Couverture du journal du 20/04/2024 Le nouveau magazine

Marciac, corps et âme du Jazz

Du 20 juillet au 6 août, Marciac, va une nouvelle fois accueillir les plus grands noms de la scène jazz. Une musique qui a transformé l’histoire et le développement économique de cette petite commune du Gers, entraînant avec elle tous les habitants. Un destin hors-normes qui a débuté en 1978 avec Jean-Louis Guilhaumon, fondateur de Jazz in Marciac (JIM).

Jean-Louis Guilhaumon, fondateur de Jazz in Marciac (JIM)

Jean-Louis Guilhaumon, fondateur de Jazz in Marciac (JIM) © Louis Piquemil - La Vie Economique

Des 35 piliers sur lesquels était bâtie sa halle, ne reste désormais que des dalles gravées de notes de musique. Comme un destin qui change de partition et s’échappe de l’oubli pour inventer sa propre mélodie. Depuis 1298, c’est la signature de la bastide royale qui s’obstine à regarder plus loin pour ne jamais être où on l’attend. Lovée dans les vallons gersois, elle aurait pu n’être qu’une douce campagne où seul le chant des oiseaux accompagne l’été… Marciac la rebelle a encore une fois refusé le fatalisme et leur a offert les plus grands noms du jazz pour leur donner le diapason. Comment une petite commune de 1 300 habitants est devenue la référence mondiale de la musique a tout d’une épopée légendaire. A l’image d’un son du roi Buddy Bolden qualifié de blues rural, la ville s’est accordée à cette musique qui lui ressemble, prenant toutes les règles établies pour les tordre à sa guise, elle a créé l’impossible : Jazz in Marciac.

Fidèle à sa programmation hors du commun, la 45ème édition parle d’elle-même : Selah Sue, Ben Harper, Suzanne Vega, Gilberto Gil…

45 ans de concerts exceptionnels

Chaque année, le festival réunit des artistes dont l’évocation donne le vertige. Fidèle à sa programmation hors du commun, la 45e édition, qui aura lieu du 20 juillet au 6 août, parle d’elle-même : Selah Sue, Ben Harper, Suzanne Vega, Samara Joy, Abdullah Ibrahim, Norah Jones, Gilberto Gil & Family… Autant d’étoiles qui ne signent que l’excellence. La routine pour une terre qui a vu Jeff Beck, Michel Portal, Kool & the Gang, Sting, Santana, Joan Baez, Avishai Cohen ou encore Paco de Lucia et Joe Cocker envoûter ses scènes. Marciac, une place entourée d’arcades, quelques rues et le charme intact d’un passé flamboyant… Marciac, épicentre du jazz, internationalement célèbre, faisant briller les yeux de tous les musiciens qui rêvent de s’y produire comme une consécration. Les deux définitions sont les siennes, aucune fausse note dans ses quotidiens qui semblent aux antipodes mais un chef, virtuose de ce défi fou devenu réalité, Jean-Louis Guilhaumon, à la fois maire, président de la communauté de communes, fondateur et âme du festival.

Le projet de l’impossible

Pourtant, lorsque le projet a vu le jour il y a 45 ans, rien ne lui prédisait un tel destin. Fort de souvenirs fabuleux, son fondateur s’en amuse aujourd’hui : « Il était difficile de cumuler davantage de handicaps qu’à l’origine : un encadrement rural, aucune voie de communication, pas de gare à moins de 50 km, pas d’hôtel, très peu de restaurants… Si nous avions mené une étude, elle aurait jugé le territoire dans l’incapacité totale de pondre un événement de cette importance ». A cela on peut aisément ajouter un détail qui n’en est pas un, la ville ne comptait aucune scène. Pour Jean-Louis Guilhaumon, adjoint au maire à l’époque, la mise en place du rendez-vous était certes un défi mais surtout un écho à sa passion, jeune étudiant il avait même été musicien. Le jazz s’est évidemment imposé comme le fil conducteur d’un nouveau rendez-vous, en pleine campagne, là où personne ne l’attendait.

