Couverture du journal du 17/09/2024 Le nouveau magazine

Maison Casteigt : passion saumon

À Pau, Maison Casteigt, qui fournit en saumon fumé haut de gamme près de 200 clients du Sud-Ouest, clôt un bel exercice après deux années impactées par la conjoncture. Jean-Marc Casteigt, son dirigeant, se concentre aussi désormais sur le développement d'un nouveau produit insolite et prometteur : le cuir de saumon.

Jean-Marc CASTEIGT, PDG de Maison Casteigt

Jean-Marc CASTEIGT, PDG de Maison Casteigt © Louis Piquemil - La Vie Economique

La rue Montpensier n’est pas des plus commerçantes et pourtant, au 46 de cette artère du centre-ville palois, officie avec humilité un maître artisan béarnais des plus réputés, à la clientèle particulièrement fidèle. Derrière la façade discrète, Jean-Marc Casteigt produit du saumon fumé depuis plus de 30 ans, rejoint il y a quelques années par sa fille Marie-Sophie, son fils Pierre et son gendre Nicolas. En cette matinée de printemps, il s’excuse de nous recevoir seulement maintenant : « Je ne pouvais pas me rendre disponible durant les fêtes. De la mi-novembre au 31 décembre, je dors, je mange, je parle saumon ». Pour cause, durant cette période Maison Casteigt produit 12 tonnes de saumon fumé (soit jusqu’à 60 poissons travaillés par jour, contre 60 par semaine le reste de l’année) et réalise 80 % de son chiffre d’affaires. « Si on se loupe à Noël, on sait que l’année va être très compliquée », résume le saurisseur. À l’heure de clore son dernier exercice, « au 1er juillet parce qu’avant on doit récupérer avant de se lancer dans l’inventaire », le bilan est positif et efface en partie les deux années passées, économiquement complexes.

Une croissance entre 2 et 3 %

« Nous avons toujours connu une petite croissance, entre 2 et 3 %, qui nous convient », remarque Jean-Marc Casteigt, qui précise que le Covid a été loin de freiner l’activité et que, parallèlement, les cours du saumon se sont effondrés. « En revanche, nous avons pris une grosse claque en 2022. C’est la première année de ma carrière où nous n’avons pas perdu d’argent, mais où nous n’en avons pas gagné non plus. » Non seulement, le coût du carton a augmenté de 30 %, mais surtout, le saumon a connu des hausses de prix historiques, « jusqu’à +70 % » , conséquences notamment d’un fort déséquilibre mondial entre offre et demande et d’une diminution de la biomasse causée par les aléas climatiques. Une situation jamais vue par le saurisseur, « quasi ingérable », à laquelle se sont ajoutées des difficultés d’approvisionnement. À l’heure actuelle, le marché semble s’être stabilisé et les comptes de Maison Casteigt sont revenus à l’équilibre. Fort heureusement, aux yeux de son dirigeant : « Une entreprise qui ne gagne pas d’argent n’investit plus. Et nous, on investit tout le temps ».

De charcutier-traiteur à saurisseur

« J’ai des crédits sur le dos depuis mes 18 ans », sourit le Béarnais qui, s’il dispose aujourd’hui d’un outil de travail confortable, a construit seul son fumoir à ses débuts, brique par brique. Fils d’un couple charcutier-traiteur, installé ici même en 1962, il rejoint ses parents au sein de la société après une formation en comptabilité. Le saumon fumé n’est pas élaboré par les Casteigt : le produit est luxueux, tout juste vendu à l’occasion des fêtes quand il n’est pas détrôné par d’autres mets davantage locaux. « On avait un fumoir, pour les viandes et les ventrèches. J’ai voulu essayer le saumon, pour voir », se rappelle Jean-Marc Casteigt. Le test devient rapidement passion : pendant deux ans, le jeune homme multiplie diverses tentatives et techniques.

À Noël, Maison Casteigt produit 12 tonnes de saumon fumé et réalise 80 % de son chiffre d’affaires

Le premier maître artisan saurisseur de France

« Avant d’abandonner la charcuterie et de me lancer uniquement dans le saumon fumé, j’ai fait appel à des consultants parce que le marché était nouveau », précise-t-il encore. En 1989, il crée sa société et en 1991, dépose un brevet pour le parfumage de ses saumons et pour son procédé de fumaison unique qui filtre les benzopyrènes issus de la combustion. Neuf ans plus tard, il devient le premier nommé maître artisan saurisseur de France, reconnu pour son savoir-faire artisanal. Puis, en 2005, le prix Goût et Santé récompense et légitime un peu plus encore sa production. Aujourd’hui, l’entreprise désormais gérée en famille a assis sa réputation et se pose en référence dans son domaine. Présente dans tout le Sud-Ouest, elle affiche modestement mais sûrement 800 000 euros de chiffre d’affaires, menée par un Jean-Marc Casteigt résolument visionnaire, en témoigne sa dernière innovation.

