L’assistance réunie pour la première soirée d’une série proposée par la Maison de l’emploi, dans l’amphithéâtre des écoles de la CCI, a apprécié la forme du show autant que le fond. Sur une fresque générale, Sandra Dartevel, ex-cadre dans un groupe du BTP reconvertie dans le management des conflits, neurosciences et communication en entreprise, aide à percevoir les nouvelles opportunités en matière d’emploi avec plus de nuances que la Grande Démission anglo-saxonne. « Je parlerais plutôt de grande réflexion, plus liée à notre culture : on ne claque pas tout du jour au lendemain. On observe ce qui se passe ailleurs, puis c’est la grande discussion avant de décider de partir… ou pas. » Entre le cœur et la raison, la balance s’équilibre. « En France, on ne lâche pas une liane sans en avoir saisi une autre… »
ÉQUILIBRE ENTRE VIE PRO ET PERSO
Alors que nous ne sommes pas encore sortis de la crise Covid, « où l’on a souffert du manque de liens sociaux, on est maintenant en manque d’espace personnel ». La première demande formulée à un recruteur, c’est l’aménagement d’heures en télétravail. 68 % des salariés ont repensé leurs attentes professionnelles : 28 % aspirent à plus de flexibilité, 12 % espèrent une promotion, 11 % une meilleure rémunération… 10 % ont pensé à un changement de carrière et 8 % à un travail plus stimulant. Sur cette base, en interne, un salarié sur deux a connu une évolution professionnelle au cours des trois dernières années.
La première demande formulée à un recruteur, c’est l’aménagement d’heures en télétravail
LE QUIET QUITTING, UN MAL SILENCIEUX
À la question « Avez-vous envisagé de changer d’employeur ? », 43 % d’employés répondent oui : 22 % ne sont pas allés plus loin (un profil à suivre de près), 12 % sont passés en mode recherche et 10 % concrétisent. Un niveau d’alerte suffisant pour anticiper et déceler les signaux faibles. « Essayons de penser aux 22 % qui pensent à partir et d’éviter la deuxième lame, qui fait moins de bruit, celle du quiet quitting : on attend de trouver mieux en se limitant à sa fiche de poste. » Le bon usage de la pyramide de Maslow (besoins et motivation en entreprise) permet d’agir au niveau attendu : inutile de proposer une augmentation à celui qui cherche plus de flexibilité. « Le temps passé en écoute permet d’économiser la gestion d’un départ. »
INVENTER DE NOUVEAUX MODÈLES
Sandra Dartevel souligne l’urgence d’inventer de nouveaux modèles hybrides, avec plus d’aspects collaboratifs, pour rem- placer les schémas linéaires qui ne collent plus à la réalité. « Le recruteur doit aussi repenser ses attentes, la barre est souvent haut placée. » Il va devoir s’adapter pour assurer le maintien en emploi et accueillir « les générations Z qui veulent vivre une expérience collaborateur… à voir avec eux ce que ça veut dire ! », sourit-elle. Éthique, stratégie : ils veulent en discuter avec le dirigeant. « En s’interrogeant sur la rai- son d’être de son entreprise et ses valeurs, on peut fédérer ses équipes et, en ce sens, la crise sanitaire a été salutaire. »
DES TÉMOIGNAGES INQUIETS
Michel Parinet, du bureau du Medef Périgord, témoigne de la recherche de personnel de neuf entreprises sur dix en Dordogne, « avec 15 à 30 % de taux de rotation ces dernières années, le côté positif étant dans un sang nouveau même s’il faut le former et le gérer ». Monique Parinet, investie dans un groupe d’entreprises, témoigne d’une grande démission… « chez les patrons, parce qu’ils ont beaucoup donné et veulent vivre autrement ». Pour elle, le sens ne se donne pas : « chacun doit le chercher pour le trouver, je peux seulement fixer des objectifs ».
Michel Rongiéras, passionné par son entreprise, a du mal à mobiliser : « On a connu une époque où les salariés voulaient une meilleure rémunération, puis une meilleure qualité de vie au travail, là les attentes sont si variées qu’on ne sait plus y répondre : une entreprise a besoin de trouver le plus petit dénominateur commun ». Et il ajoute aspirer lui aussi à une certaine qualité de vie.
EFFETS DE CYCLES
Laurent Eecke, directeur du Service de Santé au Travail (Dordogne-Corrèze), ramène ce phénomène de société à l’échelle des 75 ans « de la grande famille de la protection sociale ; pour reprendre l’image des lianes, si on retire celle de Pôle emploi, il y a moins de départ ». Il rappelle la loyauté inhérente au contrat de travail, avec une honnêteté réciproque : « la démission silencieuse n’est pas un effet normal dans une relation contractuelle ». Et, sans langue de bois, il envisage volontiers des ruptures conventionnelles avec trois mois de chômage pour tout le monde et tous les motifs, « ça permettrait de fluidifier le marché de l’emploi et éviterait des inaptitudes ».
UN RECORD HISTORIQUE À RELATIVISER
Au 1er trimestre 2022, on a enregistré 523 000 démissions, dont 469 000 de CDI (chiffres Dares). Ce record historique, le précédent datant de 2008, est lié à la situation de reprise et d’opportunités plus nombreuses, en témoigne le fort taux de retour en emploi des démissionnaires. À noter que trois quarts des ruptures conventionnelles, possibles depuis 2008, se sont substituées à des démissions.