Jazz Marciac

Boule Corea, Garrett Haynes, MC Bride © francisvernhet

800 visiteurs en 1978

En 1978, la première édition du festival a bien lieu et prend place dans les arènes municipales habituellement dédiées à la course landaise : « On n’y avait jamais entendu de concert et surtout pas de jazz ». Orchestres amateurs et professionnels se produisent avec une programmation autour de John Luther, ils signent un premier succès avec 800 visiteurs et pour Marciac, qui est loin d’imaginer l’aventure hors-normes qui débute, c’est déjà une vraie réussite. L’année suivante, tous veulent réitérer l’évènement et le destin, sûrement mélomane, entre en jeu et lui offre sa première « vraie » scène : « Marciac était une cité du meuble avec deux usines qui n’ont pas survécu à la concurrence internationale. Une d’elle fermait en août et je me suis dit que le hangar serait une meilleure option que les arènes ». Certains parleront de bon timing, d’autres s’attarderont sur le quartier qui s’appelle Saint-Germain et y verront une histoire qui ne pouvait s’écrire autrement. Avec une acoustique approximative et un confort qui l’est tout autant, le festival s’installe pour de bon.

Parrains prestigieux et bonnes fées

Le gentleman de la trompette Bill Coleman et Guy Laffite, le saxophoniste ténor, sont les têtes d’affiche qui en deviennent les présidents d’honneur et eux aussi joueront un rôle déterminant : « Ils nous ont ouvert leur carnet d’adresse et très vite, nous avons eu la participation de musiciens qui jouissaient d’une belle notoriété en Europe et dans le monde comme Joe Turner ». Au fil des ans, ce sont simplement les plus grands qui viennent dans le Gers, inscrivant leur propre légende et celle de Marciac qui peu à peu fait office d’étape ultime dans une carrière. La durée du festival s’étend à une semaine puis dix jours… Avant d’être aujourd’hui une bulle dans le temps qui court sur 3 semaines et fait vivre toute la ville à son rythme.

Avec un budget d’un peu moins de 5 millions d’euros, JIM génère près de 20 millions d’euros de retombées économiques sur le territoire

268 000 festivaliers à loger

Désigné par l’Internaute comme le festival de jazz favori des Français, JIM, comme on l’appelle, accueille aujourd’hui 268 000 visiteurs. Avec un budget d’un peu moins de 5 millions d’euros, il génère près de 20 millions d’euros de retombées économiques pour le territoire. Véritable locomotive de la commune, il a transformé son quotidien, bien au-delà des 3 semaines de concerts. Celles-ci sont pourtant le temps fort de l’année et pour les Marciacais, celui des rencontres car ces festivaliers, il a d’abord fallu les loger : « Nous avons créé au départ un système de Bed & Breakfast et de séjour chez l’habitant qui représentait un double avantage : c’était une alternative à l’absence de toute structure hôtelière. Ça a également permis de donner une coloration un peu particulière au festival. Les gens appréciaient d’être logés chez l’habitant, de pouvoir échanger avec eux et de découvrir avec bonheur la vie à la campagne, les produits du territoire… ». Moment de vie hors de la routine des villes, les amateurs de musique s’évadent dans le charme du Sud-Ouest et son bonheur qu’on dit dans le pré ! Une ambiance unique qui met le festival à part.