Et les peaux devinrent cuirs

L’homme est curieux de tout, résolument attiré par la R&D bien qu’il ne la nomme pas instinctivement ainsi. Dès ses débuts dans le saumon, la gestion et la revalorisation des déchets lui posent question, surtout concernant les parties non utilisées des poissons. Quid de la tête, des arêtes ou encore de la peau ? Sur ce dernier point en particulier, l’artisan palois a son idée, mûrie depuis 25 ans mais concrétisée il y a quelques mois seulement : tanner la peau des saumons, avec cet impératif d’en exclure toute trace de métaux. Pendant deux ans, des ingénieurs ont travaillé sur ce projet, jusqu’à missionner un laboratoire italien afin d’obtenir le résultat voulu, avec succès. Le process de tannage du Cuir Casteigt a ensuite été logiquement breveté en France et en Europe avec l’aide du cabinet palois API Conseil.

« De la mi-novembre au 31 décembre, je dors, je mange, je parle saumon »

Une alternative au crocodile

« Nous sommes désormais dans la phase commerciale », situe Jean-Marc Casteigt, qui destine ce produit à l’industrie du luxe et de la mode. « Notre cuir a un certain coût, parce que la méthode de tannage est longue. Et, surtout, parce que je veux que tous les acteurs de la filière vivent de cette démarche. Je n’ai pas du tout l’intention d’aller faire tanner mes peaux n’importe où, à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions : s’il finit dans des sacs à main Hermès à 6 000 euros, il faut que nous soyons cohérents. » Pour l’heure, quelques clients se sont saisis de cette alternative au cuir de crocodile, à l’instar du Soulor, fabricant béarnais de chaussures, ou encore Fourrures Gauthier, au Canada (où un marché serait en train de s’ouvrir) mais également L’Aiglon, une maison française spécialisée dans la confection d’accessoires haut de gamme. L’histoire raconte d’ailleurs que le couple Macron s’est fait offrir une paire de ceintures en Cuir Casteigt fabriquée par cette même marque…

© Maison Casteigt

© Maison Casteigt

Le cuir, un marché confidentiel

Si le travail de prospection ne fait que commencer et s’avère ardu, le maître saurisseur ne veut pas s’arrêter au seul succès commercial de ses cuirs de saumon. « Pour l’instant, il n’y a aucun retour sur investissement. Nous avons dépensé presque 180 000 euros pour ce projet, ce qui est beaucoup pour nous. Mais c’est le plaisir de la micro-entreprise, cette passion de pouvoir échanger avec les gens sans avoir uniquement en tête le mot rentabilité. Je peux me le permettre, je ne dois de l’argent à personne. » Le Béarnais avoue, aussi, avoir investi également un peu d’ego dans ce cuir de luxe, parce que « je suis fier », dit-il. Un état d’esprit qui s’entend : le marché, confidentiel, s’avère également peu concurrentiel par la complexité du procédé, les peaux des grosses saurisseries n’étant pas adaptées au tannage parce qu’abîmées par des machines et trop petites (Casteigt utilise des saumons de 8 kilos, deux fois plus gros que ceux fumés par les industriels).

Maison Casteigt a investi 180 000 euros pour développer son cuir de saumon, par ailleurs breveté.

Un passage de relais en douceur

Quoi qu’il advienne, l’entreprise paloise ne se voit pas en multinationale. Actuellement, elle est dimensionnée pour répondre aux besoins de près de 200 clients du Sud-Ouest (quelques autres sont situés à Paris). Des restaurateurs, poissonniers, magasins spécialisés pour près de 70 % d’entre eux, et des grandes surfaces pour les 30 % restants, qu’elle livre elle-même chaque semaine, à la commande. Si des investissements sont en cours, de l’ordre de 280 000 euros pour réaménager le dépôt, la TPE ne grossira pas davantage aux dires du clan Casteigt. Même après le départ de son fondateur, si d’aventure lui venait l’envie de prendre sa retraite. Une option envisageable mais non envisagée par Jean-Marc Casteigt, qui fête ses 64 ans cette année : « Je ne suis pas pressé de partir. Mais il est vrai que nous avons déjà franchi une étape il y a 8 ans, en transformant notre nom « Jean-Marc Casteigt » en « Maison Casteigt » : mes enfants voulaient s’investir, je me suis dit qu’il fallait commencer en effet à passer ce cap et que je « disparaisse » petit à petit. Même si je garde 60 % des parts, Maison Casteigt, c’est désormais leur entreprise ».

© Maison Casteigt

© Maison Casteigt

Du saumon d’élevage et non sauvage

C’est un choix qui peut en surprendre certains, et pourtant il est aussi réfléchi qu’assumé : chez Maison Casteigt, on travaille uniquement des saumons d’élevage. Jean-Marc Casteigt s’est toujours refusé à utiliser des variétés sauvages, et notamment du saumon de l’Adour « parce qu’il est en voie d’extinction ». Par ailleurs, le dirigeant défend l’élevage « noble » des poissons de Norvège et d’Écosse, particulièrement contrôlés et qualitatifs.