n’est pas de celle qui souhaite être mise en lumière, quand bien même son objet phare soit une lampe. Discrète, elle se dit portée par l’envie de créer avant toute autre chose, et c’est d’ailleurs ainsi que Georges est né. En 2010, alors qu’elle vient de devenir mère pour la première fois, la jeune femme décide de quitter son travail dans le social auprès de jeunes enfants pour se tourner vers l’artisanat. Petite-fille d’artisans, on le lui avait pourtant déconseillé. Qu’importe, à tout juste 30 ans, l’envie « de redonner la parole à ses mains » refait surface. « J’ai suivi des cours à l’école des beaux-arts de Pau sur tout ce qui était techniques d’impression, gravure, linogravure, lithographie… », resitue-t-elle. « Je les ai tout de suite appliqués au tissu, qui est ma matière de prédilection. »

Des créations d’abord pour les enfants

Mylène Niedzialkowski crée alors quelques objets pour enfants, dont une boîte à musique, un serre-livres et un futon en lin lavé, les met en ligne sur un blog « hyper artisanal ». Paola Noe, une curatrice italienne, remarque l’or au bout des doigts de la jeune femme et lui propose de la représenter sur son showroom, à la Design Week de Milan, en 2012. Leur collaboration durera jusqu’en 2016, jusqu’à ce que la créatrice souhaite changer de cap, seule à bord et sans agent. « J’ai souhaité ne plus me limiter à l’enfant », explique-t-elle. « J’ai voulu trouver une cohérence, me structurer et définir une image de marque et une véritable identité. »

manufacture georges

© Georges / An Lalemant

Dame Jeanne puis la Pale

L’univers « brut et artisanal » de Georges se précise alors, résumé comme « un espace de liberté et d’expérimentation, de délicatesse et de contrastes, de formes organiques, de couleurs d’une garrigue écrasée de soleil, mais aussi inspiré par l’architecture brutaliste et l’énergie de la ville ». Mylène Niedzialkowski souscrit un micro- crédit auprès de l’ADIE et expose au salon Maison et Objet, à Paris, en septembre 2016. Elle y fait voir ses quelques créations, dont sa Dame Jeanne fait de fils souples tressés en lieu et place du verre, qui séduit. Pendant cinq mois, la jeune femme en conçoit une dizaine par jour, seule depuis Sauveterre-de-Béarn où elle se trouve alors. Puis, en janvier 2017, arrive la consécration, presque sans prévenir : « j’ai lancé la Pale et l’engouement a été incroyable et très soudain ». Exposée pour la première fois sur le définitivement incontournable Salon Maison et Objet, la suspension florale et aérienne à 8 pétales, faite de laiton, de rotin et de tissu, fait sensation : près de 300 pièces sont commandées rien que sur l’événement.

Jusqu’à 40 salariés

C’est le véritable tournant pour Georges : Mylène Niedzialkowski embauche une première personne, Dalila, aujourd’hui toujours à ses côtés. Début 2018, elles sont neuf à lui prêter main forte et à produire une cinquantaine de pièces chaque semaine, à envoyer aux quatre coins du monde. L’entreprise emménage dans l’ancien tabac presse de Sauveterre-de-Béarn, puis surgit le Covid, qui va venir lui aussi rebattre les cartes mais seulement pour le meilleur. « Ça a été la panacée pour nous », avoue la designeuse. « Les gens ont pris le temps de se pencher sur leur intérieur et nous avons énormément travaillé. » Georges continue d’embaucher jusqu’à atteindre les 40 salariés au plus fort de l’activité. En juillet 2020, la marque s’installe au château de Méritein, qui cadre avec l’idée que se fait Mylène Niedzialkowski d’une manufacture « comme à la maison », loin du hangar aux murs blancs et sans âme.

Le Covid a été la panacée pour nous : les gens ont pris le temps de se pencher sur leur intérieur et nous avons énormément travaillé.

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© Georges / An Lalemant

700 objets fabriqués par mois

Aujourd’hui, maintenant que l’entreprise a trouvé un rythme de croisière post-covid, ils sont environ 25 à travailler à Méritein, où tout est centralisé depuis la fabrication jusqu’aux envois en passant par l’administration. Six autres personnes sont également salariées, qu’elles soient community manager, commerciale ou qu’elles tiennent boutique à Bayonne ou au showroom parisien. Si la Pale est toujours le produit phare de la marque, Georges propose une gamme très vaste d’objets, parmi lesquels la dernière suspension nommée Pensée ou encore de la vaisselle en grès, en passant par des bougies ou encore des claustras. Actuellement, entre 600 et 700 objets sortent chaque mois de la manufacture, à destination de la France pour moitié, et de l’étranger pour l’autre moitié.

Actuellement, 25 personnes travaillent à Méritein, où tout est centralisé depuis la fabrication jusqu’aux envois.

Saïto, des objets d’art

Malgré cette diversification, nécessaire, Mylène Niedzialkowski ne s’arrête pas là. Toujours motivée par le processus de création, elle vient de dévoiler une nouvelle collection lors de la Design Week de Milan, en avril dernier : « Je me suis inspirée du peintre et graveur japonais Kiyoshi Saïto, qui faisait de la linogravure avec beaucoup d’aplats. J’aime ses couleurs assez franches, mais également ses noirs et ses gris japonais et j’ai voulu faire quelque chose autour de celles-ci, qui sont si différentes des nôtres ». Avec cette dizaine de pièces, dont une table basse en grès et acier ou encore des modules de séparateurs de pièces en résine et métal, Mylène Niedzialkowski prend une nouvelle direction en rupture avec l’univers habituel de Georges.

Un nouveau cycle

« Nous voulions montrer que Georges, c’est aussi ça », sourit la créatrice, qui, avec Saïto, nourrit l’ambition de toucher une autre clientèle : « Nous avons désormais deux propositions. D’un côté ce que j’appelle les objets de prêt à poser et de l’autre des objets de gale- rie, des objets d’art ». Ainsi, quand une lampe de la marque coûte en moyenne entre 300 et 400 euros, le bas-relief de la collection Saïto s’affiche à 20 000 € : un parti pris choisi, que la créatrice définit comme « un nouveau cycle ». Une manière pour Mylène Niedzialkowski d’aller là où on ne l’attendait pas, portée par ce même instinct qui, il y a une poignée d’années, a propulsé une petite marque béarnaise dans la cour des très grands.

Un sourçage local

En 2010, alors qu’elle créée ses tout premiers objets, Mylène Niedzialkowski se source localement, jusqu’à se fournir à l’Emmaüs de Lescar pour ses futons. Aujourd’hui encore, sa ligne de conduite n’a pas vraiment changé. Georges favorise les circuits courts, lorsque cela est possible, et valorise le produit brut. Ainsi, entre autres, le laiton est français, le rotin sans artifice, les propositions olfactives créées à base d’huiles essentielles biologiques certifiées Ecocert et les teintes issues de pigments naturels.

manufacture Georges

© Georges / An Lalemant

Cet été, la manufacture ouvre ses portes

Lorsque Mylène Niedzialkowski achète le château de Méritein en juillet 2020, elle a déjà pour idée d’ouvrir ses portes au public. En septembre dernier, la manufacture a participé aux Journées du Patrimoine, avec succès. Confortée, la créatrice a décidé de pérenniser ce concept à partir de cet été : les 1er et 19 juillet, les 9 et 23 août, puis tous les premiers mercredis du mois à partir de septembre, la manufacture Georges accueillera les visiteurs durant toute la journée. Au programme (et sans réservation) : visite des ateliers et découverte de la marque.