Le festival a fait naître un hôtel

Face à la notoriété grandissante, l’hôtel des Comtes de Pardiac a même vu le jour sur la place principale ainsi qu’un cinq étoiles, désormais fermé, mais dont le maire espère « la réouverture prochaine ». Chambres d’hôtes et gîtes se sont développés en parallèle, un dynamisme qui se retrouve dans l’offre de restauration. Sous les arcades, les terrasses se collent, la bastide se drape de fête et le chiffre d’affaires réalisé durant le festival permet aux professionnels d’affronter les mois creux. Les artistes sont logés à Tarbes, un système de navettes est mis en place même si certaines amitiés défient le temps, à l’instar de Wynton Marsalis qui a assisté à toutes les éditions et préfère loger dans une famille devenue celle de cœur. Le jazz se lie à la ville qu’il entraîne dans son éternelle quête de nouveauté et la transforme pour en faire son royaume.

L’Astrada, scène royale

Et avec l’Astrada, Jean-Louis Guilhaume a offert un palais de 500 places aux rois et reines de cette musiques et de ses cousines. Scène conventionnée en milieu rural mais aussi d’intérêt national, l’établissement ultra moderne voit le jour en 2017 après bien des batailles : « Il n’a pas été très facile de convaincre les investisseurs publics de s’engager dans cette démarche de presque 5 millions d’euros mais ils l’ont fait. Les convaincre n’a pas été une partie de plaisir mais nous avons réussi, aujourd’hui cet objet existe dans notre environnement et participe à son rayonnement ainsi que l’activité culturelle de Marciac », se réjouit Jean-Louis Guilhaumon. Avec une soixantaine de levers de rideau dans l’année et une programmation pluridisciplinaire qui fait, évidemment, la part belle au jazz puisqu’il est labellisé au plan national dans ce domaine, l’Astrada assure la mise en place d’un vrai projet culturel de territoire qui vit pendant et hors festival. Un coup de maître dans un contexte rural qui est loin d’être le seul, contre toute attente c’est encore le jazz qui a sauvé le collège.

Le Jazz au secours du collège

Avec une fréquentation qui s’érodait et un secteur de recrutement insuffisant malgré son inscription à la carte scolaire, le collège de Marciac était inexorablement voué à disparaître. Un crève-cœur pour Jean-Louis Guilhaumon qui, en plus d’être édile, en était le principal. Et encore une fois, c’est dans la musique qu’il va puiser pour changer le destin de l’établissement : « J’ai eu l’idée de créer les ateliers d’initiations à la musique de jazz avec Gérard Cazamayou, inspecteur académique de l’époque. C’était un concept unique, qu’on a élaboré de toutes pièces en mettant à profit les espaces culturels nouveaux ». Avec la mobilisation des différents ministères de l’éducation nationale, la culture, l’agriculture et la jeunesse et sport, le collège Aretha Franklin se dote d’un internat d’excellence, double ses effectifs… et devient une référence en formant des jeunes musiciens devenus des artistes renommés, à l’instar du saxophoniste Emile Parisien, musicien et compositeur de jazz qui fait autorité. Loin d’être un simple temps fort culturel, JIM est sans conteste un incroyable « outil d’aménagement du territoire » : « Aujourd’hui, en tant que commune, nous avons choisi d’orienter notre développement autour de cette double compétence qu’est la culture et le tourisme. Durant la période de crise de Covid 19, j’ai proposé à mes collègues de mettre en forme une étude de médiation culturelle destinée à nous poser de vraies questions ».

 

Nous dépendons de notre public. Rien n’est jamais acquis mais tout laisse penser que nous nous dirigeons vers une belle et grande édition 2023

Vers un retour à la normale

Une période de crise qui a laissé quelques stigmates, notamment au niveau des partenaires privés dont le soutien représentait plus d’un million d’euros en 2019. Si beaucoup ont personnellement souffert de la pandémie, l’heure est aux nouveaux partenaires et au mécénat. Habituellement subventionné par l’Etat, la Région et le Département, le festival a été soutenu de façon assez vigoureuse pendant la période de la Covid 19, comme toutes les manifestations culturelles : « Nous sollicitons nos partenaires publics mais n’avons pas encore les résultats promis. JIM n’est pas très aidé, nous devrions prétendre à un niveau plus significatif, c’est lié au fait que par le passé nous avons toujours atteint des taux d’autofinancement relativement conséquents ». Si la crise a durablement changé les modes de consommation y compris dans le domaine culturel, la remontée en puissance de sa fréquentation est bien là et 2023 se profile comme l’édition qui signe un retour « à une activité dite normale » : « Nous dépendons de notre public. Rien n’est jamais acquis mais tout laisse penser que nous nous dirigeons vers une belle et grande édition ».

Jazz Marciac

L’Astrada, salle de concert ultra contemporaine © Francisvernhet

1 000 bénévoles sur le pont

A quelques semaines du top départ, l’agitation est partout. Si sept salariés permanents sont dédiés à son organisation, l’événement mobilise toute la commune et serait bien différent sans les travailleurs de l’ombre. Big Band de mille bénévoles qui font corps et âme avec sa réussite, tous sont la petite note indispensable à cette magistrale composition. C’est encore Jean-Louis Guilhaumon qui donne le rythme, refusant le rôle de soliste, c’est de cette armada de petites mains dont il est le plus fier : « Ici, tout le monde contribue à sa manière, il faut imaginer que nous envoyons les programmes dans une version papier et nous avons des papys et des mamys qui les mettent sous enveloppes… »

Partenariat avec la Louisiane

Liée à jamais au jazz, Marciac, qui vient de signer un partenariat avec la Louisiane, se prépare à accueillir des passionnés de la France entière et au-delà. Epicentre d’une musique devenue son âme-sœur, elle a accompli l’impossible. Jean-Louis Guilhaumon a trop de souvenirs pour n’en choisir que quelques-uns : « Nous avons vécu tellement de grands moments qu’il serait injuste de les hiérarchiser », ses pensées vont surtout aux disparus qu’il a côtoyés et admirés comme Ray Charles, Oscar Peterson et Ahmad Jamal ». Si on lui demande quel défi il lui reste après avoir tant accompli, avec un petit sourire aux lèvres et une passion à jamais ardente, la réponse fuse comme un solo de Louis Amstrong : « Les chercheurs américains ont découvert que certaines zones du cerveau des plus jeunes sont mieux irriguées grâce à l’écoute du jazz. Nous avons une école maternelle… ça serait formidable de mettre en place des initiations à la musique et au rythme ! ». Nul ne connait l’avenir mais à Marciac il ne jouera que sa propre mélodie.

Jazz in Marciac 2023 : les têtes d’affiche au rendez-vous

Jeudi 20 juillet : MC Solaar / Sofiane Pamart Vendredi 21 juillet : Anne Paceo / Pat Metheny Samedi 22 juillet : Popa Chubby / Joe Bonamassa Dimanche 23 juillet : Sixun / Snarky Puppy Lundi 24 juillet : Lizz Wright / Norah Jones Mardi 25 juillet : Tower Of Power / Cory Wong Mercredi 26 juillet : Kenny Barron Trio / Abdullah Ibrahim Trio Jeudi 27 juillet : Brad Mehldau Solo / Samara Joy Vendredi 28 juillet : Suzanne Vega / Ben Harper & The Innocent Criminals Samedi 29 juillet : Endea Owens / Selah Sue Dimanche 30 juillet : Fatoumata Diawara / Roberto Fonseca Lundi 31 juillet : Florin Niculescu / Dutronc Rosenberg Gresset Trio Mardi 1er août : Dhafer Youssef / Sissoko Segal Parisien Peirani Mercredi 2 août : Robin McKelle / Gregory Porter Jeudi 3 août : Cécile McLorin Salvant / Wynton Marsalis Vendredi 4 août : Raynald Colom Five Stars / Gilberto Gil & Family Samedi 5 août : Femi Kuti & The Positive Force / Goran Bregović Dimanche 6 août : Festival Bis (concerts gratuits, place de l’hôtel de ville)